Duhem: LE RETOUR DES CRÉATURES AUX CAUSES ÉTERNELLES

Parmi les doctrines de Scot, il en est une qu’on a bien souvent donnée comme preuve de son Panthéisme ; c’est précisément une de celles où il avait pris, contre les interprétations panthéistiques, les plus minutieuses et les plus formelles précautions. Nous allons dire quelques mots de cette doctrine, non qu’il y ait lieu de la comparer aux enseignements d’Avicébron, mais parce qu’au sein de la Scolastique latine, certains docteurs la réprendront pour la défigurer.

Les créatures dont l’existence a eu commencement auront aussi une fin. De multiples exemples nous conduisent à penser que la durée de toute créature, tant corporelle que spirituelle, doit être un cycle fermé, dont la fin coïncide très exactement avec le commencement.

« La fin de tout mouvement, c’en est le commencement ; le mobile ne termine pas son mouvement dans une fin autre que le principe h partir duquel il a commencé de se mouvoir, auquel il désire sans cesse revenir afin de s’arrêter et de se reposer. Et non seulement nous devons entendre qu’il en est ainsi des diverses parties du monde sensible, mais aussi qu’il en est de même de tout l’Univers. La fin de l’Univers, c’en est le commencement ; c’est à ce commencement qu’il tend, c’est en lui qu’il s’arrêtera, non pour voir périr sa propre substance, niais pour revenir au sein des raisons d’où il est parti. »

« La raison véritable démontre donc, d’une façon qui inspire pleine confiance, que l’essence des choses sensibles.,… doit demeurer perpétuellement, car elle a été faîte dans la divine Sagesse, d’une manière immuable, hors de tout lieu, de tout temps, de tout changement. Au contraire, la nature qui a été engendrée dans le lieu et dans le temps, qu’environnent les autres accidents, doit périr après une durée définie d’avance par le Créateur de tontes choses ; quiconque possède la science que les études nous donnent n’en peut douter. »

Une fois que ces natures créées auront accompli l’existence qui leur a été assignée « sous les formes et les espèces », elles retourneront à leurs essences éternelles. À cette loi universelle, la nature humaine n’est point soustraite.

« Tous les arguments que nous avons tirés, soit de la nature des choses sensibles, soit de la nature des choses intelligibles, ont eu pour objet de démontrer que toute chose revient par une naturelle contrainte â son principe, soit sensible, soit intelligible. Ne tendent-ils pas, tout aussi bien, à nous faire croire sans aucune hésitation, que la nature humaine doit, elle aussi, retourner à son principe, principe qui n’est autre que le Verbe, au sein duquel elle a été faite, dans lequel elle subsiste et vit d’une façon immuable? Les preuves très certaines que les choses nous fournissent ne nous donnent-elles pas la force de comprendre cette vérité ? Dieu, en effet, est le principe de toutes les choses qui sont et de toutes celles qui ne sont pas ; des choses, veux je dire, qui tombent sous les sens corporels ou donnent prise aux contemplations intellectuelles, comme des choses dont la substance est si haute et si subtile qu’elles échappent aux intuitions de l’esprit aussi bien qu’aux sens du corps ; c’est Dieu qu’elles désirent, et nulle raison n’empêche leur désir de parvenir à son objet. Dès lors, qu’y a-t-il d’étrange à croire et à comprendre que la nature humaine, spécialement faite à l’image et à la ressemblance de l’unique et commun Principe de toutes choses, reviendra un jour à son point de départ ? »

Un jour, donc, chaque créature fera retour à sa substance éternelle et immuable, chaque substance à la cause primordiale dont elle dérive ; substances et causes sont, d’ailleurs, nous l’avons appris, de pures essences ou idées qui, non seulement, sont dans le Verbe de Dieu, mais qui sont le Verbe même ; il semble, dès lors, que ce que nous venons d’entendre conduise forcément à cette conclusion : A la fin du Monde, toutes les créatures se confondront, s’abîmeront en Dieu, en sorte qu’après la fin du Monde comme avant la création, il n’y aura plus qu’un seul être, Dieu.

Gardons-nous de prêter une telle pensée au fils de l’Érin. Il a pris des précautions multiples et minutieuses pour nous avertir qu’elle n’est pas sienne.

Pendant le temps qui s’est écoulé entre la création et la fin de l’Univers, chaque créature a possédé une mystérieuse dualité d’existence ; une existence à l’état d’ousia, d’essence, par laquelle elle était éternellement dans le Verbe, par laquelle elle était le. Verbe lui-même ; une existence à l’état de physis, de nature, par laquelle elle était une des choses changeantes du monde sensible. Après la consommation des temps, c’est un mystère semblable que Scot présente à notre méditation ; chaque créature est revenue à sa substance ; cette substance, d’une part, continue d’être ce qu’elle est éternellement, une idée de Dieu, c’est-à-dire Dieu lui-même ; mais, d’autre part, elle conserve son existence particulière, ce que l’Érigène nomme sa propriété (proprietas).

« Le globe de la terre, dit-il », sera uni au Paradis [terrestre], de telle façon qu’il n’y ait plus que le Paradis ; le ciel et la terre s’uniront ensuite, et il n’y aura plus que le ciel. Remarquez que, toujours, ce qui est inférieur se change en ce qui lui est supérieur… Le globe de la terre, qui est l’inférieur, se transforme en Paradis ; les choses terrestres, qui sont inférieures, se changeront en corps célestes. Ensuite, viendra la réunion de toute la création sensible et sa transformation en création intelligible, de telle sorte que l’Univers créé tout entier devienne intelligible. Enfin cet Univers créé sera réuni au Créateur ; dans le Créateur et avec le Créateur, il sera une seule chose. Là est la fin à laquelle tendent toutes les choses visibles et invisibles ; toutes les choses visibles passeront dans les choses intelligibles et les choses intelligibles en Dieu même ; et cela se fera par une admirable et ineffable union, mais non point, nous l’avons dit souvent, par une confusion ou par une destruction des essences ou des substances (mirabili et ineffabili adunatione, non autem, ut sæpe diximus, essentiarum aut substantiarum confusione et interitu).

« La nature avec toutes ses causes, dit-il encore, se mouvra en Dieu comme l’air se meut dans la lumière ; en effet, Dieu sera toutes choses en toutes choses, quand il n’y aura plus que Dieu seul. Nous ne sommes pas obligés d’affirmer pour cela que la substance des choses périra, mais seulement qu’elle retournera, par les degrés divers que nous avons dit, à quelque chose de meilleur. Comment pourrait-on dire qu’une chose périt, lorsqu’on démontre son retour à un état meilleur? »

Pour essayer de faire comprendre à son Disciple comment les créatures, revenues à leurs substances respectives, pourront être pleinement unies à Dieu et demeurer, cependant, parfaitement distinctes l’Érigène multiplie les comparaisons ; il cite et discute les textes de divers docteurs, de Saint Augustin, de Saint Grégoire de Nysse, de Maxime le Confesseur ; un texte de Saint Ambroise le conduit aux conclusions suivantes :

« Nous ne devons pas entendre que Saint Ambroise nous ait prétendu persuader de la contusion ou de la transmutation des substances, mais qu’il a voulu très évidemment enseigner une certaine union (adunatio) ineffable et inintelligible de nos substances. Rien ne subsiste, de la nature humaine, qui ne soit purement spirituel et intelligible, car, assurément, la substance même du corps est intelligible ; dès lors, il n’est pas incroyable, il ne répugne aucunement à la raison que ces substances intelligibles s’unissent ensemble, de telle sorte qu’elles soient, d’une part, une seule chose, et que, d’autre part, chacune d’elles no cesse point de posséder sa propriété et sa subsistance ; toutefois, les substances inférieures doivent se trouver, par là, contenues, dans les essences supérieures ; la saine raison ne permet pas, en effet, que les essences supérieures soient contenues, attirées, absorbées par les essences inférieures ; ce sont, au contraire, les essences inférieures qui sont attirées par les substances supérieures, qui sont absorbées par elles, non pas pour cesser d’exister, mais afin d’être mieux sauvegardées au sein de ces essences supérieures, d’y subsister et d’être une seule chose. »

Le Disciple se déclare satisfait des preuves et des explications que le Maître lui a prodiguées. « Je ne cherche point, dit-il, de plus nombreuses raisons qui me puissent persuader avec certitude de cette union des substances, de cette union que ne trouble aucune confusion, aucun mélange, aucune composition, qui est exempte de toute transmutation. »

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