Henry (1963) – ser-si-mesmo
(MHEM)
Qu’expriment-elles d’autre alors, en effet, que la simple tautologie, mais d’une manière bizarre et inutilement compliquée ? Ou bien la transcendance ne se donne-t-elle pas en elles, en l’absence de tout autre fondement, comme la seule origine à partir de laquelle elle a, précisément, à être ce qu’elle est et, comme telle, à assumer, dans ce qui constitue alors son délaissement le plus insurmontable, le mode d’existence qui est chaque fois le sien ? Ou bien encore et au contraire, la détermination ontologique fondamentale de la transcendance à partir de l’être-soi et comme être-laissé-à-soi vient-elle, non de celle-ci, mais précisément de ce qui la laisse invinciblement à elle-même dans l’impossibilité pour elle de se dépasser ? A partir de cette impossibilité seulement, et de l’essence qui la contient, s’entendent et s’éclairent, dans leur opposition radicale à celles de la tautologie, les déterminations ontologiques structurelles qui vouent la transcendance à l’existence qui est la sienne et font l’être-laissé-à-soi du dépassement pour être ce dépassement qu’il est. 41
La transcendance n’est pas ce qu’elle est, livrée à elle-même, sur le fond de sa propre essence, dans son abandon à elle-même, c’est comme déterminée indépendamment d’elle, au contraire, et par ce qui constitue précisément son anti-essence, qu’elle est telle et revêt encore dans cette détermination les caractères ontologiques ultimes qui la définissent comme ce qu’elle est, l’être-soi de ce qui ne peut se séparer de soi, l’être-situé de ce qui, dans cette unité constitutive du soi, ne peut se dépasser soi-même ni échapper à sa « condition ». 41
L’être-à-l’extérieur-de-soi dans l’objectivité peut bien solliciter l’existence et définir le telos explicite ou non de son projet, l’échec de ce dernier comme de tout comportement visant l’exhibition de l’essence et son étalement dans le monde est prescrit par celle-ci et par ce qui constitue en elle la possibilité ultime de son être-soi ou sa pudeur. 45
Pour cette raison encore, parce que le sentiment constitue lui-même, comme se sentir soi-même, sur le fond en lui de l’essence de l’affectivité, l’ipséité du moi qui lui appartient par principe, la libération de celui-ci ne saurait être fonction du mode selon lequel se détermine chaque fois, comme tonalité affective particulière, le sentiment dans lequel elle se produit, comme si, en fonction d’un tel mode et du caractère authentique ou non de l’existence dont il témoigne, le moi pouvait lui-même se proposer et être compris comme authentique ou non, comme « l’être-soi véritable » ou seulement comme un moi déchu. 52
L’ipséité de l’essence, son auto-affection dans l’immanence de l’affectivité pure, c’est là l’être-soi du sujet comme Soi effectif et concret, le Soi originel de l’affection qui comme tel rend possible toute affection, même sensible, de telle manière que c’est lui, non le sujet logique, qui forme l’opposition, que c’est à lui, à un Soi, que l’opposition oppose ce qu’elle oppose, à lui que se propose l’être opposé, en sorte que c’est lui encore qui reçoit ce qui ne peut précisément être reçu que par un Soi, rendant ainsi possible toute opposition et toute réception en général en même temps que leur identité. 52
L’impuissance, constitutive de son être-Soi, du moi à se défaire de soi trouve cependant son fondement dans l’impuissance originelle du souffrir. 53
La puissance du sentiment est son jaillissement, son être-saisi-par-soi, l’adhérence à ce qu’il est, l’unité absolue où il cohère avec soi et, dans cette cohérence, dans cette adhérence, dans l’identité absolue avec soi de l’être saisi par soi, dans son être-Soi et comme ce qui le constitue, l’embrasement de son être, l’être qui s’éprouve lui-même et, dans cet acte de s’éprouver, s’illumine, surgit, est la révélation. 53
Ce qui silencieusement parvient en soi et se rassemble dans la toute-puissance de l’être-Soi, et cohère avec soi dans l’impuissance de l’être livré à soi par sa passivité originelle à l’égard de soi, ce qui, dans la toute-puissance de cette impuissance, éprouve ce qu’il est et, dans la douceur de sa propre venue à soi-même, se sent, frémit en soi dans le frémissement intérieur de sa propre révélation à soi-même, c’est la vie. 53
Mais ce qui, s’éprouvant soi-même originellement, est comme tel susceptible d’être affecté, ce qui se trouve constitué en lui-même comme un Soi, le sentir dans sa réalité intérieure et vivante, le Soi du sentir qui le rend possible, qui rend possible l’affection par l’être étranger, réside dans l’essence où le sentir puise précisément la possibilité concrète de son être-Soi, dans sa passivité ontologique originelle à l’égard de soi et dans l’affectivité. 54
Toute dépendance suppose une indépendance absolue, l’autonomie originelle de l’être, comme être-Soi, et de la vie. 55
La relation de la vie et de l’être extérieur, trouvant son fondement dans l’affection et rendue possible par elle, se laisse comprendre en effet, à partir de la nature de l’affection, comme ce qu’elle est, comme irréductible à la simple production passive dans l’être-affecté de ce qu’il éprouve à la suite d’excitations extérieures, comme impliquant au contraire la détermination par lui et par son être-soi de la tonalité qui est chaque fois la sienne, la détermination du sentiment par le sentiment lui-même et par l’essence de l’affectivité en lui. 55
Que cette révélation à elle-même de l’existence, sa relation originelle avec soi et finalement son être-soi, se propose comme une détermination essentielle de son affectivité et comme consubstantielle à celle-ci, on le voit plus nettement encore quand il est dit, à propos de l’espoir, que son « caractère affectif repose d’abord dans l’espérer comme dans un « espérer pour soi » », « ce qui, ajoute Heidegger, présuppose un « s’être-obtenu » (ein sich gewonnen haben) ». 65
En quoi consiste-t-elle ? En aucune façon dans le respect lui-même ni dans ce qui fait de lui ce qu’il est, dans la révélation originelle de son être à soi-même constitutive comme telle de son affectivité et, identiquement, de son être-soi et de l’essence de l’ipséité en lui. 65
Que loin de pouvoir être déduit de la représentation de la loi, comme ce qui lui est soumis, le moi constitue au contraire la condition ontologique de possibilité et le fondement de cette représentation, de l’opposition en général, on le voit à ceci que la raison se donne la loi à elle-même, de telle manière il est vrai que l’être de cette raison et, plus avant, son être-soi, ce qui lui permet précisément de se donner la loi à elle-même, se trouve à nouveau et une fois de plus simplement présupposé, de telle manière que le moi qui se donne la loi à lui-même, faute d’apparaître dans le respect et d’être saisi en lui comme son affectivité même, n’est plus rien d’autre qu’une condition = x, une réalité métaphysique. 65
Un tel moi, se réalisant progressivement dans la libre et contingente soumission d’un premier moi à un sur-moi, est le moi authentique et vrai, « l’être-soi véritable », comme si celui-ci ne devait pas désigner en tout premier lieu l’essence même du moi et sa possibilité, comme si cette essence, comme si une essence en général pouvait jamais se réaliser progressivement, être quelque chose qui devient. 65
Le respect est donc le mode d’être-soi du moi qui lui défend de « rejeter le héros hors de son âme ». » 65
À celui-ci appartiennent, sur le fond en lui de son essence, comme ses déterminations ontologiques structurelles précisément, l’être-vivant, l’être-situé, l’être-soi, la passivité originelle à l’égard de soi dans le souffrir, la non-liberté ; corrélativement, l’ensemble des déterminations qui se réfèrent à la transcendance et ont en elle leur fondement se trouvent au contraire exclues de ce qui constitue son être réel et propre. 66
Quelque chose, toutefois, n’entre pas dans le jeu et c’est là proprement ce que Kierkegaard appelle le sérieux : l’être du vouloir ne pas être soi, du vouloir se défaire de soi, en tant que cet être, donné à lui-même dans l’unité absolue de son immanence radicale, éternellement donné à lui-même dans l’ipséité de son être-soi, ne peut précisément se défaire de soi, ni cesser d’être ce Soi qu’il est. 70
