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HB: ignorance

sábado 3 de fevereiro de 2024

  

Par là Il est soumis à notre ignorance, et souffre pour nos péchés. Mais alors, qui peut être délivré ? et par qui ? et de quoi ? Il vaudrait mieux demander, eu égard à cette liberté absolument inconditionnelle, Qui est libre maintenant et à jamais des limitations que la notion même d’individualité implique ? (aham cha marna cha, "Moi et le mien" ; kartâ’ham iti, "Je suis un être agissant (NA: Bhagavad Gîtâ, III, 27; XVIII, 17 ; cf. Jaiminîya Upanishad   Brâhmana, I, 5, 2 ; Brihadâranyaka Upanishad, III, 7, 23; MU;, VI, 30, etc. Également Samyutta Nikâya, II, 252 ; Udâna, 70, etc. A l’idée du "Je suis" (asmimâna) et du "Je fais" (kartâ’ham iti) correspond le grec oiesis = doxa (Phèdre  , 92 A, 244 C). Pour Philon   oiesis est à l’ignorance (I, 93) ; la pensée qui dit "Je plante" est impie (I, 53) ; "je ne trouve rien d’aussi honteux que de supposer que j’exerce mon esprit ou mes sens" (I, 78). Plutarque accouple oihma et tujos. C’est de ce même point de vue que saint Thomas dit que, "pour autant que les hommes sont pécheurs, ils n’existent pas du tout" (Sum. Theol., I, 20, 2, ad 4) ; et, en accord avec l’axiome Ens et bonum convertuntur, sat et asat ne sont pas seulement "l’être" et le "non-être", mais aussi le "bien" et le "mal" (Par ex. dans Maitri Upanishad  , III, 1 et Bhagavad Gîtâ, XIII, 21). Tout ce que "nous" faisons en plus ou en moins de ce qui est juste est une faute, et doit être regardé simplement comme n’ayant pas été fait du tout. Par exemple, "Dans la louange, omettre c’est ne pas louer, en dire trop, c’est mal louer, louer exactement, c’est louer effectivement" (Jaiminîya Brâhmana, I, 356). Ce qui n’a pas été fait "en règle" pourrait aussi bien n’avoir pas été fait du tout et n’est, à strictement parler, "pas un acte" (akritam, "unthat"), c’est la raison de l’accent redoutable mis sur la notion d’un accomplissement "correct" des rites et des autres actes. Il en résulte finalement que "nous" sommes les auteurs de tout ce qui est mal fait, et qui par là même n’est pas fait du tout en réalité, tandis que, de tout ce qui est effectivement fait, l’auteur est Dieu. De même que, selon notre propre expérience, si je fais une table qui ne tient pas debout, je ne suis pas menuisier et la table n’est pas réellement une table ; tandis que, si je fais une vraie table, ce n’est pas par moi en tant qu’homme, mais par l’"art" qu’en réalité la table est faite, "Je" étant seulement une cause efficiente. De la même façon le Soi Intérieur se distingue du soi élémentaire comme le moteur (kârayitri) se distingue de l’agent (kartri, Maitri Upanishad, III, 3, etc. ). L’opération est mécanique et serve ; l’agent est libre seulement dans la mesure où sa propre volonté est à ce point identifiée à celle de son maître qu’il devient son propre "patron" (kârayitri) "Ma servitude est liberté parfaite".)"). La liberté est par rapport à soi-même, au "Je" et à ses affections. Celui-là seulement est libre des vertus et des vices et de toutes leurs fatales conséquences, qui n’est jamais devenu qui que ce soit ; celui-là seulement peut l’être qui n’est plus désormais qui que ce soit ; on ne peut être libéré de soi-même tout en demeurant soi-même. La délivrance du bien et du mal, qui semblait impossible et qui l’est en effet pour l’homme défini comme agissant et pensant, celui qui, à la question : "Qui est-ce ? répond : "C’est moi", cette délivrance n’est possible qu’à celui-là seul qui, à la Porte du Soleil, à la question : "Qui es-tu ?" peut répondre : "Toi-même (NA: Jaiminîya Upanishad Brâhmana, III, 14, etc. Cf. mon "The ’E’ at Delphi", Review of Religion, nos. 1941.)". Celui qui s’est emprisonné lui-même doit se libérer lui-même, et cela ne peut se faire qu’en réalisant l’affirmation : «Tu es Cela". C’est aussi bien à nous de le libérer en connaissant Qui nous sommes, qu’à Lui de Se libérer lui-même en sachant Qui Il est. C’est pourquoi, dans le Sacrifice, celui qui l’offre s’identifie à la victime. 36 Hindouisme et Bouddhisme I L?Hindouisme Théologie et Autologie

Pour faire comprendre ce qui, dans cette chaîne de causes, est appelé à l’Éveil, il est bien mis en évidence que rien n’arrive par hasard, mais seulement par conséquence régulière : "Cela étant, il arrive ceci ; cela n’étant pas, ceci n’arrive pas (NA: Majjhima Nikâya, II, 32 ; Samyutta Nikâya, II, 28 et passim.)". L’avoir vérifié, c’est avoir trouvé la Voie. Car, dans "toutes les choses issues d’une cause", sont comprises "la vieillesse, la maladie et la mort" ; et quand nous connaissons la cause, il nous est possible d’appliquer le remède. Cette application est fondée sur le cycle de la "génération causale" dont on s’est rendu maître dans la nuit du Grand Éveil. Tous les maux dont la chair hérite sont inséparables du déroulement de l’existence et coessentiels à ce déroulement, et aucun individu ne peut les éviter. L’individualité est "conscience" ; conscience n’est pas essence mais passion, n’est pas activité mais suite de réactions où "nous", qui n’avons pas le pouvoir d’être ce que nous voulons et quand nous le voulons, sommes fatalement impliqués. L’individualité est mue et perpétuée par le désir, et la cause de tout désir est l’ignorance (avidyâ). Car nous ignorons que les objets de notre désir ne peuvent jamais être possédés au sens réel du mot ; nous ignorons que, lorsque nous avons saisi ce que nous désirons, nous désirons le garder, et sommes encore en état de désir. L’ignorance en question est celle des choses telles qu’elles sont en réalité (yathâ bhûtam) ; elle consiste donc à douer de substantialité ce qui est purement phénoménal. Elle est la vue du Soi dans le non-Soi (NA: Samyutta Nikâya, III, 162, 164, etc. L’"ignorance" est le manque à distinguer du Soi, un corps-et-une conscience.). 139 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En faisant de l’ignorance la racine de tout mal, le Bouddhisme rejoint toutes les doctrines traditionnelles (NA: Angutara Nikâya, IV, 195 : Dhammapada, 243, avijjâ param malam ; cf. Majjhima Nikâya, I, 263. Avec D., I, 70, sur l’engouement fatal qui résulte de la complaisance de la vue et des autres sens, cf. Platon  , Protagoras, 356 D, "c’est la puissance de l’apparence (to phainomenon = pali : rûpa) qui nous égare" ; 357 E : "être dominé par le plaisir constitue l’ignorance à son plus haut degré" ; 358 C : "Cet abandon à soi-même est exactement l’"ignorance", et la maîtrise de soi est tout aussi sûrement la "sagesse" (sophia = pali : kusalatâ). Cf. Lois, 389. De même Hermès, Lib., X, 8, 9 : "Le vice de l’âme est l’ignorance, la connaissance est sa vertu, Lib., XIII, 7 B, où l?"ignorance" est le premier des douze tourments de la mati  ère" (comme dans la Chaîne des Causes bouddhiste, cf. Hartmann   dans Journal of the American Oriental Society, 60, 1940, 356-360) et Lib., I, 18 : "La cause de la mort est le désir". Cf. Cicéron, Acad., II, 29 : "Nul homme ne pouvait être un sage (sapiens) s’il ignorait le commencement de la connaissance ou la fin du désir, et si, par suite, il ne savait ni d’où il devait partir, ni à quoi il devait arriver".). Mais nous devons nous garder de supposer qu’il s’agit ici de l’ignorance de choses particulières, et surtout de confondre l’ignorance traditionnelle avec le fait d’être illettré ; tout au contraire, notre connaissance empirique des faits est un élément essentiel de cette ignorance, qui rend possible le désir. D’ailleurs, une autre erreur ne doit pas moins être évitée : il faut se garder de supposer que la sagesse traditionnelle s’oppose à la connaissance utilitaire des faits positifs ; ce qu’elle demande, c’est que l’on reconnaisse dans ce qu’il est convenu d’appeler les "faits" ou les "lois scientifiques", non des vérités absolues, mais des formules statistiques de probabilité. La recherche de la connaissance scientifique n’implique pas nécessairement l’ignorance ; c’est seulement lorsque son motif est la curiosité, lorsque la science est poursuivie pour elle-même, ou l’art pour lui-même, que l’on se conduit comme un ignorant. En termes brahmaniques, c’est l’ignorance de Celui que nous sommes ; en langage bouddhique, c’est l’ignorance de ce que nous ne sommes pas. Il y a là simplement deux façons de dire la même chose, ce que nous sommes véritablement ne pouvant se définir que par ce que nous ne sommes pas. 140 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine

En d’autres termes, la Voie comprend d’une part une discipline pratique, et d’autre part une discipline contemplative. Le contemplatif est comparable à l’athlète, qui ne dispute pas le prix sans s’être auparavant "entraîné". Quand les Hindous parlent de Celui qui a compris (êvamvit) une doctrine donnée, ils n’entendent pas simplement celui qui a saisi la signification logique de ce qu’elle expose, mais celui qui l’a "vérifiée" en lui-même, qui est ce qu’il connaît ; aussi longtemps que nous avons seulement connaissance de notre Soi immortel, nous sommes encore dans le domaine de l’ignorance ; nous ne le connaissons réellement que lorsque nous le devenons ; nous ne pouvons réellement le connaître sans l’être... Il y a des modes de vie qui disposent à une telle réalisation, et il y en a d’autres qui en détournent. Arrêtons-nous donc pour considérer la nature de la morale pure, ou, comme l’on dit aujourd’hui, de l’"Éthique", en dehors de laquelle il n’y aurait pas de vie contemplative possible. Ce que nous appellerions la "sainteté en acte" est appelé, aussi bien dans les anciens textes hindous que dans les livres bouddhiques, une "Marche avec Dieu" (brahmachariya) (NA: Sutta Nipâta, 567, brahmachariyam samditthikam akâlikam. Cf. Atharva Vêda Samhitâ, XI, 5 ; Chândogya Upanishad, VIII, 5.) actuelle et éternelle. Mais il y a aussi une nette distinction à faire entre la doctrine (dharma) et sa signification pratique (artha), et c’est de celle-ci que nous nous occupons. 144 Hindouisme et Bouddhisme II Le Bouddhisme: La Doctrine