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rasa / sabor / sapor / sapere / prazer estético

  

RASA (saveur, goût, plaisir esthétique)

Sk., subs. masc.

Littéralement : « suc, sève, saveur ». Le mot est très tôt affecté au sens de « goût » en rapport avec la liquidité et la sève des plantes. Il désigne, dans toute la tradition indienne, le plaisir esthétique.

Il s’agit d’un état subjectif de l’auditeur qui se trouve éveillé au contact de l’œuvre littéraire et lui procure une sensation de plaisir. A l’origine du rasa s’exerce une sorte de transfert, l’auditeur recréant pour son propre compte l’expérience originale du poète, « mais cette expérience ne devient rasa que si elle revêt la forme d’un sentiment universel, impersonnel. Le rasa n’est pas suscité directement mais indirectement par le poète lorsque celui-ci représente comment tel ou tel sentiment se manifeste chez son héros » (L. Renou  , in L’Inde classique, § 1573).

Le terme et la théorie apparaissent dans le Natyasastra de Bharata   et sont repris par la tradition postérieure. Le rasa se fonde sur l’émotion (bhava) en tant qu’elle accède à la qualité de disposition mentale permanente (sthayibhava) lorsqu’elle est consolidée par un certain nombre d’états : les vibhava (« déterminants »), les anubhava (« conséquents ») et les vyabhicaribhava (« états complémentaires »), au nombre de trente-trois.

Ainsi, lorsque toutes les dispositions théatrales sont réunies, le srhgararasa (« sentiment amoureux ») se développe à partir de la rati (« amour ») qui est son sthayibhava. Il a pour déterminant (vibhava) la présence de l’être aimé, ou encore le clair de lune, les fêtes, etc. Il a pour conséquent (anubhava) les œillades, les sourires, les étreintes.

C’est Bharata lui-même qui élabore la classification des rasa qui prévaudra dans toute la tradition postérieure. Il distingue quatre rasa fondamentaux qui sont : srhgara (l’amoureux), vaudra (le furieux), vira (l’héroique) et bîbhatsa (l’odieux). Sur ces quatre rasa viennent se greffer des rasa secondaires : ainsi hasya (le comique) procède de srhgara, karuņa (le pathétique) de raudra, adbhuta (le merveilleux) procède de vira et bhayanaka (le terrible) de bibhatsa.

Les théoriciens discutent pour savoir si l’on doit admettre l’existence d’un neuvième rasa : le santarasa, « sentiment d’apaisement ». C’est le philosophe Abhinavagupta   qui s’en fait le principal défenseur, arguant qu’une disposition mentale et un rasa spécifiques doivent correspondre à la délivrance, principal but de l’homme.

La théorie du rasa ne se comprend pleinement que dans la perspective d’une esthétique du théatre (natya) tel que le conçoit l’Inde, c’est-à-dire un spectacle total qui se rapproche plutôt de notre opéra. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la liste des rasa appliquée aussi bien à la musique, à la peinture, à la danse indiennes qu’au kavya (poésie classique). (M.-C. Porcher.)

• E. Gerow, Indian Poetics (A History of Indian Literature), Wiesbaden, 1977. — La Ghatakarparavivrti d’Abhinavagupta, trad. et comm. B. Parlier, Institut de Civil, indienne, fasc. 39, Paris, De Boccard, 1975. — R. Gnoli, The aesthetic expenence according to Abhinavagupta, Bénarès, 1985 (lre éd., Rome, 1956). — S. Levi, Le Théatre indien, Paris, Collège de France, 1963 (rééd.). — V. Raghavan, The number of rasas, Madras, Adyar, 1967. — L. Renou et J. Filliozat, L’Inde classique, Paris, Imprimerie nationale, 1953. — Camatkara, Dhvani ; Emotion, Esthétique, Goût. — III : Abhinavagupta, Kant   (Critique de la faculté déjuger). [NP  ]