(MHEM)
La philosophie de l’être trouve son origine dans l’ontologie grecque mais, comme l’a noté Heidegger, celle-ci demeure très souvent naïve en ce qu’elle considère l’étant tel qu’il s’offre à nous, prenant comme allant de soi son être-donné au lieu de le considérer en et pour lui-même, et de s’interroger décidément sur lui. 11
Le déjà de l’être-donné du sentiment ne concerne pas le passé de celui-ci, rien qui se propose comme déjà là au pouvoir qui le découvre. 53
L’être de l’effort, se réalisant dans le sentiment, est sa passivité originelle à l’égard de soi, son être-donné à soi-même dans le souffrir comme se souffrir soi-même, est sa douceur. 53
L’être-originel de l’impression est confondu avec son être-constitué, avec son insertion dans le corps propre, les sensations ne sont plus précisément que nos affections organiques et c’est dans leur relation à celles-ci, « c’est parce qu’elles sont liées à ces affections et plongent en quelque sorte leurs racines dans nos viscères » que les choses sensibles « nous sont données et qu’elles existent pour nous », — l’être-donné de la chose n’étant plus saisi, ultimement, dans l’affectivité de la sensation, c’est-à-dire aussi bien dans l’auto-affection originelle du sujet constitutive de son être même, mais, d’une manière absurde, dans la connexion établie entre deux réalités transcendantes, entre la chose et le monde organique auquel elle est « liée » selon la représentation naïve du réalisme. 57
C’est ce pouvoir d’accomplir l’œuvre ontologique originelle de la donation qui se trouve confusément pensé sous le concept de la cœnesthésie pour autant que celui-ci ne désigne pas seulement une dimension spécifique de la sensibilité, mais plutôt son fondement universel, à savoir l’être-donné de toute sensation comme telle. 57
Encore celle-ci ne concerne-t-elle pas l’auto-affection elle-même et ne vise-t-elle même plus à la fonder, elle « fournit la matière de la conscience mais ne suffit pas à la constituer elle-même » : la sensation au lieu de porter en elle, comme sensation vivante et dans son immanence originelle, la possibilité de l’être-donné, n’est plus précisément que la « matière de la connaissance », quelque chose de transcendant qui présuppose hors de soi au contraire une telle possibilité, la possibilité de la connaissance et de l’expérience en général. 57
L’être-donné n’appartient pas à la douleur elle-même ni à ce qui constitue son essence, l’essence de l’affectivité en elle, il est le fait d’un pouvoir extérieur à celle-ci et qui est l’extériorité elle-même comme telle. 57
Ce qui constitue la condition de toute affection et de toute expérience, de tout ce qui est susceptible de nous être donné, l’être-donné lui-même considéré en tant que tel, dans sa possibilité intrinsèque et dans sa réalité propre, c’est là ce qu’on appelle une Forme, l’élément transcendantal du réel et ce qu’il y a d’ontologique en lui. 57
Voilà pourquoi la sensibilité elle-même et l’affectivité enveloppent des éléments représentatifs, comme la condition même de leur effectivité dans l’être-donné. 57
C’est pourquoi un tel développement, la forme elle-même considérée dans son rapport à ce qu’elle rend possible, n’est pas elle-même possible, aussi longtemps que son être originel et, par suite, la possibilité d’agir, ne lui sont pas donnés dans l’être-donné originel qui la constitue. 57
Après avoir défini la condition phénoménale de l’état affectif comme son être-donné dans une fonction de saisie dont la structure, qu’il s’agisse d’une perception affective ou d’une simple perception interne, d’un acte de l’attention ou de la réflexion, est en tout cas l’intentionnalité, il faut reconnaître que celle-ci laisse échapper ce qu’on prétend atteindre en elle. 64
C’est en ce sens ultime qu’il convient d’entendre la proposition selon laquelle le sentiment sensoriel « est donné… comme fonde sur l’être-donné d’une partie quelconque déjà délimitée du corps propre, précisément comme un état de cette partie ». 66
La détermination ontologique fondamentale de l’affectivité comme immanence et, par suite, du sentiment comme contenu immanent, ne se heurte-t-elle pas à une nouvelle objection si le sentiment est susceptible, non seulement d’être localisé dans le corps propre ou référé en général à un moi empirique, mais de se donner encore lui-même et de façon immédiate à une perception, de se proposer ainsi lui-même comme le contenu transcendant de celle-ci ? L’être-donné du sentiment lui-même dans la perception est un fait d’expérience, bien plus, il détermine et fonde une région de celle-ci, s’il est vrai que la connaissance d’autrui ne peut être le produit d’une démarche discursive au terme de laquelle l’état psychique de l’autre se trouverait problématiquement posé par analogie avec le mien dans une situation semblable, mais présuppose justement la saisie immédiate de cet état et consiste en elle, consiste dans la perception du psychisme de l’autre et, par exemple, de son sentiment. 67
L’être-donné du sentiment lui-même dans la perception se propose en tout cas comme un fait incontestable lorsqu’il est question, non plus de la relation à autrui, mais de l’expérience par le sujet de ses propres états. 67
La pression de ces derniers ne suffirait pas à elle seule en effet à créer le besoin, lequel, comme besoin de quelque chose, implique toujours l’être-donné préalable, comme bien, de ce dont il est le besoin, c’est-à-dire historiquement la production effective de ce bien. 68
Car le sentiment de l’absence d’un pouvoir positif dans un domaine donné n’est pas quelque chose de négatif mais suppose, comme le remarque Scheler avec force, « une authentique conscience de pouvoir ou du moins… le pouvoir encore indifférencié de la personne elle-même » et le transfert de ce pouvoir authentique dans un domaine où il ne peut encore s’exercer, suppose en tout cas la réalité, à savoir l’être-donné dans l’affectivité, d’un pouvoir quelconque, différencié ou non, capable déjà ou non de s’exercer, l’être-donné de l’existence elle-même dans la réalité de son affectivité. 68