Richir (PM:8-10) – primeira transformação do pensamento mítico

Avec la pensée mythologique – les récits mythologiques –, nous changeons de registre puisque ces récits, qui se déploient dans des sociétés où s’est institué l’État (la royauté, le pouvoir politique coercitif), sont toujours récits de fondation de l’ordre cosmique et socio-politique, où, au terme d’intrigues complexes entre de tout nouveaux « personnages » nommés dieux, l’un d’entre eux acquiert la souveraineté où la souveraineté royale est censée trouver la source de sa légitimité. La pensée mythologique est ainsi ce type de pensée où les dieux font leur entrée en scène symbolique, prennent pour ainsi dire naissance. Cela implique plusieurs transformations [9] d’importance par rapport à la pensée mythique. La première est bien évidemment le fait que les récits mythiques, dans leur multiplicité d’origine, font place, en droit, à un récit fondateur. Mais ce mouvement est en lui-même extrêmement complexe. Contentons-nous d’en exhiber, ici, les traits principaux. Tout d’abord, les êtres ou personnages, « composites » parce qu’en perpétuelle métamorphose, des mythes, disparaissent, au moins pour une part, pour faire place aux dieux, êtres ou personnages pourvus d’une identité symbolique beaucoup plus stable, et portant, par surcroît, sur eux, comme par un effet de surdétermination, une diversité de « pouvoirs », que nous qualifions, quant à nous, issus de la philosophie, comme pouvoirs « naturels » ou « surnaturels », plus ou moins « manifestes » ou « occultes ». Les dieux sont beaucoup moins susceptibles de se métamorphoser, comme dans les mythes, selon une « logique » qui leur échappe, et s’ils se métamorphosent, comme dans l’épopée ou dans les « légendes » – ces dernières sont sans doute les résidus persistants des mythes dans l’institution de la pensée mythologique –, c’est soit par calcul ou par ruse, soit par l’effet d’un calcul ou d’une ruse – plus ou moins bons ou réussis –, donc par le jeu de délibérations ou de conflits : les dieux sont jusqu’à un certain point maîtres de leur métamorphoses, et en tout cas, le plus grand d’entre eux, celui qui, au terme du récit de fondation, institue véritablement l’ordre du monde et de la société, l’est absolument, par le règne qu’il établit sur la « société » des dieux. Cela donne à la pensée mythologique cette apparence d’anthropomorphisme qu’il ne faut cependant pas pousser trop loin, dans la mesure où, si les dieux entrent rapidement, au cours du récit mythologique, en conflit, si donc il y a des vaincus et des vainqueurs, le processus même de la mise en place de la société stabilisée des dieux échappe à leur maîtrise : chacun est aveuglément cantonné dans son rôle, et en ce sens les dieux – à l’exception de l’ultime roi qui les domine – sont à la fois fous, bestiaux et stupides [[Nous pensons aux retournements possibles de la formule célèbre d’Aristote : celui qui vivrait, solitaire, hors société, serait un fou ou un dieu.]]. Ils ressemblent plus à des animaux symboliques du symbolique, machinés par l’intrigue symbolique du récit symbolique de fondation, qu’à des hommes : et si les hommes leur ressemblaient, ce qui leur arrive quand ils sont pris de la mania divine – dans l’épopée ou dans les « légendes » –, ils n’en sont pas moins fous, bestiaux ou stupides, broyés par les machinations des dieux dont l’ordre se rétablit à leurs dépens. Quant à l’ordre stabilisé des dieux, il est lui-même codé dans la société par la piété qui leur est due, comme une dette symbolique, à travers l’institution symbolique des pratiques religieuses (temples, prêtres, cultes, rituels). L’hybris dévastatrice des hommes se manifeste toujours par un outrage initial fait à l’équilibre censé être stable des dieux, dont la vengeance est implacable parce qu’elle ne consiste en rien d’autre qu’à rétablir l’équilibre cosmique et social un instant rompu. On aperçoit par là combien la pensée mythologique est complice de, ou plutôt liée à l’institution symbolique de la royauté : elle est tout aussi « conservatrice » que la pensée mythique, sauf qu’elle est, cette fois, légitimation de l’autorité, et de toute autorité, sur la société. L’institution symbolique est à présent, irréductiblement, du même coup, institution de l’État et de structures, mais non moins à distance de l’Un, quoique d’une tout autre manière, que ne [10] l’était la pensée mythique : la complexité des récits mythologiques montre que la fondation de l’ordre cosmo-socio-politique légitime – fondation distincte de l’institution en ce qu’elle s’élabore à partir des termes symboliquement codés par l’institution en les recodant et en les surdéterminant par là à son tour pour créer ou élaborer le sens de l’institution –, que cette fondation est fort loin d’être une tâche facile ou « évidente ». Alors même que la pensée mythique avait pour ainsi dire cet avantage constitutif de n’avoir à traiter que des problèmes symboliques situés et circonscrits, la pensée mythologique se voit en quelque sorte confrontée à cette tâche impossible de devoir traiter de l’institution symbolique dans son ensemble comme du seul problème symbolique qui se pose véritablement. C’est le problème posé par le surgissement de l’Un du pouvoir, du pouvoir coercitif comme Un, c’est-à-dire par le risque d’implosion chaotique de l’institution symbolique tout entière : ce risque est pareillement appréhendé comme une véritable catastrophe symbolique, contre laquelle il faut se prémunir, quoique tout autrement que dans la pensée mythique, puisque l’Un, précisément, s’est institué, en l’absence de son origine. Nous aurons largement l’occasion d’y revenir, mais disons aussitôt que la fondation n’est rien d’autre que la manière réglée, et en elle-même stabilisée, de mettre à distance cette catastrophe symbolique, et que les « ratés » de la fondation sont figurés, dans les récits mythologiques, par ces « familles » de dieux (chez Hésiode : Ouranos, Cronos’) où règne encore de l’hybris ou de l’excès – comme si la fondation ne pouvait se trouver que par « à-coups » successifs, le risque ou le danger devant être reconnu, recodé ou identifié avant de pouvoir être conjuré (chez Hésiode, dans la « famille » olympienne tenue en respect par la souveraineté de Zeus).

Cela donne enfin aux récits mythologiques une allure téléologique globale : sans que cela signifie encore l’émergence d’une « rationalité » qui calculerait ses effets, fût-ce de façon imaginaire – c’est là une représentation ethnocentriste, excessivement centrée sur la philosophie –, cela signifie tout au moins l’émergence d’une pensée concertée – y compris, et peut-être surtout au sens étymologique – en vue de la fondation : simplement, pourrait-on dire, car il s’agit là, en réalité, d’une énigme, les repères symboliques de ce type de pensée se sont condensés dans les dieux. C’est dire, nous y reviendrons, que la pensée mythologique est loin d’être une pensée « inconsciente », et que les dieux sont loin d’être assimilables à des « signifiants » (en un sens lacanien ou quasi-lacanien) de l’inconscient symbolique.

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