Henry (1963) – consciência e mundo

Il ne sert à rien de dire qu’elle en est un caractère fondamental, essentiel, que la conscience est « tout entière » ce « mouvement vers », cette esquisse du monde, qu’un tel projet n’est pas un prédicat qui s’ajouterait synthétiquement à l’existence préalable d’une subjectivité, que c’est la transcendance enfin qui fait la substance même, la subjectivité du sujet : tant que l’être de celui-ci n’a pas été élucidé, on ne sort point du paradoxe qui fait reposer la condition sur le conditionné. 4

Au même titre que la conscience empirique qui demeure liée au monde et à l’être naturel, l’ego pur transcendantalement réduit implique, comme condition de possibilité de sa manifestation et, par suite, de toute élucidation systématique de sa vie propre, un horizon de présence. 5

Mais le monde n’est lui-même rien d’autre que l’Être-dans. Il est l’espace primitif et non spatial qui signifie l’ouverture d’une place. La spatialité de l’Être-dans est un titre pour le processus ontologique de l’aliénation, elle est l’autoséparation de l’essence qui fait surgir l’intervalle et, comme telle, le Rapport lui-même dans son origine. La lumière qui surgit dans cet intervalle est tout à la fois celle du monde et de la conscience. 11

Sans doute Husserl dit-il que la conscience n’est rien du monde, mais par monde il n’entend que la totalité de l’étant, et que la conscience ne soit rien du monde ainsi entendu, cela signifie seulement que, comme essence ontologique, elle n’est elle-même, dans sa transcendance à l’égard de tout l’existant, que le monde lui-même dans sa mondanité pure. 11

Que se produit-il, cependant, lorsque cette phénoménalité devient effective ? « Que renferme donc en cet état la conscience ?… Le monde, dit Fichte, et rien que le monde. » 14

Ou bien l’essence pure de la phénoménalité n’est-elle pas présente en tant que telle dans le contenu réel de l’apparence ? L’absolu ne se manifeste-t-il pas en lui-même dans cette conscience effective ? « Ou bien, demande Fichte, la vie divine ne se trouve-t-elle pas immédiatement dans cette conscience ?… Non, car la conscience ne peut absolument que transformer en un monde cette vie immédiate, et dès qu’on pose cette conscience, cette transformation est posée comme effectuée. » 14

La philosophie de la conscience n’a pu sauver l’absolu qu’en le rejetant dans un arrière-monde. 14

C’est ainsi que par conscience Marx entend la façon dont l’existence se représente ou se comprend elle-même, la « conscience » d’un individu ou d’une époque caractérisant ainsi la manière dont cet individu ou cette époque comprennent le monde dans lequel ils vivent et par suite se comprennent eux-mêmes. 18

Reconnaître ce qui existe et, par exemple, l’existence au moyen d’une autre interprétation, se représenter l’existence comme quelque chose qui existe, ainsi que le fait la conscience naturelle qui se comprend elle-même à partir du « monde » entendu comme la somme de l’étant, ou au contraire comme l’élément ontologique pur qui n’est en soi rien d’ontique, cela ne change rien à la réalité originaire de cet élément ontologique pur dans son antériorité radicale par rapport à tout acte de compréhension, implicite ou explicite, philosophique ou non, dirigé sur lui. 18

Avec l’omission de l’essence de la transcendance la philosophie de l’être s’en tient, malgré l’apparence, au niveau de la philosophie de la conscience, lorsque celle-ci déclare simplement : « La conscience (n’est) précisément que rapport, renvoi, signification vers ou pour… » Avec la détermination de l’essence de la transcendance comme immanence, le rapport transcendantal de l’être-au-monde n’est plus affirmé simplement mais saisi au contraire dans sa possibilité intrinsèque. 33

A la question posée par Husserl de la possibilité d’une conscience sans monde, la réponse est donnée avec la conscience de l’imagination. 34

La conscience de l’imagination est une conscience sans monde. 34

L’imagination n’est-elle pas cependant le pouvoir de susciter un monde et, comme telle, sa conscience ? Qu’on ne confonde pas celle-ci, toutefois, cette conscience du monde, avec la conscience de l’imagination. 34

A l’imagination sans doute le monde appartient comme cela même qu’elle imagine dans l’acte de sa transcendance et il est vrai de dire, en ce sens, que l’imagination est une conscience du monde. 34

Son appartenance à l’imagination comprise comme conscience du monde signifie, en ce qui concerne celui-ci, sa manifestation à titre d’élément phénoménologique, la manifestation de son néant. 34

La manifestation du néant du monde se produit ainsi dans l’imagination, plus exactement dans la conscience de celle-ci. 34

L’appartenance du monde à l’imagination ne signifie nullement son appartenance à la conscience de l’imagination : de l’essence de cette conscience, bien au contraire, le monde se trouve radicalement exclu. 34

L’exclusion du monde hors de la conscience de l’imagination résulte de la détermination du mode originaire de révélation de l’imagination comme immanence. 34

La signification de cette détermination – celle de la conscience de l’imagination comme conscience sans monde – est que la manifestation de l’imagination n’est pas constituée par la phénoménalité du monde. 34

La révélation originaire immanente de l’acte d’imagination est la « conscience de l’imagination » à l’intérieur de laquelle aussi ce qu’elle imagine, à savoir le monde, se phénoménalise et devient lui-même conscient. 34

Dans la « conscience du monde » se trouve donc impliqué, non pas le simple concept de la phénoménalité, mais bien plutôt sa division conformément aux résultats les plus importants de la problématique. 34

Il ne s’agit pas seulement de dire que la conscience du monde est toujours aussi et d’abord conscience de soi, comme si la conscience, au même titre que le monde, était retenue sous son propre concept, comme si le concept de la conscience avait pour contenu, non pas seulement le monde, mais également cette conscience elle-même. 34

Car le concept de la conscience est un concept vide aussi longtemps qu’il se trouve appliqué à la fois à celle-ci et au monde. 34

La conscience, dès lors, est comprise en général comme conscience du monde. 34

Ce qui se trouve passé sous silence à l’intérieur d’une telle compréhension, ce n’est pas seulement la question de la structure interne de la phénoménalité de la « conscience de soi » – structure qui se trouve en fait interprétée à partir de celle de la conscience du monde –, la nature de celle-ci se trouve elle-même être manquée en même temps que sa possibilité. 34

Si le monde se phénoménalise dans la révélation originaire immanente de l’acte d’imagination, c’est que la conscience du monde n’est effective que sur le fond en elle d’une conscience à laquelle le monde n’appartient pas. 34

La conscience du monde est toujours aussi une conscience sans monde. 34

« Avec » ou « sans monde », ce sont donc là non des propriétés surajoutées à la conscience, mais des déterminations structurales de la phénoménalité de la conscience elle-même. 34

Il n’y a pas deux consciences sans lien entre elles et dont nous ne saurions pas comment elles peuvent se joindre, comment la conscience du monde est aussi, en même temps, dans l’unité d’un même évènement phénoménologique, conscience de soi. 34

Si la conscience de soi et la conscience du monde ne surgissent point séparément comme deux essences juxtaposées, enfermées chacune dans sa vérité propre comme dans un monde de lumière clos sur lui-même et sans communication avec l’autre, s’il n’y a pas deux dimensions fondamentales de phénoménalité se suffisant chacune à elle-même et, dans cette suffisance, ignorant l’autre, c’est que la conscience du monde précisément ne se suffit pas à elle-même, c’est qu’elle n’est pas une essence. 34

La conscience du monde est identiquement la dimension originaire de révélation d’où le monde est absent et dans laquelle pourtant il se phénoménalise, elle est la conscience sans monde de l’imagination. 34

L’unité de la conscience du monde avec la conscience de soi est sa possibilité même. 34

La possibilité de la conscience du monde est la conscience elle-même comme conscience, non pas du monde, mais de l’imagination, comme conscience sans monde. 34

Dans la possibilité de la conscience du monde réside toutefois son essence même, l’essence de la conscience en général. 34

Loin d’être une possibilité hypothétique et vide surgie par hasard devant la réflexion philosophique à titre de problème, la possibilité d’une conscience sans monde est la possibilité ontologique originaire de la conscience elle-même et, comme telle, son essence. 34

La détermination de l’essence de la conscience comme conscience sans monde a une signification phénoménologique rigoureuse, elle signifie la réalité phénoménologique effective d’une révélation qui n’a pas la forme du monde, l’existence d’une dimension originaire de phénoménalité où celle-ci ne se phénoménalise pas dans l’extériorité ni comme la phénoménalité de cette extériorité même. 34

La conscience est possible comme conscience sans monde en tant qu’elle ne se transcende pas vers celui-ci, en tant que la transcendance n’est pas présente en elle. 34

La conscience sans monde est cependant la « conscience » de la conscience du monde, la conscience de l’imagination. 34

Cette plénitude de l’essence séparée de toutes les déterminations du monde et à laquelle pourtant rien ne manque, cette richesse d’une réalité sans limite qui se perd dans sa propre profusion et se confond entièrement avec elle, l’expérience de l’être dans sa nudité, dans sa simplicité, dans sa totalité, cette expérience sans partage qui est l’être lui-même, c’est là ce que le jeune Hegel se représentait comme le contenu de la conscience religieuse. 37

Le sentiment de cette plénitude est le moins dispersé, le plus simple… » Se donner le sentiment de cette plénitude, entrer dans l’élément qui la contient, en faire précisément l’expérience, c’est le vœu que la conscience religieuse réalise dans le baptême : « en celui qui est immergé, il n’y a qu’un sentiment et l’oubli du monde, une solitude qui a tout rejeté de soi, qui s’est arraché de tout, la suppression de tout ce qui existait jusque-là, une initiation exaltante… ». 37

Parce que « cette adhésion aveugle au monde », ce qui est pour le sujet « le fait de sa naissance », « une communication avec le monde plus vieille que la pensée », s’opposent simplement à celle-ci, laquelle concentre au contraire en elle le principe de la phénoménalité, « ils engorgent la conscience et sont opaques à la réflexion », déterminent « l’expérience vitale du vertige et de la nausée qui est la conscience… de notre contingence ». 44

Que cette signification radicale de l’epoche lui échappe et ne se montre pas non plus dans les résultats auxquels elle parvient, que dans l’examen des problèmes constitutifs la pensée s’en tienne d’une manière exclusive au mouvement de la conscience vers le monde et que l’explicitation de celui-ci et de ses structures typiques se poursuive elle-même conformément au telos de l’intentionnalité et selon le mode de dévoilement qui lui appartient et la caractérise, que le Remémorial se meuve encore dans l’oubli de l’essence, celle-ci en tout cas le détermine et le rend possible. 45

Lorsque ce dernier ne se laisse pas ramener à sa formulation naïve, à la simple systématisation des thèses de la conscience naturelle qui prétend s’en tenir fermement aux déterminations objectives, à ce qu’on peut voir et toucher, sa vérité apparaît dans le refus de chercher en celles-ci et dans le milieu où elles se manifestent autre chose que ce qu’elles sont en effet, les déterminations du monde. 46

Parce que, dans sa transcendance, la réalité se retient au-delà de toute représentation possible, la conscience ne peut s’ouvrir à elle que si à son tour elle dépasse celle-ci et s’oriente délibérément au-delà du monde et de l’objectivité. 47

Que la structure de la révélation constitutive de la réalité absolue soit radicalement étrangère à celle du savoir, on le voit dans le fait qu’après avoir défini cet état d’ignorance dans lequel se tient l’âme au fond de Dieu comme son apaisement dans l’être et la connaissance de celui-ci, Eckhart décrit le surgissement du savoir qui est la conscience de l’extériorité comme la destruction de cet état, comme la perte par l’âme de son essence absolue ou divine et sa chute dans le monde de la création, ces deux termes étant, comme on sait, synonymes. « 49

Que l’indifférence au contraire caractérise dans le réel l’opposition des structures qui le divisent, le partage en lui du monde ouvert de la cité où s’accomplit et se reconnaît dans la lutte la spiritualité des hommes, et de l’invisible où s’enferment au contraire la conscience originelle de la vie et son essence sacrée, c’est ce que rend clair la parole fameuse : « Rends à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » 51

Le caractère non originel de l’affection ainsi entendue ne réside pas dans le fait que ce qui se trouve prédonné en elle et avec quoi on la confond, l’excitant qui subsiste et se détache sur l’arrière-fond du monde, implique, comme la condition de son maintien, de cette subsistance précisément et de ce détachement, les opérations dernières de la synthèse de la conscience interne du temps qui le constituent à titre d’élément identique de l’affection et comme le datum de celle-ci. 52

La douleur ne constitue cependant chez Sartre que l’être-en-soi de la conscience, « son être-là », « son rattachement au monde », « sa contingence », elle n’est ce qu’est la conscience qu’en tant que la conscience n’est pas ce qu’elle est. 57

La conscience douloureuse est négation interne du monde, mais en même temps elle existe sa douleur — c’est-à-dire soi-même — comme arrachement à soi. » 57

Non pas sans doute comme l’objet d’une contemplation indifférente et libre, comme l’ « objet psychique » : à la douleur qui l’accompagne, la conscience de lecture reste liée invinciblement, mais ce lien est un lien de transcendance, la conscience existe sa douleur, de telle manière que « exister » signifie « dépasser », de telle manière que la douleur est la texture même de la conscience en tant que la conscience « dépasse cette texture vers ses possibilités propres » et vers le monde. 57

Tel est précisément le statut de la cœnesthésie, c’est-à-dire aussi bien du corps lui-même, de ce que Sartre appelle encore la contingence, la facticité : celui d’une présence qui hante la conscience comme ce dont elle ne peut se défaire, comme le terme inévitable à partir duquel elle se lève vers le monde et construit ses projets, étant entendu que cette présence n’est telle, n’est une présence que par la distance où la tient la conscience, elle-même identique avec cette distance comme telle. 57

C’est précisément parce qu’une distance s’institue nécessairement, comme identique au pour-soi lui-même, entre celui-ci et la cœnesthésie qui signifie la contingence originelle de son existence, qu’il est possible et à vrai dire inévitable pour la conscience de prendre attitude à l’égard de cette existence corporelle qui la transit, de la vivre de telle ou telle façon, de surmonter par exemple sa fatigue, sa douleur, ou de s’y abandonner dans un projet dont le sens est chaque fois décelable et conduit finalement par la voie d’une analyse régressive jusqu’au projet initial et fondamental du rapport que le Pour-soi choisit d’entretenir avec sa facticité et avec le monde. 57

La signification ontologique décisive reconnue par Malebranche au concept de l’affectivité tient à ce que celle-ci constitue précisément la dimension originelle d’existence mise en évidence dans le cogito et identique à ce dernier, à l’essence de la conscience pure et à l’âme elle-même, la dimension originaire et fondamentale de la phénoménalité dans son opposition irréductible à celle de l’idée, à la phénoménalité de la spatialité transcendantale du monde pur ou de l’ « étendue ». 57

Avant ce regard de la réflexion, toutefois, de l’attention, le sentiment était là, comme un contenu de la conscience, baignant dans sa lumière et éclairé par elle, de manière indirecte, il est vrai, comme un contenu marginal situé dans l’ombre plutôt et plongé en elle, dans cette ombre dont Heidegger dit qu’« elle reste confiée à la lumière, projetée par elle », dans l’obscurité qui partage la phénoménalité du monde et lui appartient comme son mode décroissant ou comme son mode limite. 61

La conscience qui s’adonne à un travail théorique et se trouve déterminée affectivement, dans ce travail, comme « joie », lorsqu’elle se dirige sur celle-ci pour la saisir dans un regard, dans « un monde », ne peut la saisir, ne la trouve pas dans le milieu ouvert de ce monde d’où par principe la joie, toute tonalité affective en général, est absente. 61

En réalité, sur l’essence de la conscience, tout le monde est d’accord : il y a conscience là où il y a division. 71