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Gaboriau: a intencionalidade da paixão

sexta-feira 19 de abril de 2024, por Cardoso de Castro

  

Contre un intellectualisme où l’esprit se trouvait réduit aux fonctions logiques qu’il assumait et où par ailleurs dans cet être désincarné il était question des « passions de l’âme », plusieurs contemporains attribuent à l’affectivité un rôle cognitif, — une intentionalité, — un pouvoir de pénétration qui manquerait à l’intelligence.

L’équilibre est de ne point verser dans un excès compensateur du premier. Certes la conscience est toujours « conscience de quelque chose ».

Les états affectifs dont nous sommes conscients visent aussi quelque chose. Ils sont intentionnels, comme on dit : ils n’ont pas rien comme objet. Les phénoménologues modernes ont avec raison insisté sur ce fait :

Tout phénomène psychique contient quelque chose à titre d’objet, mais chacun le contient à sa façon. Dans la représentation, c’est quelque chose qui est représenté; dans le jugement, quelque chose qui est admis ou rejeté; dans l’amour, quelque chose qui est aimé; dans la haine, quelque chose qui est haï ; dans le désir, quelque chose qui est désiré, et ainsi de suite [1].

C’est revendiquer là une façon d’être objective à ce que l’on avait relégué trop facilement au plan du subjectif, au temps où une dichotomie par trop facile (objet-sujet) se substituait, dans l’état d’une philosophie affaissée, à ce qui semblait n’avoir plus corps : l’existence dominante et préalable. On n’en est pas encore remis...

Max SCHELER   par exemple voudrait d’une intentionalité qui se passât de toute référence à l’être. La grande peur de voir qualifier d’intellectuelle une coexistence — une connaissance — qui se trouve être de fait connaissance affective (de type passionnel) le conduit à affirmer

« l’inconsistance d’une théorie d’après laquelle ces sentiments impliqueraient une connaissance vague et confuse de l’être » [2].

Il s’agit pourtant de garder à ces sentiments le qualificatif de « sentiments intentionnels », comme il les nomme lui-même. Selon lui d’ailleurs, leur rôle cognitif consisterait à influer sur « la signification que prend pour nous tout objet se présentant à la conscience » [3].

Dans cette ligne, saint Thomas d’Aquin   est accusé d’avoir préféré à la conception augustinienne de la connaissance une doctrine qui est censée la sacrifier. Si le professeur de rhétorique que fut au ve siècle saint Augustin   est bien interprété par ceux qui manifestent un malaise devant les précisions du penseur médiéval que fut saint Thomas d’Aquin, nous l’ignorons... Mais il nous semble que ce dernier se réjouirait de voir souligner aujourd’hui — à condition qu’on n’aille pas désormais à l’excès inverse — « la qualité objective », comme dit SARTRE  , de ce à quoi se trouve « sujet » (c’est-à-dire objectivement sujet) :

« Pour Husserl   et les phénoménologues, la conscience que nous prenons des choses ne se limite point à leur connaissance. La coniti’ naissance ou pure représentation n’est qu’une des formes possibles de la conscience « de » cet arbre; je puis aussi l’aimer, le craindre, le haïr, et ce dépassement de la conscience par elle-même qu’on nomme « intentionalité » se retrouve dans la crainte, la haine et l’amour. Haïr autrui, c’est une manière encore de s’éclater vers lui [4], c’est se trouver soudain en face d’un étranger dont on vit, dont on souffre d’abord la qualité objective de « haïssable ». Voilà que tout d’un ’ coup ces fameuses réactions « subjectives », haine, amour, crainte, sympathie (...), ne sont que des manières de découvrir le monde. Ce sont les choses qui se dévoilent soudain à nous comme haïssables, sympathiques, horribles, aimables (...). Husserl a restitué l’horreur et le charme dans les choses. » [5]

De même que les uns hypertrophient le phénomène temps, d’autres le phénomène action, etc., il fallait s’attendre à ce qu’on hypertrophiât aussi — le moment venu — ce phénomène de la « pathie », du pathos, de la passion, au point de considérer le sentir comme l’équivalent, ou l’indispensable acolyte du penser. L’excès est alors une sorte de panpathisme (la sym-pathie, critère de la pensée).

« Là où je n’éprouve aucun sentiment, la personne de l’autre est pour moi absente... Loin de penser qu’il faut que je connaisse un être pour éprouver à son égard un sentiment, comme on le dit presque toujours, je dirai que c’est par le sentiment que j’éprouve à son égard que je commence à le connaître. Aussi longtemps que je n’éprouve aucun sentiment à son égard, il est pour moi un objet, une chose, il n’est pas une personne. On voit quelle valeur privilégiée présente le sentiment comme valeur d’accès au réel, quand il s’agit non plus d’un objet, mais d’un être, de mon être propre ou de l’être d’autrui. » [6]

Quand il s’agit non plus d’un objet, mais d’un être!... Voilà retrouvée précisément la fameuse distinction, comme si, lorsqu’il s’agit d’un objet, il ne s’agissait pas justement d’un être, et que l’être de la personne (par exemple) ne dût pas être objectivement reconnu dans le fœtus qu’à longueur de journée — sans éprouver ma foi aucun sentiment particulier — le médecin manipule. Sans doute sommes-nous loin de méconnaître la générosité de cet appel au sentiment, dont Lavelle   se fait ici l’écho : mais ne le faisons point au nom d’arguments que l’on croit très forts pour y convier, mais dont l’inanité se retourne dangereusement, à la première occasion, contre le but cherché. Il suffit de s’en tenir à ce qui nous est dit là pour frémir à la pensée des conclusions que logiquement les moins généreux vont tirer d’une phrase comme celle qu’on va lire, où l’excès de pathos prépare innocemment des retours offensifs que la pensée incertaine ne sera plus en mesure de contenir :

« Aussi longtemps que je n’éprouve aucun sentiment à son égard (à l’égard d’un être), il est pour moi un objet, une chose, il n’est pas une personne. »

La vérité c’est que cet objet, cette chose — si humiliée soit-elle peut-être, et si incapable d’éveiller le moindre sentiment — est précisément une personne. Où l’on voit que plus humains dans leur doctrine sont ceux qui consentent peut-être à le paraître moins d’emblée : ils le sont plus profondément, en vérité, pour accorder au sentiment une place objective certes, contre les excès du subjectivisme passé, mais pour ne point vouloir lui attribuer en revanche une fonction de surenchère « intentionnelle ».

Concluons par ce que dit là-dessus J.-P. Sartre. Comme Brentano   lit il tient les états affectifs pour « intentionnels », mais précise :

« Les sentiments ont des intentionalités spéciales, ils représentent une façon — parmi d’autres — de se transcender. La haine est une haine de quelqu’un, l’amour est amour de quelqu’un (...). Haïr Paul, c’est intentionner Paul comme objet transcendant d’une conscience. Mais il ne faut pas commettre non plus l’erreur intellectuelle. Le sentiment vise un objet, mais il le vise à sa manière qui est affective (...). Si j’aime les longues mains blanches et fines de telle personne, cet amour, qui se dirige sur ces mains, peut être considéré comme une des façons qu’elles ont de m’apparaître à ma conscience. C’est bien un sentiment qui vise leur finesse, leur blancheur, la vivacité de leurs mouvements : que signifierait un amour qui ne serait pas amour de ces qualités? C’est donc une façon de m’apparaître qu’ont finesse, blancheur et vivacité. » [7]

Je précise : une façon que j’ai de pâtir leur finesse, leur blancheur, leur vivacité, — alors qu’un autre en éprouvera peut-être une répulsion, ou une colère.

« Mais ce n’est pas une connaissance intellectuelle » — poursuit Sartre; laquelle serait action et d’un autre ordre que sensible. Cependant lu. —- et l’on voit ici que Sartre s’oppose justement à Lavelle — « le représentatif conserve une sorte de primauté. Les mains vives, blanches et fines apparaissent d’abord comme un complexe purement représentatif et déterminent ensuite une conscience affective qui vient leur conférer une signification nouvelle », — la signification du pâtir n’étant point celle de l’agir ou de tout autre phénomène mérite d’être considérée à part, et comme pour elle-même, dans le moment même où l’on n’oublie point qu’elle s’exerce sur ma conscience (sur l’être qui pâtit en général) comme l’effet d’une action qui précisément l’affecte. L’affectivité est intentionnelle par le relai de l’acte.


Ver online : Florent Gaboriau


NOUVELLE INITIATION PHILOSOPHIQUE (Tome II). PHÉNOMÉNOLOGIE DE L’EXISTENCE


[1Fr. Brentano, Psychologie, Aubier, 1944, p. 102; trad. M. de Gandillac.

[2M. Scheler, Nature et forme de la sympathie, Payot, 1929, p. 92.

[3M. Scheler, Le Sens de la souffrance, Aubier, 1935, p. 177.

[4« Connaître, c’est s’éclater vers, s’arracher à la moite intimité gastrique pour filer là-bas, par-delà soi, près de l’arbre et cependant hors de lui, car il m’échappe et me repousse et je ne peux pas plus me perdre en lui qu’il ne peut se diluer en moi » (ibid.).

[5J.-P. Sartre, Situations, t. I, Gallimard, 1947, p. 32-34.

[6L. Lavelle, Le sentiment, voie d’accès au réel, Conf. au centre des intel. catholiques, 20 déc. 1948, in Recherches et débats, janv. févr. 1949, p. 7).

[7J.-P. Sartre, L’imaginaire, Gallimard, 1937, p. 93-94. Quant à savoir si l’on a raison ou non de souffrir, ou d’être heureux, ce problème du bonheur existentiel se retrouvera à un degré de plus grande profondeur, au chapitre où parlant des transcendentaux, nous verrons mieux ce que peut signifier finalement le fait de « se transcender », qui est inscrit au cœur du sentiment le plus commun, comme une intentionalité dont nous n’avons pas fini de déchiffrer le sens.