Henry (1963) – verdade e revelação

(MHEM)

Que le fondement soit, en fait, de part en part « phénomène », qu’il soit la vérité, et cela en un sens ultime et originaire, c’est ce qui ne pourra être compris que lorsqu’une élucidation radicale du concept de phénomène aura guidé la problématique jusqu’à l’idée d’une révélation qui ne doit rien à l’œuvre de la transcendance. 7

La phénoménologie reçoit une signification radicalement différente lorsqu’elle comprend que sa tâche n’est pas de soumettre la réalité à élucider, par exemple le fondement, à un type de manifestation univoque conçu comme la vérité transcendantale universelle, mais de se demander s’il n’existe pas un autre mode de révélation dont la prise en considération peut seule nous introduire au problème du fondement. 7

C’est cette structure qui constitue en réalité le fondement de toute la philosophie religieuse de Fichte, de sa conception du Christ qui a su reconnaître en lui l’identité de son être et de celui de Dieu – se donnant en cela non comme l’exception ou le paradoxe mais comme la loi universelle de toute existence qu’il appelle seulement à reconnaître en elle cette loi comme son destin le plus propre et le fondement assuré de son salut –, de son interprétation de la vérité qui, comme identique à l’existence en l’homme de l’absolu, « existe », est « accessible aux hommes », est un bien, de son horreur enfin, qui l’apparente aux plus grands penseurs religieux et, par exemple, à Kierkegaard, pour tout ce qui méconnaît une telle vérité dans ce qu’elle est, comme la révélation de l’absolu lui-même dans son être intime, pour tout scepticisme comme pour tout relativisme en général. 38

C’est cette incompatibilité des structures phénoménologiques essentielles qu’exprime encore Eckhart quand, à propos de « la vérité » comprise par lui comme l’essence originelle de la révélation dans son opposition au milieu idéal de la connaissance, il dit simplement : « la vérité est chose intérieure et on ne peut la trouver dans ses manifestations extérieures ». 49

Voilà pourquoi, parce que l’être-caché de l’essence, non son aperception dans la lumière, constitue comme tel, dans sa nuit, dans cette nuit essentielle de l’essence, sa révélation et l’effectivité de sa phénoménalité, sa « vérité », « la vraie lumière brille dans les ténèbres bien qu’on ne s’en aperçoive pas ». 50

Ce qui fait qu’un tel savoir est vrai cependant — indépendamment de la question de sa possibilité interne, laquelle réside dans l’auto-affection de l’acte de l’intuition, c’est-à-dire précisément dans l’affectivité qui constitue ainsi la révélation de ce savoir et sa vérité en un sens absolu — ce qui fait, pour parler d’une manière plus précise par conséquent, la vérité de son contenu transcendant, c’est la réalité de la relation représentée dans l’essence intuitionnée. 59

De même en est-il par exemple chez Fichte où, après que le sentiment, ou du moins une de ses modalités, à savoir l’amour, a été compris dans la nouvelle philosophie de l’existence comme l’essence même de celle-ci, de la vie et de la réalité, et bien plus, comme leur expérience, comme l’expérience même de l’absolu et sa manifestation, comme la source de toute certitude par suite et de toute vérité, comme celle de la béatitude, ce caractère phénoménologique interne du sentiment et le pouvoir de révélation qui lui appartient en propre se trouvent une fois de plus, et comme la conséquence encore d’un préjugé capable de recouvrir l’intuition vivante d’une pensée aussi bien que l’influence sur elle d’un contenu dogmatique dont elle se veut l’explicitation, oubliés ou pour mieux dire explicitement niés. « 59

En opposant d’emblée celle-ci, la vérité de la douleur, à la douleur elle-même, à son caractère douloureux, Lachelier situe ailleurs que dans un tel caractère, ailleurs que dans l’affectivité de la douleur, le pouvoir de révélation qui lui confère l’être en la rendant manifeste. 60

Car aucune signification accolée à l’être de la souffrance ne peut changer quoi que ce soit à ce dernier, diminuer en rien le poids de sa présence, ni travestir sa « vérité », cette vérité qui lui est consubstantielle, qui est sa propre révélation comme constituée par son affectivité et par le mode selon lequel celle-ci s’accomplit en lui, comme constituée précisément par la souffrance. 62

Qu’il n’en soit pas ainsi cependant, que la vérité du sentiment, à savoir le contenu qu’il manifeste, soit constituée par le sentiment lui-même et par rien d’autre, c’est là ce qui ruine la prétention de fonder sur celui-ci le contenu d’une thèse doxique et, en même temps, les objections dirigées contre le pouvoir de révélation de l’affectivité lorsque ce pouvoir est interprété comme la position d’un contenu de ce genre et en général comme une position. 63