Il y a pour le réel bien des manières d’être : infinie diversité, multiples spécifications auxquelles chaque être peut donner lieu. On identifie un individu par le concours des traits qui le déterminent dans l’existence.
Identification : les qualifications orchestrent la spécification essentielle et en développent ou modulent le thème substantiel.
Altérité : il arrive qu’elles l’altèrent si bien que le thème n’est plus reconnaissable, plus identifiable : il a changé, substantiellement.
Ainsi identifie-t-on la substance à, ou du moins par ses qualités : elles vont et partent ensemble. Ces qualités d’un être permettent de l’identifier, tout en en suivant les évolutions ou le progrès. Elles relèvent d’une estimation, et incluent un jugement. Ces « espèces » sont en surface, — telles qu’elles sollicitent une considération et entraînent une appréciation que peut-être la sagesse serait de ne point sanctionner. La valeur des qualifications appelle une précaution, et donc un examen métaphysique. Comment savoir, au-delà des valeurs courantes, le prix du réel? En même temps que leur importance, on enregistre leur foisonnement. En l’absence d’une hiérarchie définitive, s’efforcer au moins de contrôler les appellations, — à l’intérieur de ce domaine de la « qualité », dire à défaut du critère absolu, quelles lignes de partage se dessinent, pour une sagesse phénoménologique, pour une sagesse provisoire.
1er Niveau.
Les qualités manifestent qu’elles ne se valent pas, — elles ne « tiennent » pas de la même façon. Elles n’adhèrent donc pas au même titre. Le premier niveau de qualité est celui des qualités qui affectent le quantitatif : profil, morphologie, forme, figure. C’est le rebord de l’étendue.
2e Niveau.
Quand les précédentes qualités se modifient (la quantité étant affectée différemment), demeurent des qualités de réception, et de sensibilité : qualitas sensibilis et passio.
Bien distinguer cette qualité de la mesure quantitative du même phénomène.
3e Niveau.
Les Qualités qui se déterminent en fonction de l’agir sont de deux types : puissance qui permet d’agir, et habitus qui incline à le faire.
Le 3e niveau est donc celui de la « puissance ». On dit de tel ou tel : il est intelligent, volontaire, il sent, il pense, il voit, etc. Bref, ce qu’on appelle aussi les facultés. C’est un pouvoir qu’on repère à ses actes : une authentique capacité. L’être-humain notamment est pourvu de ces capacités dont il faut dire qu’elles ne s’identifient pas aux actes qui en émanent, mais qu’elles les rendent possibles, elles les expliquent (elles sont leur « hypo-thèse », la seule).
Ce n’est donc pas un être de raison. La puissance d’engendrer est du même type (ainsi que son corrélatif, l’impuissance). C’est à propos de cette qualité de troisième niveau que se posera le problème de la « convenance » : convenance consécutive à la forme spécifique de l’animal et à ses organes. Le « pouvoir » ainsi déterminé commande qu’on en tienne compte, beaucoup plus que d’une simple possibilité de conjonction matérielle (homosexualité ou bestialité). La déviation de la puissance par rapport à l’acte se décèle et se vérifie au niveau ontologique.
4e Niveau.
La qualité incline positivement à répéter les actes : penchant ontologique, la puissance nue se munit, s’équipe, se double d’ « habitus », par l’exercice même (l’action dépose en avoir).
Trois caractéristiques de l’habitus ainsi constitué : sûreté, rapidité, joie. Bonnes ou mauvaises, les habitudes sont ontologiquement les mêmes, de même densité existentielle. L’habitude : issue d’action et porteuse d’action. Seconde nature qui habille la première, l’incline vers telle réalité, lui donne telle orientation.
Répartition des « habitus » selon les pouvoirs :
— habitus de la pensée (dont la science, le sens des principes, la lucidité prudentielle, le savoir-faire pratique, la sagesse).
— habitus de la conduite (vertus, vices).
— habitus de l’organisme (tout l’arsenal des qualifications et spécialisations artistiques, et ouvrières, ou techniques).
Variation des « habitus » : l’habitus s’accroît ou diminue, tantôt selon l’extension, tantôt selon la profondeur ou intensité. Le génie est une longue patience, c’est-à-dire une constante « action »; et la vertu, un long exercice, c’est-à-dire une ascèse décidée. Une formation accélérée est possible (entraînement), mais non point « instantanée ».
PHILOSOPHIE DE LA RELIGION
La philosophie s’interroge au chapitre de la qualification sur certains traits du fait religieux :
1. les habitus que l’on n’acquiert pas, mais que l’on reçoit (notamment la « foi »).
2. le développement, par exemple, de la foi : par extension (dans l’histoire ou la géographie), par intensité (dans le croyant).
La religion est donc susceptible de progression ou de récession, — comme la civilisation et ses « habitus » acquis, — en raison de l’action qu’on mène.
3. mystique qui s’élève, ou savant qui démontre : deux qualifications très hautes sont ouvertes à l’homme, à partir du même principe naturel, à partir de la même puissance (l’intellect), en direction de Dieu. Deux richesses peuvent ainsi « habiter » l’esprit, l’une réservée à l’expérience du sujet qui s’en munit, l’autre communicable, par voie de science, les deux dérivées du noûs
— le noûs, l’esprit : puissance d’accueil, d’appréhension, littéralement habitée par l’être, obsédée par l’existence, sous toutes ses formes et au-delà.