(MHEM)
Ainsi voit-on la signification authentique de l’ontologie grecque être complètement falsifiée par Hegel qui prétend réduire une telle ontologie à un moment dans l’évolution de la conscience. 4
Son objet, c’est le mode de manifestation de ce qui se manifeste, c’est, comme le disait déjà Hegel commentant les religions de la lumière, « la simple manifestation ». 8
L’immanence du savoir absolu au sein du savoir non vrai est ce qui nous permet de répondre à la question de Hegel : comment le savoir vrai peut-il faire la preuve de sa vérité contre le savoir non vrai ? Affirmera-t-il simplement qu’il est le vrai savoir ? « Par une telle assurance, remarque Hegel, il déclarerait en effet que sa force réside dans son être, mais le savoir non vrai fait également appel à ce même fait qu’il est. » 8
Ce n’est pas seulement chez les postkantiens, et notamment chez Hegel, que la conscience est identifiée dans son concept avec le phénomène ontologique de l’aliénation de l’être et de son opposition à lui-même ; cette conception domine en fait l’ensemble de la philosophie de la conscience, elle trouve son illustration en même temps que sa formulation la plus générale dans la compréhension de l’essence de la conscience comme « représentation ». 11
Le rapport est le terme concret ; abstraits au contraire sont les termes entre lesquels le rapport s’institue : « le subjectif pur tout autant que l’objectif pur, dit Hegel, est une abstraction ». « 11
En tant qu’il est le rapport, le sujet est l’établissement et le maintien d’une distance, le pouvoir ontologique qui déploie l’horizon, la spatialité originaire et transcendantale qui ouvre l’endroit où quelque chose peut se manifester, il se distingue de ce quelque chose comme le milieu pur et par lui-même privé de détermination où la détermination est susceptible d’apparaître : « La conscience, dit Hegel, est elle-même l’espace privé de déterminabilité. » 11
Parce que le néant est immanent à la détermination ontique comme ce qui la fait être, on peut dire avec Hegel que « la vie concrète de la déterminabilité est… l’opération de se dissoudre ». 13
La lumière, dit Hegel dans la Philosophie de l’Histoire, n’est vivifiante que si elle s’applique au différent d’elle-même, agissant sur lui et le faisant fructifier. » 13
Hegel rapporte les propos d’Hérodote selon lesquels les Perses n’avaient pas d’idoles et se riaient des représentations anthropomorphiques des dieux. 13
Ces conditions qui postulent l’effectivité de l’aliénation, Hegel devait les comprendre à son tour comme les conditions de la réalisation de l’essence, c’est-à-dire de l’absolu. 14
La conscience de quelque chose est la conscience extérieure de l’objet, ce que Hegel appelle la « conscience ». 14
Pour cette raison on ne peut que mettre en cause l’affirmation de Hegel selon laquelle « la manifestation immédiate de la vérité est l’abstraction de son être-présent ». 17
Par manifestation immédiate de la vérité, Hegel entend la manifestation de l’étant. 17
Parlant de la communauté religieuse primitive et de son désir tourné vers le passé, Hegel dit que « à la base de ce retour en arrière se trouve certes l’instinct d’aller jusqu’au concept, mais il confond l’origine, comme l’être-là immédiat de la première manifestation, avec la simplicité du concept ». 17
C’est parce qu’il ne prend pas garde à l’être que le savoir naturel est seulement, selon la parole de Hegel, « le concept du savoir », concept désignant ici la simple « représentation de quelque chose en général », par opposition au concept absolu dans lequel le savoir se saisit lui-même dans son essence même, dans lequel l’absolu est présent à lui-même dans son absoluité. 18
Car l’existence peut très bien se comprendre et se comprend effectivement dans le judaïsme, selon Hegel, comme inessentielle. 19
Bien qu’elle semble introduire la problématique dans la dimension originelle de l’être pour-soi, la distinction instituée par Hegel entre ce qui est pour la conscience et ce qui est pour nous, lui demeure en fait radicalement étrangère, elle ne concerne pas la structure ontologique de l’être-pour-soi. 19
L’examen des diverses modalités à l’intérieur desquelles l’existence se comprend elle-même, se poursuit dans l’abstraction parce que, comme le dit lui-même Hegel, « l’abstraction est justement ce qui n’est pas authentiquement, ce qui seulement est pour la conscience. » 19
Il est vrai que par « ce qui seulement est pour la conscience » Hegel entend ce qui vaut pour la conscience non philosophique qui n’est pas encore parvenue au savoir de soi. 19
La « manifestation de l’esprit » dans le savoir vrai, ce que Hegel appelle improprement la phénoménologie de l’esprit, n’est pas la manifestation de l’esprit qui constitue l’essence même de celui-ci, l’essence de la conscience et de l’existence en général, elle n’est pas la réalité, mais seulement une représentation de celle-ci à l’intérieur d’un acte déterminé de la conscience. 19
L’expérience est, selon Hegel, l’expérience que la conscience fait de la vérité. 20
C’est pourtant ce qu’en fait Hegel. 20
Le mouvement de la conscience dans l’expérience trouve ainsi son principe, selon Hegel, dans ce que cette conscience se représente, et cela non seulement au sujet de l’objet, mais encore à propos d’elle-même. 20
Ce mouvement de la conscience est pourtant considéré par Hegel comme constitutif de la réalité. 20
A cette histoire de l’expérience de la conscience, toutefois, Hegel assigne un but, celui pour cette conscience de se comprendre elle-même telle qu’elle est en soi. 20
Cette compréhension de soi de la conscience dans son essence, Hegel l’attribue cependant à la conscience qui fait l’expérience, et cela comme une condition, comme un principe qui rend cette expérience possible. 20
En la confondant avec l’être-pour-soi qui constitue la structure ontologique originaire de la conscience, Hegel n’obtient pas seulement l’avantage de placer la représentation de son savoir par la conscience au début de l’expérience et de pouvoir en faire par suite un ressort de celle-ci – ou plutôt cet avantage peut encore s’exprimer autrement en disant, comme le fait Hegel, que non seulement les deux moments, l’objet et le savoir, sont pour la conscience, mais encore que la comparaison est elle aussi son fait « de sorte que, quand la conscience s’examine elle-même, il ne nous reste de ce point de vue que le pur acte de voir ce qui se passe » sans intervenir nous-mêmes. 20
Cette immanence à la conscience du principe du mouvement de son expérience, Hegel l’interprète toutefois comme une présentation explicite à la conscience des éléments qu’elle examine, comme une présentation dans la représentation. 20
L’expérience est précisément pour Hegel un examen par la conscience d’objets qu’elle se représente. 20
Après avoir dit que tout est pour la conscience, Hegel doit dire – précisément parce que cet être-pour-la-conscience est seulement un être pour et dans sa représentation – que quelque chose aussi pourtant n’est pas pour elle. 20
Qu’est-ce donc qui n’est pas pour elle mais seulement pour nous ? Le mouvement de l’expérience est, selon Hegel, celui par lequel la conscience s’aperçoit que l’objet qu’elle prenait jusque-là pour l’en-soi, la vérité, est seulement en réalité un en-soi pour elle, et que, par conséquent, c’est l’être-pour-elle de cet en-soi qui est, en fait, la vérité. 20
L’intellectualisme, que ce soit celui de Hegel ou de Freud, est une doctrine de l’inconscient. 20
Le mouvement de l’expérience trouve son origine, selon Hegel, dans l’inégalité qui existe entre la conscience de l’objet et la conscience de soi, dans la différence, dit Heidegger, entre le savoir naturel et le savoir réel. 20
Comment cette différence entre deux termes dont l’un seulement est « pour elle » peut-elle entrer néanmoins dans la vie de la conscience de manière à y devenir agissante et à déterminer en elle un mouvement ? Hegel ne concevait pas cette possibilité autrement qu’en faisant de l’autre terme, de l’être-en-soi de la conscience, quelque chose qui est aussi, d’une certaine façon, « pour elle ». 20
En confondant ainsi la signification ontologique et la signification existentielle de l’être-pour-soi, Hegel faisait du savoir réel une représentation. 20
L’absolu, dit Hegel, est essentiellement Résultat. » 21
C’est cette homogénéité qui permet à Hegel de partir de l’un pour arriver à l’autre, de partir du savoir phénoménal pour s’élever à « l’absolu ». 21
En s’élevant à l’« absolu » à partir du savoir phénoménal, Hegel croit pouvoir s’opposer à Schelling qui ne peut expliquer comment la conscience parvient au savoir absolu, ou, inversement, comment elle s’en sépare. 21
C’est avec ces restrictions, à vrai dire essentielles, qu’il convient d’entendre ce texte de Hegel : « mais en ce qui concerne l’être-là de ce concept dans le temps et dans l’effectivité… comme l’esprit qui sait ce qu’il est, il n’existe pas autrement et il n’existe qu’après l’accomplissement du travail par lequel… il se crée pour sa conscience la figure de son essence et de cette façon égalise sa conscience de soi avec sa conscience ». 21
La conscience de soi, dont Hegel dit contre Fichte qu’elle ne surgit qu’après un processus préliminaire, n’a donc à la rigueur aucune signification ontologique, elle ne saurait désigner la structure de l’essence ni lui appartenir. 21
Il est donc faux de dire, comme le fait Heidegger à la suite de Hegel, que « la représentation appartient à l’essence de l’expérience », ou encore que « la représentation de l’expérience est voulue à partir de l’essence de l’expérience comme lui appartenant ». 21
Si, comme le dit lui-même Hegel, une pensée pure est « celle qui se tourne vers le commencement des choses », l’ontologie ne sera cette pensée pure, elle ne préservera sa pureté que dans la claire conscience de ce qui était avant elle. 21
Ce qui était avant elle était déjà l’esprit, car, comme le dit encore Hegel, « ce que l’esprit est, il le fut toujours en soi ». 21
L’obscurité qui est celle, chez Hegel aussi bien que chez Heidegger, du statut du savoir naturel et de l’immanence en lui du savoir réel, appartient en réalité au concept inélaboré de cette immanence en tant que celui-ci ne désigne pas seulement, d’une manière explicite et dans l’évidence de son contenu, le rapport de l’essence à ses modes, mais encore, quoique de façon cachée, la structure propre de celle-ci, la structure interne du savoir réel et son fondement. 36
Et que ce parvenir originaire de l’essence en soi-même ne soit pas constitué par l’objectivation, qu’il ne puisse, comme le veulent Hegel et Heidegger, en être la conséquence, cela résulte justement de ce qu’il en est la condition. 36
Si, comme le veut Hegel, « il n’y a d’intérêt que là où il y a opposition », c’est qu’il n’existe dans l’essence ni intérêt ni quoi que ce soit de semblable et, moins que toute autre chose, un intérêt à l’égard de soi. 37
Cette plénitude de l’essence séparée de toutes les déterminations du monde et à laquelle pourtant rien ne manque, cette richesse d’une réalité sans limite qui se perd dans sa propre profusion et se confond entièrement avec elle, l’expérience de l’être dans sa nudité, dans sa simplicité, dans sa totalité, cette expérience sans partage qui est l’être lui-même, c’est là ce que le jeune Hegel se représentait comme le contenu de la conscience religieuse. 37
A l’esprit, à la vie, disait le jeune Hegel, ce qu’ils reçoivent n’est pas donné, ils le deviennent par eux-mêmes, cela passe en eux de telle sorte que cela est désormais une modification d’eux-mêmes, leur vie. » 37
C’est pourquoi une telle unité n’a, malgré l’apparence, rien à voir avec celle que, par exemple, le jeune Hegel reconnaîtra entre Jésus et Dieu et dont il affirmera, à l’encontre de la mentalité juive, l’existence. 40
Que l’essence originelle de la vie ne se manifeste point dans l’objectivité et que celle-ci ne puisse en conséquence nous unir à cette essence mais seulement nous séparer d’elle, séparer d’avec soi tout ce qui est vivant, le jeune Hegel en avait eu encore l’intuition quand, à propos de la première communauté religieuse formée par le Christ et ses disciples, et parlant de la disparition de celui-ci, il montre dans la suppression de son être-objectif non la suppression précisément mais la condition de son rapport avec eux : « quand il se fut éloigné, dit-il, tomba aussi cette objectivité, cette cloison entre eux et Dieu ». 46
S’« il peut être utile d’éviter le nom de Dieu », ce n’est donc pas, comme le pense Hegel, parce qu’il s’agit là précisément d’un nom, lequel « n’est pas immédiatement et en même temps concept », mais, bien au contraire, en raison de la structure même de celui-ci et de son mouvement. 46
Dieu, disait le jeune Hegel, ne peut être objet d’étude ou d’enseignement, car il est la vie et ne peut être compris que par la vie. » 46
La signification que revêt celle-ci de constituer non une voie mais un obstacle pour celui qui veut se joindre à l’essence, Eckhart l’affirme aussi quand, avant le jeune Hegel, il relève la parole du Christ à ses disciples — « non pas seulement [à] ses disciples d’alors mais [à] tous ceux qui deviendraient encore ses disciples et voudraient le suivre vers la plus haute perfection » —, « il est bon pour vous que je m’en aille ». 49
Parce que la découverte de l’invisible comme constituant l’essence originelle de la révélation et son effectivité est celle de la réalité, la critique dirigée contre le christianisme par le jeune Hegel et si souvent reprise après lui, l’idée que, le Royaume de Dieu tel qu’il le comprenait n’ayant point place sur terre, Jésus, ne pouvant vivre en lui mais seulement le porter dans son cœur, le transféra au ciel et, cherchant en celui-ci un refuge contre le monde, constitua ainsi dans l’idéalité une vie déçue, est seulement absurde. 51
Qu’il n’y ait point de sentiment faux ni d’erreur ou d’illusion incluse en lui, dans sa réalité propre, que toute erreur et toute illusion le concernant trouvent au contraire leur principe hors de lui, dans l’interprétation qu’en propose la pensée et dans le Logos où elle se meut, c’est là ce qui rend sans objet la critique instituée par Hegel contre ce qu’il présente comme une opinion du sens commun, opinion sur laquelle se fonde justement l’arbitraire de toutes les opinions, à savoir l’affirmation que le sentiment ne trompe point et que toute vérité trouve en lui son fondement et son assurance dernière. 63
C’est pourquoi, dans cette prétention de se fonder sur ce qu’il sent en soi-même et sur son sentiment intérieur, le sens commun, dit encore Hegel, « foule au pied la racine de l’humanité, car la nature de l’humanité c’est de tendre à l’accord mutuel ». 63
La vérité cependant que le sens commun, selon Hegel, prétend fonder sur ce qu’il sent en lui-même et sur son sentiment intérieur, n’est pas la vérité de celui-ci, la vérité qui trouve son essence et son contenu dans l’affectivité elle-même, c’est chaque fois une thèse de la pensée, à savoir qu’il y a ou qu’il n’y a pas de progrès dans l’histoire de l’humanité, que les hommes sont méchants par nature ou qu’ils sont bons, que la guerre est inévitable, l’amour aveugle, l’égalité une utopie, etc., 63
Pour cette raison la critique instituée par Hegel contre l’attitude décrite comme celle du sens commun ne vise en aucune façon, comme il le croit pourtant, le sentiment lui-même ni le pouvoir de révélation qui lui appartient en propre. 63
Elle ne pourrait le faire que si l’on comprenait la vérité rendue manifeste par un tel pouvoir comme identique à celle de la pensée, ce qui est précisément la thèse du sens commun, laquelle se ramène ainsi à celle de Hegel selon laquelle toute vérité procède de la pensée et se fonde sur elle. 63
Les présuppositions qui constituent cet horizon trouvent chez Hegel une formulation systématique particulièrement remarquable. 70
Seule une interprétation superficielle qui fait déchoir la pensée de Hegel du plan ontologique où elle se meut, à un ensemble de considérations d’ordre ontique, peut prétendre contraindre la philosophie, et celle de Hegel en particulier, à poser la question de savoir ce qui est premier, du réel et de l’être, ou bien de l’esprit. 71
La grande ruse, dit Hegel, c’est que les choses soient comme elles sont… il y a simplement à les prendre dans leur phénoménalité… L’essence de l’essence est de se manifester. » 71
La détermination du réel comme Esprit nous montre que le problème de la révélation est essentiel pour Hegel. 71
Si l’essence de l’essence est de se manifester, il faut dire en quoi consiste cet acte de se manifester, quelle est l’essence de cette essence de l’essence, quelle est l’essence de la manifestation telle que la comprend Hegel ? L’essence de la manifestation est comprise par Hegel d’une façon traditionnelle (depuis Descartes) à partir du phénomène de la conscience. 71
Il n’y a lieu, en aucune façon, de parler ici d’une opposition entre Fichte et Schelling ni, par suite, d’une synthèse que Hegel aurait eu à réaliser entre les deux philosophes. 71
Il n’y a point d’opposition non plus, sur ce point essentiel, entre Schelling et Hegel. 71
De la même façon, et cela dès ses premiers travaux, Hegel pose l’équivalence, qui traversera toute son œuvre, de l’identité et de la nuit. 71
Hegel le dit explicitement : « Le principe du dualisme appartient au concept de l’esprit qui, comme concret, à la différence pour essence. » 71
Le terme même de réflexion est le strict équivalent de la scission, du dédoublement, de la différence, de l’opposition, du dualisme dont Hegel fait état dès qu’il est question pour lui de définir les conditions qui permettent à la lumière de surgir au détriment de l’inconscience et de la nuit. 71
Que la structure interne de la réflexion soit liée, à titre de condition et comme simple synonyme de division, à l’essence du phénomène, et non point à celle d’un mode déterminé de la pensée, c’est ce que marque avec éclat son intervention dans la première philosophie vitaliste et romantique du jeune Hegel. 71
Le dualisme a d’ores et déjà, dans la pensée du jeune Hegel, une signification ontologique. 71
C’est ce que dit encore le jeune Hegel dans un texte remarquable, très proche de l’analyse fichtéenne du début de l’Évangile johannique et qui obéit aux mêmes présupposés ontologiques : « seule une conscience égale à la vie, et telle que toutes deux ne diffèrent qu’en ce que la vie est l’être, tandis que la conscience est cet être comme réfléchi, est phos ». 71
Il ne s’agit nullement, ici encore, d’une préférence accordée par Hegel à ce que nous appellerions aujourd’hui la réflexion par opposition à la pensée intuitive. 71
L’intuition en question est, ne l’oublions pas, celle de Schelling, à laquelle pense par exemple Hegel lorsqu’il parle des enfants et des anges qui vivent dans un état où « l’opposition de l’intuitionnant et de l’intuitionné, comme d’un sujet et d’un objet, disparaît dans l’intuition elle-même ». 71
C’est le travail du négatif (Hegel emploie cette expression dès les travaux de jeunesse) qui fait que la vie n’est pas seulement la vie qui existe, mais aussi la vie qui se manifeste. 72
L’Absolu, dit Hegel, n’est pas seulement substance, mais aussi Sujet. 72
La structure de la dialectique n’est autre que la structure éidétique du phénomène, tel que le comprend Hegel. 72
Comme le remarque Heidegger, Hegel ne conçoit pas l’expérience dialectiquement, mais pense le dialectique à partir de l’essence de l’expérience. 72
Conformément à une telle signification, il apparaît que la négativité est l’essence à l’aide de laquelle Hegel pense l’œuvre de la transcendance et, d’une façon très remarquable, l’essence de la finitude qui lui est principiellement liée. 72
La vie concrète de la déterminabilité, dit explicitement Hegel, est elle-même l’opération de se dissoudre. » 72
L’être-là, dit Hegel, est dans son concept. » 72
L’immanence essentielle de la négativité à l’être (l’extériorité de l’être n’est qu’une conséquence de l’immanence en lui de la négativité) constitue le motif ontologique et, par suite, le sens profond de la critique dirigée par Hegel contre le formalisme. 72
L’essence de la pensée est, pour Hegel, la négativité. 72
L’activité du savoir, dit encore Hegel, est immergée dans ce contenu. 72
La Préface de la Phénoménologie de l’Esprit, où Hegel domine son propre système, veut à l’aide des thèses fondamentales qui seront celles de la Logique, écarter la conception, que pourrait faire naître une lecture superficielle du texte même de la Phénoménologie, d’une opposition en quelque sorte extérieure du sujet et de l’objet. 72
En fait, c’est à la lumière de l’interprétation ontologique de la dialectique qu’il convient de comprendre l’identité d’essence du sujet et de l’objet ou, comme le dit souvent Hegel, l’immanence du Soi dans le contenu. 72
C’est la substance elle-même, « en elle-même », dit Hegel, qui est Sujet. 72
On a souvent reproché à Hegel d’avoir étendu sa dialectique à la sphère de la nature et de l’être naturel. 72
Les analyses qui précèdent permettent de comprendre pourquoi une telle critique passe à côté de la pensée de Hegel. 72
Pour Hegel, comme plus tard pour Heidegger, et pour les mêmes ultimes raisons, il faut dire que « pas plus que les autres êtres, nous ne sommes chers au fondement de l’être en nous ». 72
Ce que nous sommes, Hegel le dit, il est vrai : « nous sommes le néant ». 72
Moi, dit Hegel, est la nuit de la disparition. » 73
Encore faut-il bien comprendre que cette nuit n’est pas, aux yeux de Hegel, quelque chose qui pourrait subsister par soi-même. 73
La manifestation, dit Hegel, est le mouvement de naître et de périr. » 73
Le monisme ontologique de Hegel s’exprime dans ces deux affirmations fondamentales et intimement liées, selon lesquelles : 1° Il n’existe qu’une seule essence. 73
La négativité constitue, chez Hegel, l’être même du Sujet, sa subjectivité. 73
Ce qui est réel, pour Hegel, c’est l’Esprit, l’essence même de l’objectivité, ce que Heidegger appellera l’Être. 73
Dès sa jeunesse, Hegel réfléchit sur la vie et, en relation avec l’essence de celle-ci, sur le christianisme. 73
En réalité, le christianisme ne laisse rien subsister car il met en cause, aux yeux de Hegel, l’essence même de la chose. 73
Pour que le divin apparaisse, dit Hegel, l’esprit invisible doit être uni à du visible. » 73
Il n’y a chez Hegel aucune ontologie de la subjectivité. 73
De même que chez Kant l’être de la subjectivité n’est pensé que dans sa référence à la structure de l’objectivité dont il est seulement la condition, de même chez Hegel la prise en considération de l’aspect subjectif de l’Esprit n’est qu’un moment dans l’élucidation de son essence, essence qui n’est autre que celle de l’objectivité. 73
Et de même que, selon Kant, la catégorie ne saurait avoir qu’un usage empirique, de même la négativité n’est pas, chez Hegel, dissociable de l’être objectif qu’elle s’épuise à fonder. 73
Le seul apport positif de Hegel au problème central qui constitue le thème de ces recherches consiste dans l’interprétation de l’être de la catégorie à partir de l’idée de négativité. 73
Le néant, dit Hegel, est « le néant de ce dont il résulte ». 73
Il est vrai que certains textes de Hegel semblent conférer à l’intérieur une réalité propre en établissant une coupure entre celui-ci et la manifestation objective qui est censée l’exprimer. 73
Dans la recherche de lois prétendant établir une relation rigoureuse entre l’intérieur, envisagé comme concept, et les déterminations objectives juxtaposées dans l’élément de l’être, Hegel ne voit qu’une entreprise vaine, parce que le postulat d’une unité de l’intérieur et de l’extérieur implique, dans son principe, une véritable chute ontologique de l’Idée. 73
Cette méfiance, Hegel ne l’éprouve, en réalité, qu’à l’égard de l’intérieur qui ne pourrait trouver dans l’objectivité qu’une manifestation inadéquate. 73
Le réel, pour Hegel, c’est l’esprit, c’est le fait de se manifester. 73
D’où vient cependant le sentiment d’une telle insuffisance ? Ne signifie-t-il pas, précisément, qu’il y a comme une richesse subjective que la détermination objective n’a pu traduire ni épuiser ? La seule richesse, pour Hegel, est celle de l’Esprit. 73
La signification générale des grandes critiques dirigées par Hegel contre les concepts qui impliquent l’existence effective et autonome d’une essence de la subjectivité, est de rappeler que seul est réel ce qui se manifeste et d’affirmer qu’il n’existe qu’un seul mode fondamental de manifestation, celui de l’objectivité. 74
Hegel se tient infiniment éloigné de la platitude d’une pensée qui se confie purement et simplement, comme la conscience naturelle ou comme l’Aufklärung qui en est la répétition sur le plan philosophique, à la détermination objective. 74
La « vie accomplie », par opposition à la « vie non accomplie » où se cantonne, par exemple, le christianisme, était déjà, aux yeux du jeune Hegel, la vie qui se manifeste. 74
L’unité développée, pour parler comme Hegel, implique une rétro-référence à une « unité non développée ». 74
La subjectivité n’est en aucune façon pour Hegel une essence authentique, phénoménologiquement déterminée par un mode de révélation propre. 74
Hegel l’appelle au contraire l’en soi. 74
On dit quelquefois que Hegel conçoit l’Esprit comme ce qui doit se manifester. 74
Comment faut-il comprendre cet Intérieur ? Comment doit se déterminer ce Grund ? Y a-t-il une réalité qui précède celle qui est là pour nous et se présente à nous comme phénomène objectif ? En fait, l’essence de l’objectivité est, pour Hegel, la seule essence. 74
La nécessité de l’action est souvent affirmée par Hegel, notamment lorsqu’il s’agit de mettre en lumière l’insuffisance de la morale traditionnelle, c’est-à-dire de la moralité subjective. 74
Il y a action, dit Hegel, parce que le fait d’opérer est en soi et pour soi-même l’essence de la réalité effective. » 74
Il n’y a pas, chez Hegel, une conscience proprement subjective qui précéderait l’action et qui serait déjà en elle-même, indépendamment de cette action, lumière et savoir. 74
Celle-ci, comprise par Hegel comme la lumière du visible, implique un devenir visible qui est l’objectivation même. 74
L’agir, dit Hegel, est justement le devenir de l’esprit comme conscience. » 74
Hegel appelle souvent réalité effective la réalité de l’être objectif qui s’offre ainsi à nous. 74
Elle n’est plus, comme le dit Hegel, qu’une « effectivité vulgaire ». 74
Que cette inégalité soit insurmontable, cela résulte de ce que l’opération qui déploie le milieu se dissimule en tant qu’elle est la dissimulation même, la négativité qui est la Nuit, cela vient finalement de ce que chez Hegel la subjectivité n’est point en elle-même une essence phénoménologique. 74
Il doit bien plutôt, pour s’offrir dans la présence, pour être véritablement là, se soumettre à ce qui est compris par Hegel comme la condition générale de toute présence, c’est-à-dire à l’horizon de l’objectivité. 74
Cela signifie plus précisément, dans le monisme ontologique, se donner comme un phénomène transcendant, dans ce que Hegel appelle le « milieu de l’être ». 75
Lorsqu’il a voulu saisir le temps dans sa prétendue pureté, Hegel a-t-il pu le définir autrement que comme « l’abstraction du consumer » ? Que le temps ne puisse être pensé en soi et pour soi que par l’opération d’une abstraction, cela nous invite à réfléchir sur la nature de celle-ci. 75
Hegel n’a pas méconnu l’essence originaire du temps, il a osé, le premier, interpréter le temps comme l’essence de l’esprit. 75
Après avoir montré comment, dans la Logique, l’affinité du temps et du concept repose sur l’identité de leur structure formelle, Heidegger ajoute dans Sein und Zeit : « Mais comme le temps est aussi saisi [par Hegel] comme un temps du monde purement et simplement nivelé et qu’ainsi son origine demeure complètement cachée, il se tient simplement en face de l’esprit comme une réalité donnée. 75
Il est à la fois vrai et faux de dire qu’il n’y a chez Hegel aucune philosophie de la temporalité originaire. 75
Sans doute le temps authentique n’est-il pas saisi par Hegel en et pour soi. 75
Celle-ci demeure foncièrement obscure, elle n’est rien d’autre, comme telle, que le mouvement vers la lumière, vers ce que Hegel appelle la réalité. 75
Ce n’est pas, d’autre part, d’une façon mystérieuse et, pour Hegel, incompréhensible, que le temps vorhanden se situe en face de l’Esprit, mais l’Esprit qui est le temps originaire est le mouvement même par lequel la réalité se réalise, c’est-à-dire se pose en face de soi en tant que réalité historique. 75
La réalité historique est, pour Hegel, la seule réalité. 75
Hegel comprend l’essence de la manifestation à partir du processus fondamental de l’objectivation. 76
Mais Hegel comprend l’essence de la manifestation de telle manière que cette essence ne se manifeste pas. 76
L’effort pour récupérer et offrir à la lumière ce qui se dissimule dans le surgissement même de celle-ci est celui de Hegel, aussi bien que de la conscience naturelle. 76
L’optimisme de Hegel, sa foi dans la puissance de l’Esprit, reposent sur l’affirmation, souvent formulée, qu’il n’y a rien qui ne soit susceptible d’être dit, et que le langage de l’homme est capable de tout exprimer. 76
C’est dans la mesure où le Concept se trouve identifié par lui avec le Moi pur que Hegel peut dire de ce dernier : « Le Moi comme ce moi pur, autrement que par le langage, n’est pas là. » 76
Mais l’objectivation est aussi l’essence du langage tel que le comprend Hegel. 76
Mais, comme le remarque lui-même Hegel, « ce qui doit être expression de l’intérieur est en même temps expression dans l’élément de l’être, et retombe par là dans la détermination de l’être qui est absolument contingent pour l’essence consciente de soi ». 76
Sans doute une telle critique, qui ne fait que reprendre les remarques psychologiques traditionnelles sur l’ambiguïté du signe, n’a-t-elle qu’une portée toute relative aux yeux de Hegel pour qui l’Intérieur que la manifestation objective est impuissante à exprimer n’a finalement aucune réalité. 76
La critique que Hegel avait feint de diriger contre le langage a, en fait, une signification ontologique décisive : elle frappe au cœur l’essence de l’objectivité comme telle. 76
Il est vrai que, pour Hegel, le Concept n’est rien d’autre que le fait même de s’aliéner, le processus de l’aliénation en tant que tel. 76
Le destin du christianisme, tel que le comprend Hegel, celui de ne pouvoir se passer de la détermination objective, n’est justement rien d’autre que le destin même de l’hégélianisme. 76
De quelle manière, en effet, l’individualité confère-t-elle l’être à la substance ? C’est, dit Hegel, par son action. 76
Ce qui se manifeste ici, dit encore Hegel, comme la force de l’individu, sous l’empire duquel tombe la substance devenant ainsi supprimée, est précisément la même chose que l’actualisation de cette substance ; car la force de l’individu consiste dans le fait qu’il se rend adéquat à la substance, c’est-à-dire aliène son Soi et se pose donc lui-même comme la substance objective dans l’élément de l’être. » 76
Le Soi, dit Hegel, est conscient d’être effectif seulement comme Soi supprimé. » 76
C’est ainsi que dans la dialectique de la lutte des consciences — dialectique qui se répète en réalité à chaque étage de la phénoménologie — la mort apparaît comme le seul moyen laissé à la liberté de faire la preuve d’elle-même, c’est-à-dire de se manifester ou, comme le dit encore Hegel, de se faire reconnaître. 76
La mort est, chez Hegel, la seule manifestation de la vie. 76
Hegel affirme cependant que ce cours de l’expérience a une fin et d’abord un sens, qui est le mouvement même par lequel cette expérience converge vers le terme ultime qui est son véritable but. 76
L’esprit comme essence, dit Hegel, n’est pas égal à sa conscience. » 77
Hegel comprend en tout cas la tâche du savoir absolu comme celle de « délivrer l’essence divine de sa figure contingente ». 77
Le caractère contingent et inadéquat de la figure est mis par Hegel au compte de la représentation à l’intérieur de laquelle se meut la pensée religieuse. 77
Le rejet de la représentation semble parfois signifier, aux yeux de Hegel, l’abandon de l’essence objective. 77
Le passage de la représentation au concept ne saurait, par suite, impliquer l’abandon de l’essence objective puisque, bien au contraire, le savoir absolu ne peut s’accomplir chez Hegel qu’à l’intérieur de celle-ci. 77
L’essence, dit Hegel, se contemple donc seulement soi-même dans son être-pour-soi ; elle est dans cette aliénation seulement près de soi-même. 77
Si, comme le dit Hegel, l’essence « est le mouvement de retenir dans son être-autre l’égalité avec soi-même », il faut bien comprendre que ce n’est pas en dépit de cet acte de devenir autre que l’égalité se maintient, c’est dans et par l’aliénation que cette égalité se produit. 77
Hegel n’a pas conçu pour la conscience un mode de présence à soi-même autre que le mode de présence de l’objet, et cela parce que la présence de l’objet comme telle n’est rien d’autre à ses yeux (et c’est en cela, on l’a vu, que la philosophie moderne n’est que le prolongement de l’ontologie antique) que l’essence même de la conscience. 77
L’esprit, dit Hegel, se manifestant à la conscience dans cet élément, ou, ce qui est la même chose, produit par elle dans un tel élément, est la Science. » 77
Lorsque Hegel déclare que « la science contient en elle-même cette nécessité d’aliéner de soi la forme du pur concept et contient le passage du concept dans la conscience », l’intervention ici réclamée de la conscience extérieure au sein du savoir absolu a pour mission à la fois de rappeler que l’essence du concept est la conscience elle-même comprise comme le milieu ontologique de l’extériorité, avec sa signification phénoménologique ambiguë, et, d’autre part, de laisser entendre qu’un tel milieu n’est peut-être pas dissociable du contenu, et d’abord du contenu sensible, qui se manifeste en lui. 77
L’esprit est interprété par Hegel comme une présence à soi-même. 77
Dans la Philosophie de l’Histoire, Hegel déclare, à propos de la religion des Perses, que celle-ci n’est pas une superstition parce qu’elle ne vénère pas les objets particuliers de la nature mais l’universel même. 77
Cette essence lumineuse, comprise dans sa signification ontologique, Hegel l’appelle dans la Phénoménologie de l’Esprit l’être pur, la substance. 77
Cet être, dit Hegel dans le même passage, est donc en vérité le Soi. 77