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NOTES SUR LES TRIGRAMMES

Jean-Louis Grison: Digrammes et Trigrammes

Édition Traditionnelles

domingo 18 de setembro de 2022, por Cardoso de Castro

      

Sans revenir sur les notions générales déjà connues de la métaphysique tao  ïste, nous nous placerons d’emblée au plan de la manifestation pour rappeler que la dualité primordiale, la « polarisation » de l’Etre (T’ai-ki) s’exprime par les principes T’ien et Ti, Ciel et Terre, et que les deux tendances Yang   et Yin sont les deux réalités dont les combinaisons indéfiniment variées ont «créé» la multiplicité, comme la lumière et les ténèbres sont à l’origine de toutes les [215] nuances de la clarté. Ce sont eux qui ont présidé à la constitution des trigrammes   de Fou-hi [1].

Dans ces signes, un trait continu symbolise la tendance yang, ou céleste  , tandis qu’un trait brisé représente la tendance yin, ou terrestre. Cette figuration traduit bien la supériorité initiale du principe yang, actif. « essentiel », par rapport au principe yin, passif, « substantiel ». Le trait plein n’est autre en effet que l’axe « vertical » de l’Influence divine, le Rayon d’Or, devenu relativement « horizontal » par son intégration apparente à la manifestation, tandis que le trait brisé est son plan de réflexion, la Substance universelle, le miroir d’eau   que frappe le rayon ; de sorte que le schéma primordial de la conjonction des deux tendances devrait être une croix de ce type : + ; et la croix est précisément le signe de la manifestation, comme celui de l’homme qui en est la synthèse [2].

Remarquons dès à présent qu’il est difficile de rapprocher cette croix horizontale de la - croix des orients, puisque, comme nous le verrons, le yang est Sud, lumière, tandis que le yin est Nord, ombre, potentialité nocturne. Si l’on a d’ailleurs préféré à cette disposition celle où les différents éléments sont juxtaposés horizontalement, c’est pour montrer l’antériorité » et la supériorité des deux principes par rapport à leur production, autant que pour mettre en évidence le caractère éphémère de celle-ci.

En fait, la conjonction de l’Essence et de la Substance universelle pourrait être symbolisée par un signe unique, que l’on nommerait le digramme, et qui serait constitué par un trait plein placé au-dessus d’un trait brisé. Mais les combinaisons diverses des deux « déterminations » permettent de concevoir logiquement quatre digrammes dont l’un est entièrement [216] yang, le second entièrement yin, les deux autres évoquant seuls l’union harmonieuse du principe céleste et du principe terrestre. Ces deux derniers représentent d’ailleurs des aspects inversés du même symbole, envisagé d’abord selon la perspective yang, puis selon la perspective yin [3]. Dans ces digrammes mixtes. Punion des deux tendances apparaît précaire ; il y a équilibre, si Ton ose dire, entre l’Unité et la multiplicité. II est vrai que Ciel et Terre sont « hors » de l’Unité, mais leur conjonction tend à reconstituer leur Principe commun sur le plan de l’univers, de sorte que son résultat s’apparente à un reflet de l’Unité au niveau de la manifestation [4]. Cet aspect d’équilibre, à demi dégagé des conditions de l’existence  , correspond à la naissance de la manifestation dans sa perfection originelle, mais il ne saurait subsister comme tel, sans quoi l’univers serait appelé à une réintégration immédiate dans le Principe dont il ne reproduirait qu’une image trop parfaite. Il faut donc que se révèle un déséquilibre dans la relation des deux tendances yin et yang, et que, de ce déséquilibre, découle l’imperfection en raison de laquelle l’univers se présente comme « différent » de son Principe parfait. Si le monde était parfait, il serait uni à l’Absolu, en lequel il ne cesse d’ailleurs de demeurer dans l’indistinction de son Essence ; seule sa forme illusoire et transitoire est « séparée », donc « imparfaite ». Ce déséquilibre initial s’exprime dans les trigrammes, qui sont constitués chacun d’un élément yang et de deux éléments yin, ou inversement, à l’exception de deux d’entre eux qui, jouant un rôle privilégié, sont, l’un entièrement yang, l’autre entièrement yin [5].

Remarquons que ce déséquilibre est « stable », parce qu’il est basé sur le nombre yang trois, tandis que l’équilibre du digramme était « instable », parce que fondé sur le nombre deux, qui est yin. En somme, l’instabilité du digramme « selon le monde » correspond à une perfection principielle — qui est retour immédiat à l’Unité — et l’imperfection selon le Principe correspond à une relative stabilité «mondaine ». Les trigrammes constituent des symboles des aspects multiples de la manifestation, aspects généralement considérés dans leur réalité « idéale », tandis que les digrammes en figurent l’origine proprement principielle [6]. Nous verrons d’ailleurs que le rôle joué par les digrammes par rapport aux trigrammes, ces derniers le jouent également, selon une certaine perspective, par rapport aux hexagrammes.


[1Soulignons que cette doctrine ne peut être accusée de dualisme, la dualité se résorbant dans l’Unité à un plus haut degré d’universalité. Comme le fait d’ailleurs remarquer Matgioi, « deux ou cent aspects d’un seul principe ne sauraient constituer ni dualisme, ni multiplicité. » (La Voie Métaphysique, p. 30.)

[2Par contre, selon Guénon, l’union du Ciel et de la Terre serait plus exactement symbolisée par la hauteur et la base d’un triangle isocèle (La Grande Triade, p. 29).

[3Pour les correspondances spatiales, élémentaires, numériques de ces digrammes, cf. Marcel Granet, La Pensée Chinoise, p. 190. Nous noterons plus loin leur rapport possible avec les «Chérubins» tels qui’ls apparaissent dans l’ésotérisme musulman, ainsi que dans la tradition hermétique chrétienne. Ces graphiques ne pourraient-ils pas constituer des symboles des principes informels les plus élevés ?

[4De là la formule du Hi-tsen : « Un Yin, un Yang, c’est le Tao », le Tao désignant la Voie centrale de réintégration. Celle de Tchouang-tseu : « Le Yin et le Yang concertent et s’harmonisent à une signification voisine.

[5« Le trigramme immédiatement sort du digramme, qui n’est pas un état permanent, mais un passage de l’Unité à la Triade. » (Matgioi, op. cit., p. 34).

[6L’état édénique, qui est « relativement parfait», est proche de l’état principiel : l’homme et la nature sont encore au «Centre du Monde». Le «bien» et le mal » ne leur sont pas connus. Cet état apparaît également comme instable, et les quatre digrammes pourraient être mis en rapport avec les quatres fleuves du Paradis, La chute, événement plus ou moins inéluctable, est en somme un reflet manifesté, temporel, se prolongeant d’ailleurs indéfiniment, de la Descente originelle — qui est proprement une « condescendance » de la Perfection divine — envisagée selon son aspect inversé, ou démiurgique.