Benoist : Les trois parties de l’homme

C’est un principe de toutes les traditions que la division de l’être humain en trois parties principales, qui comprennent, d’un côté le corps matériel et de l’autre deux éléments immatériels l’âme et l’esprit, éléments dont la désignation et la compréhension varient avec les points de vue des différentes traditions.

Cette division ternaire, cette trichotomie possède sa base symbolique et sa juslification dans la théorie hindoue des trois gunas, qui expriment les qualités primordiales et constituantes des êtres. L’esprit correspond à sattwa, l’âme à rajas et le corps à tamas.

Cette tripartition, comme on le sait, se retrouve à tous les niveaux de l’existence. Une de ses applications les plus importantes se manifeste sur le plan social, dans les fonctions des sociétés indo-européennes, telles que les beaux livres de M. Dumézil les ont révélées : la fonction sacerdotale du prêtre, la fonction royale du guerrier et la fonction artisanale et populaire de l’éleveur-agriculteur. Ces fonctions correspondent d’ailleurs dans l’être lui-même aux facultés de connaissance, d’action et de travail manuel, qui exigent les vertus respectives de sagesse, de courage et de tempérance, ainsi que Platon l’avait déjà montré dans le IVe livre de sa République.

Cette première division ternaire de l’être peut être affectée d’une division ultérieure en sept ou en dix éléments. La tradition chinoise, par exemple, met l’accent sur le septénaire. Les gnostiques préfèrent le dénaire. Mais le ternaire des éléments premiers subsiste sous cette division plus poussée.

La tradition hébraïque, qui nous intéresse davantage, puisque la civilisation chrétienne en est partiellement issue, formule explicitement cette trilogie humaine. Elle se trouve établie dès le début de son texte le plus sacré, la Genèse, au moment, même de la création de l’homme par Dieu. YHWH façonna d’abord le corps de l’homme (en hébreu : bâsâr) avec le limon de la terre. Ensuite il lui insuffle la vie, l’âme vivante (en hébreu : néfès) avec son propre souffle, qui est esprit (en hébreu : rûah). L’âme vivante est donc le résultat de l’union du corps avec le souffle de l’esprit.

La tradition hellénique, elle aussi, sous sa forme la plus élevée qui est le platonisme, enseigne que l’être humain est composé d’un corps (en grec : soma), d’un esprit (noûs) et d’une âme qui les relie (psyche). Cette division a été reprise et respectée par la tradition romaine dont les trois termes latins, corpus, anima et spiritus s’indentifient au ternaire des platoniciens.

La pensée chrétienne ne pouvait que respecter cette division traditionnelle et elle n’y a pas manqué. Saint Paul, dont on a pu dire qu’il a été le second fondateur du Christianisme, a repris dans toute sa précision la division mosaïque. Après lui les plus authentiques pères de l’Eglise, les plus grands docteurs ont accepté la même conception trinitaire, qui fait de l’homme l’image de la Trinité Divine. Le plus irréfutable de ces pères, saint Irénée, l’a exprimé avec force dans son traité sur la Résurrection : « Il y a donc trois principes de l’homme parfait, la chair, l’âme, l’esprit ; l’un qui sauve et qui forme, c’est l’esprit ; l’autre qui est uni et formé, c’est la chair ; puis un intermédiaire entre les deux et c’est l’âme ; celle-ci parfois suit l’esprit et est élevée par lui ; parfois aussi elle condescend à la chair et s’abaisse aux convoitises terrestres ».

Cependant, si la division ternaire est identique dans toutes les traditions, il s’en faut qu’elles se placent toutes au même point de vue. Il est bien évident qu’aucun débat ne peut mettre en question l’élément corporel de l’homme. C’est le plus indubitable. Toutes les traditions distinguent en lui les cinq sens, dont trois plus particulièrement matériels : le toucher, le goût et l’odorat et deux plus intellectuels : l’ouïe et la vue. Aux cinq sens il est normal d’ajouter comme on l’a fait, la génération.

Mais aussitôt que l’on aborde la part immatérielle de l’homme, les discussions commencent. « Pour savoir ce qu’est l’âme, dit Socrate à Phèdre dans le fameux dialogue de Platon, il faudrait une science divine et des traités sans fin ». La tradition chrétienne est trinitaire et ne peut pas ne pas l’être. Mais la partie spirituelle qu’elle reconnaît dans l’être humain lui est surajoutée comme une grâce sanctifiante et un don du Saint-Esprit, qui vient pénétrer l’âme dans sa partie supérieure et ainsi la spiritualise. C’est pourquoi il est habituel aux chrétiens de diviser l’homme en deux parties, l’âme et le corps, formule qui pour être bien comprise suppose comme nous le verrons une division tripartite de l’âme elle-même.

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