Guénon: le Soi

Original

Le « Soi » est le principe transcendant et permanent dont l’être manifesté, l’être humain par exemple, n’est qu’une modification transitoire et contingente, modification qui ne saurait d’ailleurs aucunement affecter le principe, ainsi que nous l’expliquerons plus amplement par la suite. Le « Soi », en tant que tel, n’est jamais individualisé et ne peut pas l’être, car, devant être toujours envisagé sous l’aspect de l’éternité et de l’immutabilité qui sont les attributs nécessaires de l’Être pur, il n’est évidemment susceptible d’aucune particularisation, qui le ferait être « autre que soi-même ». Immuable en sa nature propre, il développe seulement les possibilités indéfinies qu’il comporte en soi-même, par le passage relatif de la puissance à l’acte à travers une indéfinité de degrés, et cela sans que sa permanence essentielle en soit affectée, précisément parce que ce passage n’est que relatif, et parce que ce développement n’en est un, à vrai dire, qu’autant qu’on l’envisage du côté de la manifestation, en dehors de laquelle il ne peut être question de succession quelconque, mais seulement d’une parfaite simultanéité, de sorte que cela même qui est virtuel sous un certain rapport ne s’en trouve pas moins réalisé dans l’« éternel présent ». À l’égard de la manifestation, on peut dire que le « Soi » développe ses possibilités dans toutes les modalités de réalisation, en multitude indéfinie, qui sont pour l’être intégral autant d’états différents, états dont un seul, soumis à des conditions d’existence très spéciales qui le définissent, constitue la portion ou plutôt la détermination particulière de cet être qui est l’individualité humaine. Le « Soi » est ainsi le principe par lequel existent, chacun dans son domaine propre, tous les états de l’être ; et ceci doit s’entendre, non seulement des états manifestés dont nous venons de parler, individuels comme l’état humain ou supra-individuels, mais aussi, bien que le mot « exister » devienne alors impropre, de l’état non-manifesté, comprenant toutes les possibilités qui ne sont susceptibles d’aucune manifestation, en même temps que les possibilités de manifestation elles-mêmes en mode principiel ; mais ce « Soi » lui-même n’est que par soi, n’ayant et ne pouvant avoir, dans l’unité totale et indivisible de sa nature intime, aucun principe qui lui soit extérieur [[Nous exposerons plus complètement, dans d’autres études, la théorie métaphysique des états multiples de l’être ; nous n’en indiquons ici que ce qui est indispensable pour comprendre ce qui concerne la constitution de l’être humain.]].

Le « Soi »; considéré par rapport à un être comme nous venons de le faire, est proprement la personnalité ; on pourrait, il est vrai restreindre l’usage de ce dernier mot au « Soi » comme principe des états manifestés, de même que la « Personnalité Divine », Ishwara, est le principe de la manifestation universelle ; mais on peut aussi l’étendre analogiquement au « Soi » comme principe de tous les états de l’être, manifestés et non-manifestés. Cette personnalité est une détermination immédiate, primordiale et non particularisée, du Principe qui est appelé en sanskrit Atmâ ou Paramâtmâ, et que nous pouvons, faute d’un meilleur terme, désigner comme l’« Esprit Universel », mais, bien entendu, à la condition de ne voir dans cet emploi du mot « esprit » rien qui puisse rappeler les conceptions philosophiques occidentales, et, notamment, de ne pas en faire un corrélatif de « matière » comme il est presque toujours pour les modernes, qui subissent à cet égard, même inconsciemment, l’influence du dualisme cartésien [[Théologiquement, quand on dit que « Dieu est pur esprit », il est vraisemblable que cela ne doit pas s’entendre non plus dans le sens où « esprit » s’oppose à « matière » et où ces deux termes ne peuvent se comprendre que l’un par rapport à l’autre, car on en arriverait ainsi à une sorte de conception « démiurgique » plus ou moins voisine de celle qu’on attribue au Manichéisme ; il n’en est pas moins vrai qu’une telle expression est de celles qui peuvent facilement donner naissance à de fausses interprétations, aboutissant à substituer « un être » à l’Etre pur.]]. La métaphysique véritable, redisons-le encore à ce propos, est bien au-delà de toutes les oppositions dont celle du « spiritualisme » et du « matérialisme » peut nous fournir le type, et elle n’a nullement à se préoccuper des questions plus ou moins spéciales, et souvent tout artificielles, que font surgir de semblables oppositions.

Atmâ pénètre toutes choses, qui sont comme ses modifications accidentelles, et qui, suivant l’expression de Râmânuja, « constituent en quelque sorte son corps (ce mot ne devant être pris ici que dans un sens purement analogique), qu’elles soient d’ailleurs de nature intelligente ou non-intelligente », c’est-à-dire, suivant les conceptions occidentales, « spirituelles » aussi bien que « matérielles », car cela, n’exprimant qu’une diversité de conditions dans la manifestation, ne fait aucune différence au regard du principe inconditionné et non-manifesté. Celui-ci, en effet, est le « Suprême Soi » (c’est la traduction littérale de Paramâtmâ) de tout ce qui existe, sous quelque mode que ce soit, et il demeure toujours « le même » à travers la multiplicité indéfinie des degrés de l’Existence, entendu au sens universel, aussi bien qu’au-delà de l’Existence, c’est-à-dire dans la non-manifestation principielle.

Le « Soi », même pour un être quelconque, est identique en réalité à Atmâ, puisqu’il est essentiellement au-delà de toute distinction et de toute particularisation ; et c’est pourquoi, en sanskrit, le même mot âtman, aux cas autres que le nominatif, tient lieu du pronom réfléchi « soi-même ». Le « Soi » n’est donc point vraiment distinct d’Atmâ, si ce n’est lorsqu’on l’envisage particulièrement et « distinctivement » par rapport à un être, et même, plus précisément, par rapport à un certain état défini de cet être, tel que l’état humain, et seulement en tant qu’on le considère sous ce point de vue spécialisé et restreint. Dans ce cas, d’ailleurs, ce n’est pas que le « Soi » devienne effectivement distinct d’Atmâ en quelque manière, car il ne peut être a autre que soi-même », comme nous le disions plus haut, et il ne saurait évidemment être affecté par le point de vue dont on l’envisage, non plus que par aucune autre contingence. Ce qu’il faut dire, c’est que, dans la mesure même où l’on fait cette distinction, on s’écarte de la considération directe du a Soi » pour ne plus considérer véritablement que son reflet dans l’individualité humaine, ou dans tout autre état de l’être, car il va sans dire que, vis-à-vis du « Soi », tous les états de manifestation sont rigoureusement équivalents et peuvent être envisagés semblablement ; mais présentement, c’est l’individualité humaine qui nous concerne d’une façon plus particulière. Ce reflet dont nous parlons détermine ce qu’on peut appeler le centre de cette individualité ; mais, si on l’isole de son principe, c’est-à-dire du « Soi » lui-même, il n’a qu’une existence purement illusoire, car c’est du principe qu’il tire toute sa réalité, et il ne possède effectivement cette réalité que par participation à la nature du « Soi », c’est-à-dire en tant qu’il s’identifie à lui par universalisation.

Español

El «Sí mismo» es el principio trascendente y permanente del que el ser manifestado, el ser humano por ejemplo, no es más que una modificación transitoria y contingente, modificación que, por lo demás, no podría afectar de ninguna manera al principio, así como lo explicaremos más ampliamente después. En tanto que tal, el «Sí mismo» jamás se individualiza y no puede individualizarse, ya que, debiendo ser considerado siempre bajo el aspecto de la eternidad y de la inmutabilidad que son los atributos necesarios del Ser puro, evidentemente no es susceptible de ninguna particularización, que le haría ser «otro que sí mismo». Inmutable en su naturaleza propia, solo desarrolla las posibilidades indefinidas que conlleva en sí mismo, por el paso relativo de la potencia al acto a través de una indefinidad de grados, y eso sin que su permanencia esencial sea afectada por ello, precisamente porque este paso no es más que relativo, y porque este desarrollo no es tal, a decir verdad, sino en tanto que se considera del lado de la manifestación, fuera de la cual ya no puede tratarse de ninguna sucesión cualquiera que sea, sino solamente de una perfecta simultaneidad, de suerte que eso mismo que es virtual bajo una cierta relación por eso no se encuentra menos realizado en el «eterno presente». Al respecto de la manifestación, se puede decir que el «Sí mismo» desarrolla sus posibilidades en todas las modalidades de realización, en multitud indefinida, que son para el ser integral otros tantos estados diferentes, estados de los que solo uno, sometido a unas condiciones de existencia muy especiales que le definen, constituye la porción o más bien la determinación particular de este ser que es la individualidad humana. El «Sí mismo» es así el principio por el cual existen, cada uno en su dominio propio, todos los estados del ser; y esto debe entenderse, no solo de los estados manifestados de los cuales acabamos de hablar, individuales como el estado humano o supraindividuales, sino también, aunque la palabra «existir» deviene entonces impropia, del estado no manifestado, que comprende todas las posibilidades que no son susceptibles de ninguna manifestación, al mismo tiempo que las posibilidades de manifestación mismas en modo principial; pero este «Sí mismo» no es más que por sí mismo, puesto que no tiene y no puede tener, en la unidad total e indivisible de su naturaleza íntima, ningún principio que le sea exterior [[Expondremos más completamente, en otros estudios, la teoría metafísica de los estados múltiples del ser; aquí no indicamos de ella más que lo que es indispensable para comprender lo que concierne a la constitución del ser humano.]].

El «Sí mismo», considerado en relación a un ser como acabamos de hacerlo, es propiamente la personalidad; ciertamente, se podría restringir el uso de esta última palabra al «Sí mismo» como principio de los estados manifestados, del mismo modo que la «Personalidad Divina», «Îshwara», es el principio de la manifestación universal; pero también puede extenderse analógicamente al «Sí mismo» como principio de todos los estados del ser, manifestados y no manifestados. Esta personalidad es una determinación inmediata, primordial y no particularizada, del principio que en sánscrito es llamado Âtmâ o Paramâtmâ, y que podemos, a falta de un término mejor, designar como el «Espíritu Universal», pero, bien entendido, a condición de no ver en este empleo de la palabra «espíritu» nada que pueda recordar las concepciones filosóficas occidentales, y, concretamente, de no hacer de él un correlativo de «materia» como lo hacen casi siempre los modernos, que sufren a este respecto, incluso inconscientemente, la influencia del dualismo cartesiano [[Teológicamente, cuando se dice que «Dios es espíritu puro», es verosímil que eso no debe entenderse tampoco en el sentido en el que «espíritu» se opone a «materia» y en el que estos dos términos no pueden comprenderse sino el uno en relación al otro, ya que con ello se llegaría a una suerte de concepción «demiúrgica» más o menos vecina de la que se atribuye al maniqueísmo; por eso no es menos verdad que una tal expresión es de las que pueden dar nacimiento fácilmente a falsas interpretaciones, que desembocan en la sustitución del Ser puro por «un ser».]]. La metafísica verdadera, lo repetimos todavía a este propósito, está mucho más allá de todas las oposiciones de las que la del «espiritualismo» y del «materialismo» puede proporcionarnos el tipo, y no tiene que preocuparse de ninguna manera de las cuestiones más o menos especiales, y frecuentemente completamente artificiales, que hacen surgir semejantes oposiciones.

Âtmâ penetra todas las cosas, que son como sus modificaciones accidentales, y que, según la expresión de Râmânuja, «constituyen en cierto modo su cuerpo (esta palabra no debe tomarse aquí más que en un sentido puramente analógico), ya sean por lo demás de naturaleza inteligente o no inteligente», es decir, según las concepciones occidentales, tanto «espirituales» como «materiales», ya que eso, que no expresa más que una diversidad de condiciones en la manifestación, no constituye ninguna diferencia al respecto del principio incondicionado y no manifestado. En efecto, éste es el «Supremo Sí mismo» (es la traducción literal del Paramâtmâ) de todo lo que existe, bajo cualquier modo que sea, y permanece siempre «el mismo» a través de la multiplicidad indefinida de los grados de la Existencia, entendida en el sentido universal, así como también más allá de la Existencia, es decir, en la no manifestación principial.

El «Sí mismo», incluso para un ser cualquiera, es idéntico en realidad a Âtmâ, puesto que está esencialmente más allá de toda distinción y de toda particularización; y es por eso por lo que, en sánscrito, la misma palabra âtman, en los otros casos que el nominativo, ocupa el lugar del pronombre reflexivo «sí mismo». El «Sí mismo» no es pues verdaderamente distinto de Âtmâ, excepto cuando se considera particular y «distintivamente» en relación a un ser, e incluso, más precisamente, en relación a un cierto estado definido de ese ser, tal como el estado humano, y solo mientras se le considera bajo este punto de vista especializado y restringido. En este caso, por lo demás, no es que el «Sí mismo» devenga de alguna manera efectivamente distinto de Âtmâ, ya que no puede ser «otro que sí mismo», como lo decíamos más atrás, y ya que evidentemente no podría ser afectado por el punto de vista bajo el cual se le considera, como tampoco por ninguna otra contingencia. Lo que es menester decir, es que, en la medida misma en que se hace esta distinción, uno se aparta de la consideración directa del «Sí mismo» para no considerar ya verdaderamente más que su reflejo en la individualidad humana, o en cualquier otro estado del ser, ya que no hay que decir que, frente al «Sí mismo», todos los estados de manifestación son rigurosamente equivalentes y pueden ser considerados de manera semejante; pero al presente, es la individualidad humana la que nos concierne de una manera más particular. Este reflejo del que hablamos determina lo que se puede llamar el centro de esta individualidad; pero, si se aísla de su principio, es decir, del «Sí mismo», no tiene más que una existencia puramente ilusoria, ya que es del principio de donde saca toda su realidad, y no posee efectivamente esta realidad más que por participación en la naturaleza del «Sí mismo», es decir, en tanto que se identifica a él por universalización.

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