Avec Léonce de Byzance nous revenons au VIe siècle. Quoiqu’il s’agisse d’un personnage d’une grande importance, nous ne possédons que quelques détails sur sa vie et sur son activité. De plus l’authenticité de la plupart des écrits, qui lui sont attribués, est aujourd’hui contestée pour des raisons valables. Dans l’exposé qui suivra nous tenons pour œuvres de Léonce, celles en faveur desquelles se sont prononcés Loofs et Grumel, à savoir : le Libri très adversus Nestorianos et Euthychianos, l’Epilysis et le Triginta capita (P. G., 86, 1, 1267-1396 ; 1915-1946 ; 1901-1916). Nous nous sommes permis d’utiliser trois autres écrits encore, le De sectis, le Contra monophysitas et le Contra Nestorianos. Tous les trois sont aujourd’hui presque unanimement reconnus comme postérieurs à Léonce, le dernier, — anciennement le plus estimé de ses écrits —, étant, avec beaucoup de vraisemblance, attribué à un certain Léonce, élève de Théodore de Raithu, qui, vers la fin du VIe siècle, mit par écrit les leçons de son maître. Ces écrits cependant sont manifestement composés sous l’influence de Léonce, et reproduisent fidèlement, non seulement sa christologie, mais sa méthode de procéder, sa terminologie, et son fond philosophique. C’est, en somme, comme s’ils étaient sortis de sa propre plume, leurs auteurs n’y ajoutant rien de leur fond. En même temps que cela montre le manque d’originalité des auteurs susdits, c’est une preuve de l’empire et du prestige que la personnalité de Léonce avait acquis à Byzance aux VIe et VIIe siècles. Maxime le Confesseur le suivit dans la Christologie et adopta sa méthode et sa terminologie ; Damascène lui est aussi débiteur sur plusieurs points essentiels, il reprend, souvent avec les mêmes formules, les mêmes idées christologiques ; nous trouvons son influence jusqu’à la Panoplie dogmatique de Zygabénos au XIIe siècle. Voici maintenant sur sa vie quelques renseignements que nous devons à des recherches minutieuses faites notamment par Loofs. Né, selon toute probabilité, à Byzance dans la seconde moitié du Ve siècle, peut-être en 475, Léonce fut, dans sa jeunesse, entraîné vers l’hérésie nestorienne. Mais « la grâce divine » et « des hommes saints, qui par les écrits des vrais maîtres ont purifié sa main et son cœur », l’en tirèrent. Il voyagea probablement à Rome en 519; partisan du Pape lors du premier schisme entre les deux Églises, causé par le penchant nestorien que l’Église de Constantinople fut obligée par l’Empereur de montrerai chercha à sauvegarder la paix delà chrétienté. En 520, il entra dans la Nouvelle Laure, aux environs de Jérusalem, où il se lia avec Nonnos, le chef des Origénistes, d’où la légère teinte origéniste de ses écrits et sa faveur pour les partisans d’Origène. Il s’y lia aussi avec saint Sabbas, qu’il accompagna dans son voyage à Byzance en 531 ; se trouvant alors à Byzance, il prit part à la controverse chalcédonienne et se déclara en faveur du Concile de Chalcédoine. Peu après saint Sabbas le chassa de son entourage, l’ayant reconnu pour origéniste. Léonce prolongea son séjour à Byzance ; il y prit part à la conférence tenue, par ordre de Justinien, entre sévériens et catholiques et assista probablement au Concile de 536 contre les monophysites. Nous le retrouvons à la Nouvelle Laure en 538, puis de nouveau à Byzance, où il mourut en 542 ou en 543. Sa vie, comme son œuvre, montrent en lui un homme sobre, quoique d’un naturel vif, qui sut se garder des extrêmes, soit dans la querelle des trois chapitres, soit dans celle des origénistes. C’est cette attitude, peut-être, qui est cause du silence fait en général sur lui.
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Le pivot de toute la pensée de Léonce est le problème christologique. Notre auteur prit sur lui de concilier la conception populaire au sujet de Jésus et le dogme énoncé par la synode de Chalcédoine sur le même sujet, et de prouver que toutes les hérésies concernant la personne de Jésus ne sont que des erreurs stupides et impies. Ainsi par exemple les incorrupticolae voulaient que le corps de Jésus fût incorruptible comme son âme. Infiniment plus spirituelle est la conception de l’orthodoxie que Léonce leur oppose. Jésus, dit-il, en tant qu’esprit est Dieu, en tant qu’homme il est homme. Au fond de la discussion christologique il faut sans doute voir le problème du rapprochement de Dieu et de l’homme. L’incarnation en donnait la solution. Les hérétiques, ainsi que les païens et les Hébreux ne pouvaient pas saisir cette incarnation du divin, cette divinisation de l’humain. Le Dieu-homme restait pour eux un scandale inconcevable. Avec quelle ardeur Léonce n’essaye-t-il pas de rappeler les hérétiques dans le droit chemin, tout en aplanissant pour eux le chemin du retour à l’Église ! En vain s’efforce-t-il de lever les difficultés que la raison opposait aux hérétiques dans le domaine théologique. Entre eux, — les nestoriens et les monophysites surtout —, et lui il y avait tout un abîme. Les hérétiques ne se sentent pas embarrassés par la révélation ; ils ne cherchent, semble-t-il, que l’harmonie de la raison dans la formulation de leur pensée ; ils sont des rationalistes décidés. Le péché grave de la pensée humaine que la nouvelle religion était venue dénoncer, le voilà de nouveau en son sein. Léonce, au contraire, ainsi que tous les orthodoxes, ne veut à aucun prix, s’éloigner de la révélation ; il ne tient qu’à interpréter et à approfondir la parole divine. Léonce sut exposer ses propres idées et celles de ses prédécesseurs d’une manière très cohérente et très systématique. D’où vient, se demande-t-il, la confusion des hérétiques et leur impossibilité de saisir la nature de Jésus ? La cause, dit-il, est dans les termes employés. Les hérétiques ne se sont pas donné la peine, avant de procéder au développement du sujet, d’établir d’une manière exacte, précise, indubitable, toujours la même, le sens des termes fondamentaux. Léonce y procède avec une rigueur syllogistique surprenante, qui fait que ses écrits nous rappellent vivement Aristote, tant par la précision que par la manière de poser le problème, de le délimiter, de le discuter avec son adversaire et de procéder à son développement. Et tout ceci, nous dit-il, par un pur amour de la vérité, dont il veut contempler le visage d’or, le plus digne d’être aimé. Il fallait, lui disait-on, qu’il mette par écrit ses pensées ; ses écrits pourraient être un remède contre l’oubli, un réchauffement pour la mémoire, une récréation qui défie le temps. Un passage très significatif nous donne des renseignements précieux sur son attitude philosophique. « La simple, dit-il, et globale impression (hepibole) des objets provoque en nous une notion générale mais non claire. La division que nous en faisons par la pensée nous conduit à la connaissance claire des éléments constitutifs des objets. Continuer, après la première division, la subdivision des parties en leurs parties est œuvre digne de risée. Car on sera forcé de poursuivre la recherche à l’infini». En ce qui concerne le corps humain, par exemple, le terme chair suffit pour en désigner les parties, les vrais chrétiens n’aiment pas à se livrer à des analyses, technologein ; aux sceptiques de faire des subdivisions ; recherche superflue, technologie difficile à suivre pour le peuple. Quant à saisir l’ineffable et inintelligible union, — il s’agit de l’union des deux natures en Jésus —, ceci est œuvre de la foi seule et de la parole divine, parole non pas en mots prononcés, mais saisie par illumination intérieure à l’intelligence, à le rendre clair et à initier les élus par des didascalies sans mots. Nous avons donc deux méthodes pour saisir la vérité. L’une prescrit que l’intelligence doit rester philosophique, s’arrêter aux grandes et premières lignes ; elle ne se permettra pas de se plonger dans l’océan, dans l’abîme sans issue des détails. La pensée ne doit pas se suicider. Il faut, en outre, prendre soin de donner au terme employé le sens exact et propre au point de vue sous lequel on se place, étant donné que tout terme peut être dit soit absolument, soit relativement. Ainsi, par exemple, les termes parfait et imparfait, d’après Grégoire de Nysse et Cyrille d’Alexandrie peuvent avoir un sens absolu ou un sens relatif. Jésus est imparfait s’il est pris soit absolument comme Dieu, soit simplement comme homme. Alors que le Verbe est parfait, ainsi que l’âme humaine, en tant qu’être. Mais ce même Verbe ne fait pas un Jésus parfait, si l’humanité ne s’y ajoute pas ; de même l’âme sans le corps ne fait pas un homme parfait. Dans un ordre de pensée analogue, quand on applique le nombre deux à Jésus, ce n’est pas qu’il y ait deux Jésus, comme les hérétiques le reprochaient aux orthodoxes. Car il ne faut pas entendre le nombre deux du point de vue de la quantité. Jésus est un en tant qu’individu et deux en tant que nature. C’est en ce sens qu’Aristote disait de la matière et de la forme qu’elles sont une quant au nombre et deux quant à l’espèce. Il n’y a pas de contradiction, si à la même chose nous appliquons l’un et le deux, puisque chacun est vrai sous un autre point de vue et dans un autre sens. Il y a plus. Qu’expriment en effet les mots désignant des objets ? D’une part, ils ne sont pas emportés par « les lieux et les temps », puisqu’ils énoncent les raisons essentielles des choses. Mais, d’autre part, tout terme se rapporte à l’objet présent, non pas à celui, qui, le moment d’après, en sortira. Sans ces conditions aucun des objets n’admettrait un terme substantiel désignant sa quiddité, du moment qu’aucun ne persiste dans son être, puisque tous les objets de ce monde de génération et de corruption sont sujets à un perpétuel devenir. De même toutes les substances logiques, recevant le plus et le moins, sont considérés en mouvement. Rester dans les mêmes conditions n’est pas le propre de la nature créée. Le « Toi, tu es identique à toi-même » est un attribut propre à Dieu seul. Nous voyons posée ici clairement l’identification de Dieu et de l’être ; cette identification qui est à la base de la métaphysique chrétienne la distingue de la façon la plus nette de la métaphysique antérieure ; d’elle découlent tous les attributs de Dieu et c’est elle qui conféré à tout l’univers sa couleur chrétienne. Remarquons encore que la pensée de Léonce à propos des termes est nettement nominaliste. Quant à l’illumination elle n’est pas, à proprement parler, une seconde méthode. Elle est un don divin. La lumière divine, en nous illuminant sans mots et paroles, nous rend capables de saisir des vérités, auxquelles notre intelligence seule ne peut pas atteindre. Ainsi l’homme, à l’aide de Dieu, devient supérieur à lui-même et est appelé à de vastes horizons de contemplation.
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Fidèle au principe posé, Léonce, avant d’aborder le problème christologique, définit avec grand soin et perspicacité les notions fondamentales, telles que substance, nature, genre, espèce, différence, propre, accident, hypostase, etc. ; il analyse ensuite l’opposition qu’il y a entre substance et accident et définit les relations entre substance ou nature et hypostase ou personne. Le contenu qu’il donne aux notions ci-dessus offre un intérêt philosophique considérable. Ainsi la substance est l’esse per se « pragma hyphestos » ; par sa définition elle s’oppose à l’accident, qui n’a pas d’existence substantielle, ayant son être en un autre et non en lui-même, mais se rapportant, par ailleurs, toujours à la substance. Substance est synonyme parfait de nature, celle-ci étant la disposition apportée par la naissance ; d’où impossibilité de recevoir en même temps les contraires. Nature comporte être ; le nombre de ceux qui participent à une nature n’entre pas dans sa définition. Et justement, à cause de la pluralité des individus qui ont même nature, ce terme signifie l’universel, par rapport à ses individus, et s’appelle alors espèce. L’opposition entre nature et hypostase est plus importante que celle entre substance et accident. La substance sous la dénomination de nature signifie l’universel, l’être ; l’hypostase signifie l’être particulier, non pas le parfait d’une manière absolue et inconditionnelle, mais l’être dans son existence particulière. Entre nature et hypostase il n’y a pas réciprocité ; hypostase est nature, mais nature n’est pas nécessairement hypostase. Les synonymes de l’hypostase sont : personne, individu, sujet, particulier, propre. Ce qu’ajoute hypostase à nature c’est d’en faire une chose et non pas une autre. L’hypostase est caractérisée par l’ensemble des accidents qui ne peuvent être attribués à aucune autre chose. La distinction établie entre nature et hypostase est le pivot de la christologie de Léonce. C’est de leur confusion que sont nées les grandes hérésies trinitaires et christologiques. Il est aisé, après cette distinction, de démontrer et que les trois hypostases de la sainte Trinité n’ont qu’une nature et que les deux natures en Jésus ne font qu’une hypostase. Mais pour y arriver, d’une manière aussi claire que possible, Léonce se voit obligé de faire une autre distinction encore et de se servir d’une autre notion, celle d’enhypostasie. Il n’y a pas, dit-il, de nature dénuée d’hypostase, mais toute nature n’est pas une hypostase. Il y a des cas, où nature n’est ni l’un ni l’autre. Nous arrivons ainsi à la notion d’enhypostasie, qui signifie une nature qui n’est pas hypostase elle-même, mais qui existe dans une hypostase. Ceci est vrai de l’union de l’âme et du corps en l’homme, ainsi que de l’union de la nature humaine du Christ dans l’hypostase du Verbe. L’enhypostasie se trouve entre l’enhypostasie, qui est l’accident, et l’hypostase. Elle n’est donc pas la même chose que l’hypostase ; il y a entre elles la même différence qu’il y a entre ousie (substance) et énousie ; l’hypostase dénote l’individu, alors qu’enhypostasie dénote l’ousie (substance). Les substances qui s’unissent ainsi en une hypostase sont des substances complètes, qui, hors l’union, sont hypostases chacune séparément, ainsi que l’âme et le corps. Il y a donc des êtres unis par les espèces (natures) et divisés par les hypostases, comme cela arrive à la sainte Trinité, et d’autres qui sont divisés par les espèces (natures) et unis par les hypostases, comme l’âme et le corps en l’homme. L’âme s’unit à l’âme par l’identité de la substance, et s’en distingue par la différence de l’hypostase ; alors que de son corps elle se distingue par la différence de la substance, s’unissant à lui par la raison de l’hypostase. L’homme, dit Léonce, est entièrement distinct du corps et de l’âme au sens absolu. Quant à l’union de l’âme et du corps, n’étant pas une union naturelle, elle est l’œuvre de la puissance de Dieu. Entre l’âme et le corps il n’y a pas de lien naturel ; ils ont une hypostase commune en l’homme, mais chacun a sa propre nature et sa raison différente. Ces deux êtres considérés en eux-mêmes sont des êtres parfaits, mais ils sont imparfaits par rapport à l’homme puisqu’ils sont ses parties. L’union de l’âme et du corps se fait sans qu’il y ait aucune confusion des deux natures. Ainsi l’âme, par suite de cette union avec le corps visible et mortel, ne perd ni l’invisibilité, ni l’immortalité. Elle peut être affectée et souffrir, mais ce n’est pas parce qu’elle est dans le corps ; il est dans sa propre nature d’être susceptible d’affections ; s’il n’en était pas ainsi, elle pourrait subir tout ce qui est propre au corps. Si donc l’âme est affectée c’est qu’elle a des facultés affectives. Puisqu’elle est une substance passive, ses affections peuvent être déterminées par le tempérament du corps auquel elle est unie et par la particularité du pays où elle vit. Mais elle peut aussi avoir des affections divines, nullement à cause de son corps, qui, au contraire, s’y oppose. Ces affections sont dues à sa propre nature; alors l’epithymetikon sc. meros de l’âme (les appétits et les tendances) est tendu plein d’amour vers Dieu, le thymoeides (l’énergie du vouloir) plein de vigueur marche de pair avec lui, et le logistikon (le calcul de la raison) reçoit, sans aucune ombre, les impressions immatérielles. et s’illumine intérieurement dans l’unification de la pensée. C’est quand elle salit ses facultés que l’âme se plonge dans le mal et dans l’ignorance. De cette dégradation elle est la cause unique, et non pas le corps. Suivant Némesios sans le citer, et écartant, comme Philopon, la définition d’Aristote, entéléchie première d’un corps naturel, Léonce définit l’âme comme substance incorporelle, automotrice et par suite immortelle et incorruptible. Quant au corps, il lui applique la définition d’Aristote. Il accepte également la thèse que les parties du corps sont constituées des quatre éléments qui, à leur tour, sont composés de matière et de forme. C’est tout ce que l’on trouve d’hylémorphisme chez Léonce. Quoique la conception que Léonce se fait de l’âme soit très voisine de celle de Platon, Léonce en vrai chrétien qu’il est, s’efforce d’assurer surtout la permanence du composé humain. L’homme ce n’est pas son âme, comme le veut Platon, mais le composé substantiel de l’âme et du corps et la philosophie chrétienne se donne pour tâche de sauver l’homme dans son intégralité. Ainsi Léonce dans ce problème fondamental reste fidèle à son inspiration chrétienne.
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Léonce nous avertit que rien de ce qu’il dit et écrit ne lui appartient en propre ; il se proclame le disciple des Pères. Ses écrits trahissent, en effet, une vaste et très solide érudition et laissent voir comme sources principales de son savoir, comme de sa pensée théologique entre autres, saint Basile, saint Grégoire de Nazianze et Cyrille d’Alexandrie qu’il suivit surtout dans sa christologie. C’est d’eux qu’il a tiré les principales notions de sa pensée métaphysique sur la nature et l’hypostase, le terme et l’idée d’enhypostasie, si décisif pour la solution du problème christologique. De plus il est le premier, à ce qu’il paraît, à mentionner pseudo-Denys ; il se réfère à lui plus d’une fois et sur des points fondamentaux de sa doctrine. C’est à son influence qu’est dû un certain esprit de mysticité qui fait son apparition dans ses écrits. Il faut bien se garder pourtant de prendre l’aveu de Léonce à la lettre. Pour quiconque se donnait comme défenseur de la foi, il n’y avait qu’une voie : proclamer qu’il ne fait que répéter ce qui a été déjà dit et prouvé par les Pères de l’Eglise. Dans un style plein, concis et hardi, une pensée subtile, très fine, parfois très difficile à suivre laisse voir en Léonce un esprit synthétique et profond. Avec quelle profondeur, quelle finesse et quelle netteté n’analyse-t-il pas les concepts reçus des Pères et quelle maîtrise ne montre-t-il pas dans la réfutation des arguments de ses adversaires. Il fait preuve d’une dialectique savante, qu’il sait manier avec rigueur et souplesse. Par l’analyse subtile de toutes les « apories », il a grandement contribué à l’établissement définitif de ce qui est orthodoxe, au rejet de ce qui ne l’est pas. Et par-dessus tout il a su faire de ce qu’il a reçu et de ce qu’il ajouta lui-même un tout cohérent et très systématique, exempt de contradictions. Les démonstrations prennent souvent la forme d’un théorème et trahissent un esprit familiarisé avec la pensée mathématique. Tout ceci, ainsi que la structure aristotélicienne de sa logique, ont fait dire de Léonce qu’il est un aristotélicien et qu’avec lui l’influence de Platon sur les Pères de l’Église commence déjà à céder le pas à celle d’Aristote. Contrairement à son aveu formel qu’il n’a pas appris la philosophie du dehors, cette philosophie tient une grande place dans son œuvre. Manifeste est surtout l’influence qu’exercèrent sur la formation de son esprit l’Isagoge de Porphyre et les catégories d’Aristote dans le commentaire qu’en fit Porphyre ou son élève. L’aveu de Léonce doit, peut-être, nous engager à chercher des intermédiaires entre Porphyre, son élève et Léonce. Quoi qu’il en soit, le fait est que Léonce a subi l’influence d’Aristote, mais son aristotélisme est presque tout à fait formel. Il fut un des premiers à utiliser abondamment les concepts logiques et spécialement les catégories d’Aristote. Il se place ainsi à la tête de la scolastique byzantine. Ceux qui rejettent l’aristotélisme de Léonce s’efforcent de voir en lui un platonicien ou un néoplatonicien. Ses idées anthropologiques, en effet, — la définition de l’âme, l’union du corps et de l’âme, les parties de l’âme, etc. — nous font plutôt penser tantôt à Platon et tantôt aux néoplatoniciens. Ceci dit, il faut ajouter qu’on ne gagne pas grand chose en qualifiant Léonce de platonicien. Je crois même que cette manière de voir la pensée chrétienne, tant à l’Orient qu’à l’Occident, comme un va-et-vient entre l’aristotélisme et le platonisme, ne nous apprend que trop peu de chose. On se contente de cette classification, on voit la forme de la pensée, un peu sa direction et on s’intéresse peu à son contenu substantiel, à son fond, à la vérité chrétienne qu’elle porte en elle. Pour prendre comme exemple Léonce, comment ne pas voir que la syllogistique aristotélicienne et l’anthropologie platonicienne sont utilisées ici pour un problème tout à fait nouveau, le problème christologique ? Si on ne voit pas cela on dira que Léonce est un aristotélicien pour la forme et un platonicien pour le fond, mais à la vérité on n’aura pas compris Léonce, ce chrétien que sa foi ardente pousse à saisir et à démontrer la nature du Dieu-homme. La pensée philosophique qu’il développe dans cet effort, est d’une originalité foncière et d’une profondeur qu’on n’a pas encore su évaluer à sa juste mesure.