michel_henry:henry-1963-fenomenalidade

Henry (1963) – fenomenalidade

Compris dans sa signification ontologique comme la condition pour que quelque chose comme un « phénomène » s’offre à nous, ou, plus exactement, comme la structure même de la phénoménalité, le concept de distance phénoménologique doit évidemment être distingué de celui de distance spatiale ou « réelle ». 9

Proximité et éloignement sont deux modalités à l’intérieur d’un éloignement plus fondamental qui appartient, à titre de condition, à la structure même de la phénoménalité. 9

Il n’y a de degrés dans la proximité qu’au moment où celle-ci cesse d’être considérée dans sa signification ontologique en tant qu’elle appartient, comme structure constitutive, à l’essence de la phénoménalité, pour devenir une caractéristique phénoménologique de l’étant lui- même. 9

Le dualisme de l’être et de sa propre image, qui vient d’être pensé comme la condition phénoménale de l’être, ne saurait être limité dans sa portée ; il appartient au contraire à la définition même de la structure interne de la phénoménalité et apparaît à ce titre comme une prescription d’ordre éidétique, comme une condition absolument universelle, identique à l’essence de la manifestation comme telle. 10

Ainsi les conditions de la phénoménalité trouvent-elles dans la description de l’essence divine, non pas l’exemple particulier encore que privilégié d’une réalité qu’elles se soumettraient et qui serait subsumée sous elles comme sous une règle générale, mais leur propre réalité, en tant précisément qu’elles ne sont pas des conditions abstraites, mais les conditions mêmes de la réalité et, comme telles, la réalité ontologique absolue elle-même. 10

Les présuppositions ontologiques qui ont été exposées et pensées comme la condition de la phénoménalité et comme constituant à ce titre l’essence du phénomène, seront désignées dans la suite de cet ouvrage sous le titre de « monisme ontologique ». 11

Division, séparation, opposition étaient justement, toutefois, les conditions de la phénoménalité dans le monisme ontologique. 11

L’intelligence et l’action ne constituent pas, aux yeux de Schelling, deux réalités différentes et originairement séparées, elles ne sont dans l’absolu qu’une seule et même chose, ce n’est pas à l’action, c’est à « son action » que l’intelligence s’oppose, c’est-à-dire à elle-même en tant qu’active ; mais justement, cette séparation d’avec soi est la condition de la phénoménalité, une condition primitive qui fait alors surgir comme deux termes apparemment différents l’intelligence et l’action, et cela pour que la conscience puisse naître. 11

Le sujet apparaît comme la condition de la phénoménalité des phénomènes. 11

Pensant le sujet comme le fondement de la phénoménalité des phénomènes, la philosophie de la conscience interprète finalement l’être de ce sujet comme le Rapport. 11

Le renversement de la doctrine qui se fait jour dans les dernières œuvres de Heidegger où le principe de la phénoménalité est cherché dans l’extériorité radicale de l’être, trouve ses prémisses dans Sein und Zeit et dans la pensée philosophique traditionnelle où il est en fait déjà inclus. 11

Le rejet des concepts traditionnels de sujet, de subjectivité, de conscience, de raison, voire même de « personne », l’objection sans cesse formulée contre la légitimité de leur emploi et conformément à laquelle la réalité qu’ils désignent demeure toujours en fait non questionnée dans son être, signifient la transcendance de l’être par rapport aux éléments qui sont pensés comme le principe de la phénoménalité ou plus étroitement de la connaissance. 12

Cette dissimulation de soi de l’essence de la phénoménalité est la manifestation de soi de l’étant. 13

C’est dans l’être effectif de celle-ci que l’essence de la phénoménalité pure trouve la condition de sa réalité, c’est dans le phénomène lui-même qu’elle parvient à la condition phénoménale. 13

Si la phénoménalité trouve son effectivité immédiate dans la détermination où elle paraît, celle-ci a non moins immédiatement la signification de n’être pas l’essence. 13

L’essence de la phénoménalité pure est autre que son effectivité. 13

En tant que l’essence de la phénoménalité est autre que son effectivité, elle trouve bien plutôt dans celle-ci sa propre suppression. 13

C’est cette non-vérité de l’essence, finalement, qui se dissimule dans la vérité de la phénoménalité effective. 13

C’est pourquoi la détermination est aussi ancienne que lui, parce qu’elle définit une condition de la phénoménalité, c’est-à-dire de l’absolu lui-même. 14

En tant qu’il constitue la condition de possibilité du devenir effectif de la phénoménalité, l’étant appartient à la structure interne de celle-ci. 14

L’appartenance de l’élément ontique à la structure interne de l’essence de la phénoménalité, à titre de condition de possibilité du devenir effectif de celle-ci, est visible aussi dans la philosophie de la conscience de Schelling. 14

Ce qui, dans le devenir effectif de la phénoménalité, entre dans la condition phénoménale, est la détermination finie. « 14

La séparation effective de la créature d’avec Dieu dans le phénomène de la création et le rejet constitutif du panthéisme au profit d’une « autonomie de la progéniture » trouvent ainsi leur motif dans les conditions qui rendent possible le devenir effectif de la phénoménalité. 14

L’essence ne se réalise au sein du devenir effectif de la phénoménalité qui est l’esprit concret que si, dans le processus ontologique de l’aliénation qui la constitue, est inclus le non-ontologique, le terme radicalement autre, l’être différent de cette aliénation elle-même. 14

Le lien qui unit l’essence et la détermination est impliqué dans le devenir effectif de la phénoménalité. 14

En tant que l’essence de la phénoménalité ne se manifeste que dans le phénomène, celui-ci est l’apparence de cette essence. 14

Le problème de la manifestation de l’essence pure de la phénoménalité était déjà posé chez Fichte qui le comprenait dans les Conférences comme celui de la manifestation de l’ « existence ». 14

La prétention de saisir la raison de la diversité empirique dans le concept lui-même trouve sa légitimation dans la compréhension de la structure interne de celui-ci, c’est-à-dire dans la définition des conditions de la phénoménalité effective. 14

Que se produit-il, cependant, lorsque cette phénoménalité devient effective ? « Que renferme donc en cet état la conscience ?… Le monde, dit Fichte, et rien que le monde. » 14

Rien d’autre ne se produit dans le devenir effectif de la phénoménalité que la détermination ontique et elle seule : la conscience effective est l’entité transcendante. 14

Ou bien l’essence pure de la phénoménalité n’est-elle pas présente en tant que telle dans le contenu réel de l’apparence ? L’absolu ne se manifeste-t-il pas en lui-même dans cette conscience effective ? « Ou bien, demande Fichte, la vie divine ne se trouve-t-elle pas immédiatement dans cette conscience ?… Non, car la conscience ne peut absolument que transformer en un monde cette vie immédiate, et dès qu’on pose cette conscience, cette transformation est posée comme effectuée. » 14

Le devenir effectif de l’essence de la phénoménalité dans la conscience réelle est sa transformation dans l’apparence déterminée de l’entité transcendante : dans cette transformation qui la réalise, l’essence s’est aussi bien perdue. 14

L’essence pure de la phénoménalité est l’objectivation elle-même, la transformation comme telle. 14

Ainsi voit-on la philosophie de la conscience inévitablement contrainte de poser l’inconscience de la conscience absolue sous laquelle elle s’efforce de penser l’essence de la phénoménalité. 14

L’essence originaire de la manifestation est le non-objectif et, comme telle, elle n’appartient pas à la sphère effective de la phénoménalité. 14

L’analyse réflexive est l’expression méthodologique du paradoxe constitué par la condition non phénoménale de l’essence de la phénoménalité. 14

L’essence de la phénoménalité qui n’entre pas dans la condition phénoménale n’y entre-t-elle pas dans le point de vue transcendantal ? Mais comment ? Pour « ramener à la conscience » ce qui est « absolument non objectif », le point de vue transcendantal ne peut que « le rendre objectif ». 14

A moins de confondre les deux, comme le fait Schelling, il faut reconnaître qu’ici encore le devenir phénoménal de l’essence de la phénoménalité est l’autosuppression de cette essence pure. 14

Les difficultés communes à la philosophie de la conscience et à la philosophie de l’être ne perdent-elles pas cette signification d’être un obstacle au progrès de la pensée qui veut circonscrire l’essence concrète de la phénoménalité si cette pensée comprend justement une telle essence dans son caractère concret, c’est-à-dire dans l’effectivité de son être-réalisé ? Car ce n’est pas l’inévitable référence de l’essence à la détermination, c’est la prétention de saisir l’essence en dehors de cette référence et dans une prétendue pureté qui doit être mise en cause, si l’être-là de la détermination effective est le devenir phénoménal et, comme tel, la réalisation de l’essence de la phénoménalité. 14

Ce qui s’exprime dans celle-ci, c’est l’unité indissoluble de l’élément ontique et de l’élément ontologique dans le devenir effectif de la phénoménalité. 14

Si le Dasein ne désigne pas seulement l’abstraction d’une présence mais cette présence même dans son accomplissement réel, n’est-ce pas légitimement, alors, que la transcendance est qualifiée en lui, non pas sans doute comme « la propriété d’un sujet donné, » mais comme « la manière d’être essentielle de cet étant » que le « Dasein » est aussi ? Le droit de parler d’une « possibilité ontique de la compréhension de l’être » n’est-il pas fondé ? L’ambiguïté fondamentale du Dasein ne trouve-t-elle pas sa raison dans la structure interne de la phénoménalité effective ? C’est ici qu’il convient de rappeler avec force la signification d’une problématique qui vise l’essence. 14

L’étant est-il oui ou non une condition de la manifestation ? La thèse selon laquelle l’étant doit être compris, en tant qu’élément appartenant au devenir phénoménal de l’essence de la phénoménalité, comme une condition de l’être-effectif de celle-ci, est absurde. 15

Que l’être-en-soi pénètre dans cette dimension de la phénoménalité ne signifie pas qu’il soit en lui-même cette lumière de la manifestation pure. 15

L’indifférence de l’acte d’apparaître au contenu de ce qui chaque fois apparaît en fait implique-t-elle nécessairement une indépendance du devenir effectif de l’apparition par rapport à l’élément ontique qui se montre en elle, signifie-t-elle la Selbständigkeit de l’essence ? La contingence du contenu de la détermination qui est là n’est-elle pas plutôt le signe d’une nécessité et, comme telle, impliquée dans l’accomplissement de l’être-effectif de la phénoménalité ? Car la contingence du contenu n’exclut pas mais présuppose peut-être l’existence de celui-ci, quel qu’il soit. 15

Dans le déploiement de l’horizon transcendantal de l’être s’épuise l’œuvre de l’essence, avec lui se réalise le devenir effectif de la phénoménalité. 15

Le contrarium qui, sur le fond de la compréhension de l’essence de la manifestation comme opposition, est pensé, depuis Bœhme, comme la condition du devenir phénoménal de la phénoménalité, doit être saisi non comme un élément ontique mais dans la nudité de sa signification ontologique pure. 15

On a vu comment la distance qu’institue l’opposition et qui définit le champ ouvert de la phénoménalité a d’abord été pensée comme une distance « réelle ». 15

C’est le néant, non l’étant, qui se trouve objecté dans l’objectivation et qui, sous la forme d’un horizon, réalise le devenir phénoménal de l’essence de la phénoménalité. 15

C’est le néant de l’être non la singularité de l’étant que l’existence pose en face d’elle dans le mouvement par lequel elle se réalise, c’est-à-dire dans le devenir effectif de la phénoménalité. 15

Cette place pure est ce qui s’institue dans le processus interne de l’essence en tant que ce processus s’accomplit, elle est, comme telle, le devenir effectif de l’essence de la phénoménalité. 15

C’est parce qu’elle ne s’est pas encore élevée à une telle compréhension que la philosophie de la conscience tombe dans l’équivoque dès qu’il s’agit pour elle de définir les conditions effectives de la phénoménalité. 15

Le devenir effectif de la phénoménalité dans l’être objectif de l’objet est le fait de l’essence et d’elle seule. 15

C’est donc bien dans l’objet que se réalise le devenir effectif de la phénoménalité bien qu’à ce devenir l’étant ne prenne par lui-même aucune part. 15

Parce que la philosophie de la conscience voit dans l’objet comme tel la condition du devenir effectif de la phénoménalité, la condition du devenir conscient, elle pose cet objet en même temps qu’elle pose la conscience, et comme identique à celle-ci. 15

L’idéalisme absolu confond seulement l’étant avec les conditions effectives de la phénoménalité. 15

L’acte de poser devant constitutif du devenir effectif de la phénoménalité étant confondu avec la position de l’étant lui-même, l’idéalisme absolu croit pouvoir déduire celui-ci. 15

La non-appartenance de l’étant au devenir effectif de la phénoménalité en tant que ce qui se trouve posé dans le processus de ce devenir est non pas l’étant lui-même mais son être-objet comme tel, amène à reposer le problème de la finitude dans son rapport à l’essence de la phénoménalité, c’est-à-dire à l’être comme tel. 15

La finitude de l’horizon signifie la finitude de la phénoménalité effective. 15

Elle concerne la structure interne de l’essence originaire et pure de la phénoménalité en tant que cette essence ne se réalise que dans le processus par lequel elle s’objective sous la forme d’un horizon fini. 15

La phénoménalité qui devient effective dans l’objectivation de cet horizon est elle-même une phénoménalité finie. 15

La finitude est une structure éidétique de l’essence de la phénoménalité. 15

Le devenir effectif de la phénoménalité qui est l’œuvre de l’essence s’accomplit sans la médiation de l’étant. 15

Quelle que soit la manière dont la détermination manifeste l’essence, en la dissimulant ou en l’indiquant, dans sa signification essentielle ou inessentielle, il faut d’abord qu’elle soit là, il faut que pour elle l’essence ait accompli son œuvre dans le devenir effectif de la phénoménalité. 16

Le devenir effectif de la phénoménalité réside dans l’ouverture de l’horizon transcendantal de l’être. 16

Si l’ouverture de l’horizon transcendantal de l’être réalise le devenir effectif de la phénoménalité, c’est que cet horizon se montre. 16

Ce qui se réalise dans l’essence et par elle n’est sans doute pas le « phénomène » au sens de quelque chose qui se manifeste, c’est la phénoménalité pure et pourtant effective. 16

La phénoménalité effective surgit dans le sein même de l’essence parce que celle-ci s’objective sous la forme d’un horizon qui se montre. 16

Pour cette raison, parce que l’essence de la phénoménalité comprend en soi le devenir phénoménal, elle est autonome. 16

La manifestation de l’horizon dans l’œuvre pure de l’essence signifie l’immanence du devenir phénoménal à l’essence de la phénoménalité. 16

En tant qu’il constitue la phénoménalité effective, le devenir phénoménal est la réalité de l’essence de la phénoménalité. 16

En tant que le devenir phénoménal est inclus dans l’essence de la phénoménalité, celle-ci trouve en elle-même sa réalité. 16

La Selbständigkeit signifie que le devenir phénoménal est immanent à l’essence originaire et pure de la phénoménalité. 16

L’immanence du devenir phénoménal à l’essence de la phénoménalité comprise selon les présuppositions ontologiques fondamentales du monisme s’exprime dans l’affirmation que l’horizon ouvert par cette essence se manifeste comme tel et dans sa pureté. 16

L’immanence du devenir phénoménal à l’essence originaire et pure de la phénoménalité a un fondement. 16

Le problème du devenir phénoménal de l’essence de la phénoménalité est justement le problème de la structure interne de celle-ci. 16

L’essence de la phénoménalité trouve en elle sa réalité en tant que c’est en elle que la phénoménalité se produit. 16

Que la phénoménalité effective se produise dans l’essence, cela n’est possible, toutefois, que par celle-ci. 16

L’élucidation du fondement de l’immanence du devenir phénoménal à l’essence de la phénoménalité permet seule de dire si ce devenir se recouvre totalement avec l’essence qui le fonde, si l’essence originaire et pure est la vérité ou si elle est aussi la non-vérité. 16

Le savoir absolu est ce commencement absolu, il est l’origine, et cela en un sens ontologique et non pas seulement existentiel, l’origine qui est le surgissement de la dimension effective de la phénoménalité où quelque chose en général, et le savoir naturel d’abord, peuvent se produire, c’est-à-dire se manifester. 21

L’histoire n’est donc pas le « mouvement par lequel advient l’apparaître » car celui-ci est d’ores et déjà venu près de nous, le s’apparaître de l’apparaître s’est d’ores et déjà produit, et cela comme le surgissement originel d’une dimension effective de phénoménalité où cette histoire peut s’accomplir et d’abord commencer. 21

La raison pour laquelle, confondant leur pouvoir avec celui de l’origine, le renversement et l’histoire se substituent à celle-ci pour s’identifier avec l’essence qui assure la promotion de la phénoménalité effective réside ainsi dans l’incapacité de la pensée à saisir en lui-même son propre fondement. 21

Un tel caractère signifie que l’essence de la manifestation se manifeste en elle-même et par elle-même, et cela d’une manière originaire, comme ce qui doit d’ores et déjà s’être manifesté pour que quelque chose d’autre, à savoir l’étant, puisse, alors et seulement, dans le milieu ainsi ouvert de la phénoménalité effective, se manifester à son tour. 22

Si, comme il a été montré, le devenir phénoménal de l’essence pure de la phénoménalité réside dans la manifestation de l’horizon, la question de la possibilité interne de ce devenir qui confère à l’essence sa réalité se concentre dans le problème de la réceptivité. 22

Car l’intuition trouve son fondement dans le processus par lequel l’essence s’objecte le champ pur de la phénoménalité sous la forme d’un horizon fini. 22

Aussi longtemps que cette essence est interprétée comme celle de la transcendance, la phénoménalité effective, pure, qu’elle promeut, doit, en tant que telle, être finie. 22

Qu’est-ce qui rend possible, cependant, dans sa nature la plus intime, l’intuition elle-même ? En quoi consiste le pouvoir ontologique de l’intuition, ce pouvoir où se concentre finalement l’essence de la manifestation elle-même, si l’intuition assure la cohérence interne et l’unité de cette essence en tant qu’elle rend possible la réception de ce que celle-ci s’objecte, en tant que la phénoménalité ne parvient à l’effectivité qu’avec et dans une telle réception ? L’essence de l’intuition réside dans l’objectivation. 23

Cependant lorsque la réflexion sur les conditions de la phénoménalité effective a montré que l’horizon de l’être ne peut remplir sa fonction et rendre l’étant accessible que s’il se manifeste en lui-même, c’est à l’intuition qu’est demandée la manifestation de cet horizon pur. 23

Si le temps se donne en effet comme « la condition universelle de tous les phénomènes en général », c’est qu’il constitue l’essence même de la phénoménalité. 24

Lorsqu’elle a été enfin élevée à l’état de problème, l’essence de la phénoménalité a été interprétée comme le processus ontologique dans lequel l’essence s’oppose l’horizon. 24

C’est dans le temps compris comme intuition que réside finalement la possibilité de la formation effective de l’horizon transcendantal de l’être, c’est-à-dire la réalisation de l’essence de la phénoménalité dans le devenir phénoménal de cette essence. 24

Dans ce qui se trouve produit par lui seulement, c’est-à-dire dans l’ouverture de l’horizon pur de l’être, s’accomplit le devenir effectif de la phénoménalité. 25

C’est précisément parce que le devenir effectif de la phénoménalité s’accomplit seulement dans ce qui se trouve produit par l’acte de l’essence qu’un tel acte se produit. 25

La transcendance s’élance en avant parce que, dans ce mouvement de sortir de soi et de s’en aller vers le dehors, elle crée, avec ce dehors, l’avant-plan de lumière qui constitue la dimension effective de la phénoménalité. 25

Le milieu de l’extériorité où se constitue la dimension de la phénoménalité effective, cependant, est produit. 25

Si la détermination du statut phénoménologique du milieu de l’être exige que soit tiré au clair ce qui rend possible la phénoménalité de ce milieu et constitue par suite son essence même, c’est à l’acte originaire de la transcendance qu’inévitablement cette détermination renvoie. 25

Une fois écartée la possibilité de définir la réalité de la transcendance à partir de celle de l’horizon dont elle fonde en fait la phénoménalité, c’est-à-dire la réalité même, c’est à Pacte de la transcendance considéré en lui-même que la pensée s’attache. 25

En quoi consiste, plus précisément, cet acte de retenir près de soi l’horizon de l’être ? N’est-il pas identiquement celui de l’opposer et de le maintenir devant soi et, comme tel, l’acte originaire par lequel la transcendance déploie, dans son libre essor, l’horizon transcendantal de l’être et de la phénoménalité effective ? La thèse selon laquelle la réceptivité de l’horizon dans lequel l’essence s’objective réside dans le fait que cet horizon est formé par l’essence elle-même, a été critiquée. 25

En quoi consiste la manifestation de soi de l’acte originaire de la transcendance qui déploie l’horizon, où luit la phénoménalité de cet acte, où réside sa réalité ? Ce qui se manifeste quand le surgissement effectif de la phénoménalité est confié à la transcendance qui crée le milieu phénoménologique de l’être dans l’acte par lequel elle le pose devant elle, ce n’est pas cet acte considéré en lui-même, c’est le lointain originel qu’il façonne en lui donnant la forme d’un horizon. 25

La phénoménalité luit là-bas dans l’espace libre qu’a ouvert la transcendance, c’est ce milieu ouvert qui se phénoménalise et qui est visible comme tel. 25

La réalité de la transcendance n’est cependant pas définie par la phénoménalité de l’horizon transcendantal de l’être, elle est y bien plutôt y présupposée par celle-ci. 25

Mais, lorsque vient le moment de faire la preuve de cette réalité et de fonder, en lui conférant un statut phénoménologique, l’acte originairement imaginatif de l’essence qui s’objecte dans l’horizon, c’est à la phénoménalité de celui-ci qu’il est fait secrètement appel. 25

Ou bien, si la phénoménalité de l’horizon transcendantal de l’être ne contient pas la réalité de l’acte de la transcendance qu’elle présuppose en fait, la réalité de cet acte ne doit-elle pas être cherchée, dès lors, en dehors du milieu ontologique de la vérité. 25

La prétention d’assigner à l’être accompli de la phénoménalité effective un fondement non phénoménal a été mise en question quand a été dénoncé le caractère paradoxal de la philosophie de la conscience astreinte précisément à chercher le principe de la conscience dans le non-conscient. 25

L’évidence qui se présentait alors devant la pensée aux prises avec cette difficulté commune à la philosophie de la conscience et à la philosophie de l’être était celle-ci : le surgissement effectif de la phénoménalité est l’œuvre de l’essence et d’elle seule. 25

C’est elle, en vérité, qui était visée par la philosophie de la conscience comme par celle de l’être au moment même où elles faisaient paradoxalement intervenir l’étant dans la structure interne de la phénoménalité effective. 25

Ce n’était pas l’étant, en fait, c’était l’objet qui était pensé comme réalisant en lui le devenir effectif de la phénoménalité. 25

Si le devenir effectif de la phénoménalité se réalise dans l’objet, c’est qu’il trouve son fondement dans le pouvoir qui rend l’objet possible, c’est-à-dire dans le processus ontologique de l’objectivation considéré en et pour lui-même. 25

Il ne suffit plus, dès lors, d’opposer à l’étant qui ne peut fonder la phénoménalité effective de l’horizon où il paraît, la manifestation originelle de cet horizon lui-même, le vrai problème de la philosophie de la conscience comme de la philosophie de l’être est de comprendre le rapport de cette manifestation effective avec le pouvoir qui la fonde. 25

Mais ce rapport devient inintelligible quand, dans la production de la phénoménalité effective de l’objet, cette production elle-même demeure dans l’ombre, il cesse d’être un rapport quand l’horizon de l’être et l’acte originaire de la transcendance retombent en fait chacun de leur côté, l’un dans la lumière du milieu phénoménologique qu’il constitue, l’autre dans la nuit de sa condition originelle. 25

Comme la réalisation de la non-phénoménalité dans la non-essence de la non-vérité est arbitraire, arbitraire est aussi la réalisation de la phénoménalité dans le milieu ouvert de l’extériorité pure. 25

L’indétermination ontologique foncière de la non-essence empêche de voir en quoi celle-ci rend possible la phénoménalité de l’horizon transcendantal de l’être. 25

Que le fondement soit seulement le non-phénoménal au sens de ce qui n’est pas la phénoménalité propre à l’horizon ouvert de l’être, cela ne dit en rien en quoi un tel « fondement » est capable de produire celle-ci. 25

Dans ce devenir, ou dans la production de la phénoménalité effective, réside pourtant le lien des essences en même temps que leur réalité. 25

C’est avec une telle interprétation, en réalité, que la philosophie de l’être croit pouvoir s’opposer à celle de la conscience, pour autant que celle-ci place dans l’homme lui-même le principe de la phénoménalité. 26

Si cette phénoménalité réside au contraire dans la spatialité originelle de l’espace ouvert par l’horizon, si cet espace transcendantal et pur « ne se trouve pas dans le sujet » mais constitue au contraire son être, sa subjectivité même, cette dernière qui contient en elle le principe de toute vérité possible cesse alors d’être enfermée dans la « conscience » de l’homme, l’homme, en tout cas, ne la possède plus. 26

La question de savoir si la phénoménalité trouve son principe dans l’essence de l’homme peut difficilement être résolue aussi longtemps que nous ne savons pas ce qu’est l’homme lui-même, aussi longtemps que la problématique ne dispose pas du soubassement ontologique suffisant lui permettant de décider de ce qu’il en est ultimement des rapports qui missent la phénoménologie de l’ego à l’ontologie fondamentale. 26

Que l’homme, n’étant plus identifié avec le pouvoir qui produit la phénoménalité effective, cesse de porter en lui la lumière de l’être, cela n’écarte pas mais pose seulement avec plus d’urgence le problème de la possibilité pour lui d’être éclairé par elle. 26

C’est l’essence qui assure dans l’homme la réception de la vérité, réception dans laquelle cette vérité se conquiert elle-même et devient ainsi seulement ce qu’elle est, l’essence effective de la phénoménalité. 26

Que la vérité ne réside pas dans l’homme mais seulement dans l’essence, ne signifie pas, toutefois, qu’elle se confonde avec le milieu absolu de l’extériorité pure, ne signifie pas, plus précisément, que la phénoménalité effective de ce milieu trouve en lui la condition de sa possibilité. 26

Ce dont s’accompagne une telle réalisation, en effet, c’est, on l’a vu, le dépouillement de l’homme désormais séparé du pouvoir ontologique qui produit la phénoménalité. 26

Que signifie, cependant, d’une façon plus précise, la finitude ici en question ? Être fini, cela veut dire pour l’homme qui ne porte plus en lui le principe de la phénoménalité, être séparé de la vérité. 26

Ce qui est séparé de la vérité qui signifie la lumière de la phénoménalité est en lui-même obscur. 26

L’obscurité de l’âme est liée au thème religieux du néant de l’homme fini et pécheur, tandis que l’intelligibilité de l’étendue signifie l’identification de la vérité, c’est-à-dire de l’essence de la phénoménalité effective, avec la spatialité transcendantale et pure de l’extériorité comme telle. 26

Ou bien, lorsque cette obscurité prétend à un sens positif, la non-phénoménalité par quoi elle se définit alors n’est encore, en fait, que la simple réalisation de la négation de la phénoménalité propre au milieu pur de l’extériorité. 26

Le caractère central du problème de la réceptivité à l’intérieur de la problématique de l’essence de la manifestation se fait jour lorsque l’essence de la réceptivité, n’étant plus comprise d’abord et exclusivement dans sa relation à l’horizon transcendantal de l’être, se trouve saisie au contraire dans son lien originel avec ce qui fonde la phénoménalité de cet horizon. 27

La transcendance est l’essence de la manifestation en tant qu’elle est le comment de cette manifestation, en tant que réside en elle le pouvoir ontologique qui fait surgir la phénoménalité comme telle. 27

Plus exactement, la phénoménalité qui trouve son comment dans l’essence de la transcendance est la phénoménalité de l’horizon. 27

Comment la transcendance fait-elle surgir la phénoménalité de l’horizon ? Dans l’acte même par lequel elle le pose devant elle. 27

La transcendance est l’essence de la phénoménalité de l’horizon parce qu’elle est cet acte même et, comme telle, le mode originaire selon lequel cette phénoménalité s’accomplit. 27

En tant qu’elle constitue une manifestation, l’extériorité définit une dimension de la phénoménalité. 27

A la question, où se décide le sens de l’être, de savoir si ce qui se phénoménalise originairement dans cette dimension de la phénoménalité comme constituant cette phénoménalité même est la transcendance, la réponse a été donnée quand il a été montré que la réalité de la transcendance ne réside pas dans le milieu ouvert de l’extériorité pure. 27

Que la réalité de la transcendance ne réside pas dans le milieu ouvert de l’extériorité pure, cela signifie que ce qui se phénoménalise originairement dans ce milieu comme constituant sa phénoménalité même n’est pas la transcendance, cela signifie que la manifestation originaire de la transcendance n’est pas la manifestation originaire de l’horizon transcendantal de l’être. 27

Que le cogito conduise inévitablement hors de soi, vers le dehors, ne signifie pas (si du moins nous voulons donner une portée philosophique à ce texte en mettant à jour la présupposition ontologique implicite sur laquelle il repose en fait) qu’à l’élément ontologique pur de l’être-pour-soi doive nécessairement s’adjoindre l’être-en-soi (l’étant) comme constituant avec lui la réalité concrète de la phénoménalité effective : cette réalité est incluse dans l’élément ontologique lui-même. 28

C’est parce que la phénoménalité est implicitement identifiée avec l’extériorité que la conscience est pensée comme ne se réalisant qu’en allant à l’extérieur de soi, c’est-à-dire, en fait, dans et par l’extériorité. 28

C’est lorsqu’il est confondu avec celle-ci que l’être-en-soi se donne improprement pour une condition de la réalité de l’élément ontologique lui-même, c’est-à-dire comme intervenant dans la structure concrète de la phénoménalité effective. 28

Ce n’est plus « l’être-en-soi », ici, c’est le « phénomène » qui se donne comme constituant avec la conscience la totalité synthétique concrète où se réalise l’être-pour-soi effectif, c’est-à-dire la phénoménalité elle-même. 28

Une fois dissipées les confusions dont elle s’entoure, l’intervention de l’être-en-soi dans la définition de la totalité synthétique concrète où se réalise la phénoménalité effective a donc comme sens l’identification de celle-ci avec l’extériorité elle-même. 28

Ce qui s’annonce derrière cette intervention de l’être-en-soi, c’est une certaine conception de la phénoménalité, c’est-à-dire de l’élément ontologique pur lui-même. 28

La conscience est abstraite en tant qu’elle est séparée de la phénoménalité. 28

Comment la conscience peut-elle être séparée de la phénoménalité ? En tant qu’elle ne s’est pas encore réalisée dans l’extériorité, en tant qu’elle reste « en elle-même ». 28

Le mouvement de la conscience vers le dehors est le mouvement de la conscience vers sa propre réalité, vers la réalité de la phénoménalité effective. 28

Qu’en est-il, cependant, de cette conscience considérée « en elle-même », que signifie pour elle, d’une façon plus précise, être abstraite ? Si la conscience est abstraite en tant qu’elle est séparée de la phénoménalité effective, que devient-elle dans cet état ? N’est-elle absolument rien ? Et si elle n’est rien pourquoi intervient-elle du moins comme l’un des deux termes qui composent ensemble la totalité synthétique concrète du réel ? Ou bien la phénoménalité qui réside dans l’extériorité n’a-t-elle pas comme condition le devenir de celle-ci ? Le devenir de l’extériorité dans l’acte originaire par lequel la conscience s’en va vers le dehors est la conscience même. 28

Comment la transcendance peut-elle être abstraite ? Le pouvoir ontologique originaire qui déploie l’horizon transcendantal de l’être et qui fonde sa phénoménalité dans l’acte par lequel il le pose devant, n’est-il pas justement ce qui fonde la phénoménalité de cet horizon et comme tel son essence ? Considérée en elle-même, dans l’acte pur de sa transcendance, la conscience est le terme concret. 28

Pourquoi cette essence est-elle désignée, au contraire, comme l’élément unselbständig, pourquoi la conscience considérée en elle-même n’a-t-elle « par elle-même aucune suffisance d’être » ? Parce que, a-t-on vu, elle est séparée de la phénoménalité effective, parce qu’en elle-même elle ne se manifeste pas. 28

Concrète, la transcendance l’est aussi longtemps qu’il faut bien penser comme le devenir de l’extériorité la condition de la phénoménalité qu’on a réalisée dans celle-ci. 28

C’est le moment pour la problématique qui pense la possibilité de la phénoménalité sous le titre de « conscience » d’en revenir à la considération de ce qu’est celle-ci, non plus dans son être-à-l’extérieur-de-soi, mais « en elle-même ». 28

La manifestation de l’acte d’apparaître est incluse dans l’affirmation selon laquelle ce qui se phénoménalise dans le champ pur de la phénoménalité est cet acte d’apparaître lui-même. « 28

Que le champ de l’Erscheinen soit encore « fait par lui », cela nous invite à réfléchir sur la nature de l’Erscheinen en tant qu’il n’est pas seulement ce qui se phénoménalise dans ce champ comme constituant sa phénoménalité même, en tant qu’il n’est pas seulement ce champ lui-même mais encore ce qui le crée. 28

A la pensée qui médite sur la nature de l’Erscheinen se présente dès lors cette évidence : la détermination du champ où l’acte d’apparaître parvient à l’intuition de soi comme fait de cet acte et par lui, repose sur une confusion, plus exactement sur l’ambiguïté de l’« apparaître » lui-même en tant que celui-ci désigne à la fois la phénoménalité de l’horizon transcendantal de l’être et la transcendance elle-même. 28

Dès qu’elle est comprise dans sa nature ontologique de fondement, la transcendance se dérobe à la phénoménalité de l’horizon. 28

Qu’au moment où elle se dérobe ainsi à la lumière de cette phénoménalité, la transcendance soit purement et simplement réalisée dans la nuit de la non-vérité, cela atteste l’échec, dans la double direction où elle s’engage, de la problématique qui voulait lui assigner un statut phénoménologique positif et, par là, déterminer dans sa réalité l’être du fondement. 28

L’immanence du devenir phénoménal à l’essence de la phénoménalité désigne cette essence elle-même comme ce qui se phénoménalise à l’intérieur de ce devenir. 29

A la détermination de la nature de l’Erscheinen, c’est-à-dire de l’essence de la manifestation, appartient encore une présupposition, à vrai dire essentielle : si l’Erscheinen qui parvient à l’intuition de soi dans le champ phénoménologique est cet Erscheinen considéré en tant qu’il est ce qui crée la phénoménalité de ce champ (en tant que ce champ est constitué par lui), c’est que l’acte d’apparaître qui est le fondement de sa propre manifestation se montre aussi en tant qu’il est ce fondement. 29

Dans cette détermination de l’être du fondement comme ce qui se montre, la signification positive de la Selbständigkeit, la manifestation de l’essence, ne se recouvre-t-elle pas purement et simplement avec ce qui constitue sa possibilité même ? Cette possibilité cesse d’être abstraite, elle est autre chose qu’une condition = x, si elle s’exhibe dans le champ qu’elle fonde de la phénoménalité comme cela même qui le fonde. 29

L’élaboration de la structure formelle de l’idée d’autonomie reste cependant formelle, les conditions qu’elle énumère comme constituant ensemble la phénoménalité concrète demeurent en fait des présuppositions vides aussi longtemps qu’il n’est pas répondu à cette question : qu’est-ce qu’apparaître ? Que l’acte d’apparaître apparaisse, qu’il soit le fondement de sa propre apparition, et qu’il apparaisse justement en tant qu’il est ce fondement, cela donne sans doute à penser que cet acte d’apparaître se suffit à lui-même, mais cela ne veut encore rien dire aussi longtemps que la signification du mot « apparaître » demeure en fait et chaque fois totalement indéterminée. 29

L’impuissance de la problématique à déterminer dans sa réalité l’être du fondement trouve son origine dans l’impuissance du fondement lui-même à se produire en et par lui-même dans la dimension effective de la phénoménalité. 29

L’impuissance du fondement à se produire en et par lui-même dans la dimension effective de la phénoménalité est identiquement l’impuissance de la transcendance à assurer elle-même sa propre manifestation. 29

Avec la manifestation de l’horizon ouvert par la transcendance, la problématique qui comprend celle-ci comme le fondement ne dispose-t-elle pas cependant d’une dimension réelle et effective de la phénoménalité ? Parce que cet horizon est ouvert par la transcendance, il n’est rien, on l’a vu, aussi longtemps que l’être de celle-ci n’est pas donné. 29

La structure de la raison est la structure de la phénoménalité. 32

Parce qu’elle est la structure de la phénoménalité, la structure de la raison est une structure phénoménologique. 32

Ainsi la phénoménalité peut-elle paraître enfermée dans le concept d’un dépassement où la réalité qui opère celui-ci se trouve aussi être dépassée par lui. 33

Si la main ne peut toucher le mur bien que leur contiguïté spatiale se manifeste dans le monde, si cette manifestation particulière mais pure en elle-même ne constitue pas encore un rapport au sens transcendantal, c’est que la réalité phénoménologique de celui-ci n’est pas la phénoménalité du monde. 33

Le dépassement de L’étant dans l’horizon transcendantal de l’être est le contenu réel de ce concept, la phénoménalité du monde, sa seule référence phénoménologique. 33

Saisir le rapport transcendantal de l’être-au-monde dans sa vraie nature, à partir de la structure interne de sa possibilité phénoménologique la plus ultime, c’est le comprendre dans son opposition radicale à l’être du « monde » et à la phénoménalité qui le constitue. 34

Celle-ci, la possibilité d’un survenir de la transcendance, la possibilité phénoménologique ultime pour que la transcendance soit, réside tout entière dans la phénoménalité effective de ce qui n’est pas le monde, dans la révélation originaire immanente du mouvement lui-même. 34

Avec la révélation originaire immanente du mouvement telle qu’elle s’accomplit dans son indépendance radicale à l’égard du monde et de la phénoménalité qui lui appartient, se trouve mis en lumière le fondement phénoménologique de l’opposition décisive des concepts du mouvement et de l’objectivité. 34

La signification de cette détermination – celle de la conscience de l’imagination comme conscience sans monde – est que la manifestation de l’imagination n’est pas constituée par la phénoménalité du monde. 34

Dans la manifestation de l’imagination réside, non la phénoménalité du monde, mais ce qui rend celle-ci possible, ce dans quoi cette phénoménalité parvient à l’effectivité. 34

Que le monde se forme dans l’acte d’imagination, cela veut dire en effet : le monde parvient à la phénoménalité effective, il se phénoménalise dans cet acte, plus exactement dans la révélation originaire immanente à celui-ci et constitutive de sa réalité. 34

Dans la « conscience du monde » se trouve donc impliqué, non pas le simple concept de la phénoménalité, mais bien plutôt sa division conformément aux résultats les plus importants de la problématique. 34

Ce n’est pas seulement, en effet, le contenu de la conscience qui varie dans chacun de ces deux cas, c’est la structure de la phénoménalité. 34

C’est la phénoménalité, c’est la conscience elle-même qui est différente, en sorte que le mot de conscience ne veut rien dire, à moins qu’il ne soit pris dans ce sens absolument général et vide où il désigne simplement la manifestation. 34

Ce qui se trouve passé sous silence à l’intérieur d’une telle compréhension, ce n’est pas seulement la question de la structure interne de la phénoménalité de la « conscience de soi » – structure qui se trouve en fait interprétée à partir de celle de la conscience du monde –, la nature de celle-ci se trouve elle-même être manquée en même temps que sa possibilité. 34

« Avec » ou « sans monde », ce sont donc là non des propriétés surajoutées à la conscience, mais des déterminations structurales de la phénoménalité de la conscience elle-même. 34

Autre est la phénoménalité du monde, autre celle de l’imagination. 34

Si la conscience de soi et la conscience du monde ne surgissent point séparément comme deux essences juxtaposées, enfermées chacune dans sa vérité propre comme dans un monde de lumière clos sur lui-même et sans communication avec l’autre, s’il n’y a pas deux dimensions fondamentales de phénoménalité se suffisant chacune à elle-même et, dans cette suffisance, ignorant l’autre, c’est que la conscience du monde précisément ne se suffit pas à elle-même, c’est qu’elle n’est pas une essence. 34

La détermination de l’essence de la conscience comme conscience sans monde a une signification phénoménologique rigoureuse, elle signifie la réalité phénoménologique effective d’une révélation qui n’a pas la forme du monde, l’existence d’une dimension originaire de phénoménalité où celle-ci ne se phénoménalise pas dans l’extériorité ni comme la phénoménalité de cette extériorité même. 34

Dans la phénoménalité qui ne se phénoménalise pas dans l’extériorité réside cependant la possibilité phénoménologique de la phénoménalité de l’extériorité elle-même. 34

La question de l’essence de la phénoménalité se concentre sur la question de la possibilité phénoménologique d’une dimension effective et originelle de révélation où se phénoménalise, comme phénoménalité qui n’est pas celle du monde, la phénoménalité du monde lui-même. 34

C’est parce que le pouvoir d’ouvrir l’horizon et de se transcender vers lui n’est pas à l’œuvre dans l’essence originaire de la révélation que celle-ci ne revêt pas la forme du monde et que la phénoménalité qui se phénoménalise originairement en elle n’est pas celle de l’extériorité. 34

Ainsi la problématique se trouve-t-elle en présence d’une double évidence suivant laquelle il apparaît, d’une part, que la phénoménalité se phénoménalise originairement dans une sphère d’où toute transcendance est absente et, d’autre part, que c’est dans la réalité phénoménologique effective de cette sphère sans transcendance que se phénoménalise et trouve sa réalité la transcendance elle-même. 34

Parce que sa réalité, comprise comme réalité phénoménologique, réside dans l’essence qui ne se transcende pas, la transcendance ne peut prétendre caractériser la phénoménalité dans sa structure et dans sa possibilité, elle ne constitue pas son essence. 34

La détermination de l’essence de la phénoménalité exige que soit mis en lumière en elle le moment où elle ne se transcende pas et que la problématique se porte devant l’évidence qui est maintenant la sienne et qui est celle d’une sphère d’existence sans transcendance comme sphère d’existence de la transcendance elle-même. 34

Conformément à celle-ci, il apparaît qu’il n’y a dans l’être, comme contenu phénoménologique positif constitutif de son effectivité, rien de plus et rien de moins que l’être lui-même, rien de plus et rien de moins que ce contenu dans l’effectivité de sa phénoménalité. 37

L’absence d’un au-delà ne signifie pas, en ce qui concerne le contenu phénoménologique positif de cette expérience, une limitation de celui-ci, plus exactement, une limitation de l’être lui-même, son inscription à l’intérieur des dimensions effectives de ce contenu mais, bien au contraire, le caractère adéquat de ce dernier, le caractère adéquat de la phénoménalité elle-même. 37

Le caractère adéquat du contenu phénoménologique comme tel (quand il s’agit du moins du contenu ici en question, c’est-à-dire du mode originel selon lequel la phénoménalité se phénoménalise), l’absence de toute finitude, non celle-ci, c’est donc là ce qui est impliqué dans celle d’un au-delà. 37

C’est avec cette restriction qu’il convient d’entendre, non l’identité vide de la phénoménalité dans la tautologie où elle laisse aussi bien hors d’elle la réalité, mais le recouvrement rigoureux de celle-ci et de l’apparence, recouvrement dans lequel l’être trouve sa structure ultime et, si l’on veut, son privilège : « chance, dit Kafka, que le sol sur lequel tu te tiens ne peut être plus large que les deux pieds qui le couvrent ». 37

Celle-ci étant comprise cependant comme le pouvoir où la phénoménalité, identifiée avec l’extériorité, acquiert un fondement, l’immanence d’où un tel pouvoir se trouve radicalement exclu se trouve exclue à son tour de ce dernier, c’est-à-dire de l’essence de la phénoménalité, et interprétée dès lors comme radicalement étrangère à celle-ci, – comme étrangère non pas seulement à la phénoménalité elle-même dans son effectivité mais à son essence, à ce qu’il pourrait y avoir de non-phénoménal dans l’élément ontologique lui-même. 38

Ce qui est impliqué dans le contenu du concept de l’immanence tel qu’il se trouve déterminé sur un plan ontologique pur et d’une manière négative, dans son opposition à celui de la transcendance, l’idée d’une subsistance et d’une permanence en soi-même, et cela en ce qui concerne l’être, ne se laisse pas si facilement oublier, si le fait de demeurer ainsi en soi-même dans l’identité primitive avec soi se donne inévitablement, au moment même où l’immanence est saisie dans son opposition radicale au concept traditionnel de la phénoménalité, comme un caractère proprement ontologique et en même temps fondamental, comme constitutif par conséquent de l’être lui-même. 38

C’est pourquoi, dès qu’il est question de saisir celui-ci dans sa structure la plus intime et la plus essentielle, l’idée de l’immanence se présente à la problématique, et cela en dépit de son incompatibilité phénoménologique avec le concept régnant de la phénoménalité. 38

La mise en lumière d’un mode originaire de révélation comme trouvant précisément sa structure dans l’immanence est seule susceptible de fournir le fondement ontologique sans lequel la signification phénoménologique impartie au nouveau concept fichtéen de l’existence ne peut être tout au plus qu’une pré supposition et, finalement, pas même cela : parce qu’une telle mise en lumière ne s’accomplit pas chez Fichte, parce que le travail ontologique qui devrait y conduire n’est ni entrepris ni même simplement esquissé, le concept régnant et traditionnel de la phénoménalité dont les droits n’ont ainsi jamais été véritablement contestés, reprend inévitablement son pouvoir et, quand elle n’éclate plus dans l’extériorité mais se confond au contraire avec la simplicité de l’être primitif l’existence retombe avec lui dans l’indétermination et dans la nuit. 38

Parce que celle-ci s’accomplit dans l’unité, elle surgit et devient effective indépendamment du processus ontologique de l’objectivation et de la phénoménalité produite par lui, elle se manifeste et sa manifestation n’est pas celle d’un horizon ni de l’extériorité. « 40

Ainsi y a-t-il, à côté de la révélation originaire de l’essence telle qu’elle s’accomplit « sans image », une phénoménalité propre de celle-ci et telle qu’en elle des « images » justement soient possibles, et en général des phénomènes au sens de phénomènes du monde. 40

Ainsi se divise dans l’analyse éidétique essentielle le concept de la phénoménalité. 40

Pour cette raison un tel surgissement, celui de la révélation dans l’effectivité de sa phénoménalité originelle, est l’acte de demeurer en soi-même de l’absolu, un tel acte, le surgissement originel de la révélation. 40

La présupposition empruntée à Heidegger, selon laquelle celles-ci ne peuvent s’accomplir que sur le fond en elles de la transcendance qui les lie au monde, devient sans objet quand elle ne signifie plus identiquement le surgissement effectif de la phénoménalité. 44

Parce que « cette adhésion aveugle au monde », ce qui est pour le sujet « le fait de sa naissance », « une communication avec le monde plus vieille que la pensée », s’opposent simplement à celle-ci, laquelle concentre au contraire en elle le principe de la phénoménalité, « ils engorgent la conscience et sont opaques à la réflexion », déterminent « l’expérience vitale du vertige et de la nausée qui est la conscience… de notre contingence ». 44

Cela signifie qu’il ne peut se comprendre qu’à partir de la phénoménalité pure comme constitutive par elle-même de la possibilité et de l’effectivité d’une situation, comme identique à l’essence de celle-ci. 44

A la pensée qui ne conçoit pour la phénoménalité aucune forme de réalisation autre que la manifestation d’un horizon transcendant, c’est-à-dire l’objectivité, échappe nécessairement et se dérobe ce qui constitue pourtant le fondement de celle-ci. 45

L’inaptitude de cette pensée à saisir le mode originel selon lequel se phénoménalise la phénoménalité ne peut être simplement constatée, toutefois, ni comprise comme un « préjugé ». 45

La mise en évidence de celui-ci n’était-elle pas contenue dans la remarque selon laquelle l’impuissance de la problématique qui se meut à l’intérieur de l’horizon du monisme à édifier une phénoménologie du fondement et à donner un contenu à l’idée de la structure formelle de la « Selbständigkeit » repose sur l’impuissance de ce fondement à se produire lui-même dans la lumière de la phénoménalité ? Ainsi la dissimulation de l’essence était-elle rapportée, non à une incompréhensible défaillance de la pensée, mais à cette essence même, à la structure ontologique de la réalité. 45

Ainsi la transcendance à laquelle renvoie la phénoménalité identifiée à l’horizon se dérobait-elle brusquement devant une pensée aux prises dès lors avec « l’inconnu ». 45

La non-appartenance de l’essence à l’extériorité et à sa phénoménalité propre, le fait qu’elle ne se montre pas dans celle-ci, c’est là ce qui détermine sa dissimulation. 45

Ainsi voit-on, dans le Système de l’Idealisme transcendantal où se concentrent en un ensemble les thèses fondamentales de la philosophie classique, Schelling identifier la phénoménalité avec l’objectivité comme telle et, dans le même temps, poser, comme la condition de cette dernière, comme l’absolu, le « non-objectif ». 45

Qu’elle existe pourtant, et cela comme l’absolu, que la non-phénoménalité soit le nom de l’essence, Schelling se préoccupe de le montrer ou plutôt, en raison de cette non-phénoménalité du principe de la phénoménalité, de le démontrer. 45

C’est parce que celui-ci échappe principiellement à la connaissance que l’action revêt la forme de l’audace et du risque, en sorte que l’apparente gratuité de la décision dans son surgissement abrupt ne signifie par l’arbitraire de ce qui est sans fondement mais détermine l’être de celui-ci dans son opacité foncière à la phénoménalité du monde. 47

La question qui vient d’être rencontrée se développe dès lors et se laisse formuler d’une manière rigoureuse : comment se manifeste, dans le milieu ontologique de la représentation, ce qui se refuse par principe à la phénoménalité de celui-ci et « nécessairement lui échappe » ? La contradiction incluse dans cette question ne saurait en aucune façon constituer le principe de sa solution. 47

Loin de mettre en cause la prétention à l’universalité d’une forme déterminée de manifestation et de pouvoir concerner, par suite, le problème spécifiquement ontologique de la structure interne de la phénoménalité pure comme telle, elle débouche sur ce qui n’a point de nom et qu’elle appelle, d’une manière totalement illégitime, l’être, l’absolu. 47

Autrement significative, autrement importante dans l’histoire de la pensée philosophique et de son développement, est la critique du rationalisme qui se révèle capable, non de lui opposer simplement le caractère abscons de ce qui demeure en soi étranger à la lumière de la phénoménalité, mais de mettre en question la structure de celle-ci telle qu’il la comprend, c’est-à-dire précisément l’horizon ontologique qui est ultimement le sien. 48

Est-ce par hasard si c’est précisément chez Malebranche où l’extériorité est posée sans équivoque comme la condition de l’intelligibilité des phénomènes, c’est-à-dire comme constitutive de leur phénoménalité pure, que, brutalement, le concept de celle-ci se divise et laisse paraître un mode foncièrement autre de sa réalisation ? La connaissance transcendantalement comprise à partir de l’étendue, c’est-à-dire précisément de la spatialité originelle de l’extériorité pure comme telle, se trouve immédiatement atteinte dans sa prétention à l’universalité. 48

Quelque chose lui échappe qui n’est pas l’étant et qui cependant n’est pas rien, quelque chose dont l’effectivité est constituée par la phénoménalité elle-même et le mode ontologiquement pur selon lequel elle se phénoménalise. 48

C’est précisément parce qu’elle se montre identique à l’essence de la phénoménalité pure et que ses déterminations sont comme telles « intelligibles », que l’étendue doit être comprise comme l’ « attribut » essentiel d’une substance correspondante dont elle fonde ou plutôt constitue la connaissance. 48

Cette impossibilité pour les propriétés essentielles qui déterminent la substance métaphysique de l’âme d’être représentées dans le milieu de l’extériorité et de trouver ainsi en lui la phénoménalité constitutive de leur intelligibilité, Malebranche l’exprime en disant que nous n’avons pas d’ « idée » de l’âme. « 48

L’eidos de celle-ci réside en chacune d’elles dans la positivité de leur essence commune, dans la structure interne de leur phénoménalité pure. 48

C’est comme une détermination de celle-ci et de la phénoménalité qui la constitue, comme une détermination éidétique de la structure interne de cette phénoménalité elle-même, que vaut la problématique décisive ici instituée par Malebranche. 48

Ce que Malebranche reproche à Descartes, c’est justement de confondre la phénoménalité qui dans le cogito se révèle originellement fondatrice de l’existence, comme lui étant identique, avec celle qui constitue le substrat de toute connaissance, avec la phénoménalité de l’extériorité pure comme telle. 48

Le rejet de celle-ci hors de la structure interne de la phénoménalité qui délimite la sphère concrète de l’existence originelle, c’est donc là ce qu’implique, conformément à son fondement philosophique, le rationalisme universel identique à la philosophie elle-même et défini par l’extension du Logos à la totalité des dimensions ontologiques fondamentales qui lui appartiennent et le constituent. 48

Au moment même où il met en cause le milieu phénoménologique de l’extériorité dans sa prétention de constituer la nature et l’essence de toute manifestation possible, Malebranche reste dupe du préjugé qui consiste à considérer comme seuls rationnels les énoncés se fondant sur la phénoménalité d’un tel milieu et sur les configurations qui lui appartiennent en propre. 48

L’extension du Logos à la totalité de ses dimensions ontologiques fondamentales et son épanouissement dans le concept exhaustif de la phénoménalité, c’est là au contraire ce qui caractérisait la pensée d’Eckhart. 49

Une telle impossibilité n’exprime pas autre chose que l’opposition irréductible de deux essences phénoménologiques : c’est parce que la phénoménalité qui constitue sa réalité n’a rien à voir avec celle qui définit le milieu de la connaissance que l’être ne peut se montrer en celle-ci. 49

Parce que la phénoménalité constitutive de l’être et celle de la connaissance n’ont entre elles rien de commun, parce qu’elles diffèrent dans leur nature, dans ce qui fait leur phénoménalité même, l’effectivité de l’une implique chaque fois en elle, dans le surgissement de son contenu manifeste, la non-effectivité de l’autre. 49

La signification phénoménologique de ces propositions, leur référence aux structures éidétiques de la phénoménalité pure apparaissent sans équivoque quand, parlant de tout ce qui, hors de nous ou en nous, constitue une première couche de transcendance, une « connaissance », et, par exemple, de la joie, de la crainte, de l’assurance et de toutes les déterminations de l’existence en tant précisément qu’elles sont connues, qu’elles ne sont « qu’un intermédiaire », Eckhart, s’inspirant de Boèce, déclare : « pendant que tu regardes ces choses et qu’elles te regardent, tu ne vois pas Dieu ». 49

C’est parce que la phénoménalité de celui-ci, constitutive de son être, et, identiquement, de la possibilité de parvenir jusqu’à lui, n’est pas l’extériorité où se meut le savoir, c’est parce que, comme le répète Eckhart dans une proposition qu’il emprunte cette fois à saint Paul, « Dieu habite dans une lumière à laquelle il n’est pas d’accès », qu’il se dérobe précisément à toute connaissance et « meurt à l’âme » lorsque l’âme « se tourne vers les choses extérieures ». 49

Parce que l’essence originelle du Logos n’est pas la phénoménalité de la connaissance, en effet, tout ce qui se phénoménalise en celle-ci, Dieu lui-même en tant qu’il est connu, se révèle être sans rapport avec elle, sans rapport avec la Déité. 49

Que ces prescriptions et l’éthique qu’elles composent apparemment s’enracinent dans les structures éidétiques de la phénoménalité pure, que, pensé à la lumière de celles-ci, l’impératif qu’elles formulent d’abord n’exprime rien d’autre que le rejet du Dieu transcendant qui n’est pas l’essence, Eckhart l’affirme simplement : « Nous ne devons d’aucune façon saisir Dieu hors de nous-mêmes ni le supposer hors de nous, nous devons au contraire le considérer comme notre bien propre, comme une réalité qui nous appartient. » 49

Parce que la manifestation de l’être n’est pas différente de celui-ci, parce que la phénoménalité de cette manifestation est la propre réalité de l’être lui-même, celle-ci est présente, comme lui étant identique, partout où une telle manifestation se produit. 49

Dans la substantialité de cette manifestation constituée par l’être lui-même et sa réalité ne consiste pas seulement, comme radicalement étrangère à l’irréalité du milieu de la connaissance et à son idéalité, l’essence de la vie, l’identité en celle-ci de l’être et de la phénoménalité a encore une conséquence décisive, aperçue par la problématique et ici pleinement transparente. 49

L’identité ontologique de l’âme et de Dieu exprime sur le plan métaphysique et signifie identiquement l’identité dans l’être de sa réalité et de sa phénoménalité. 49

Parce que la réalité de l’être dans laquelle elle se tient est identiquement sa phénoménalité, l’âme, en tant précisément qu’elle se tient dans cette réalité et se trouve constituée par elle, se connaît elle-même en elle, se manifeste à elle-même dans cette manifestation originelle de soi qui est l’essence de la vie. 49

L’identité dans l’être de la phénoménalité et de la réalité, l’appartenance à celle-ci de sa manifestation, de l’âme elle-même comme constituée par cette manifestation de l’être dans sa réalité, la détermination enfin de cette manifestation de l’être comme celle précisément de sa réalité, tout cela est contenu dans la parole trop dense : « en Dieu… l’âme connaît selon l’être. » 49

Précisément parce que la réalité de l’être considéré en lui-même, comme être en soi, est sa phénoménalité, il constitue, en tant que tel, quelque chose comme une « connaissance ». 49

C’est la connaissance qui se développe dans le milieu de l’extériorité et dont la phénoménalité est constituée par ce dernier qui se trouve rejetée par Eckhart comme ne pouvant atteindre l’essence ni la révéler, comme ne pouvant la « connaître ». 49

En celle-ci, dans la phénoménalité qui la constitue, l’âme se manifeste à elle-même, se « connaît » elle-même et connaît Dieu, comme identique à cette réalité et à sa phénoménalité originelle. « 49

Parce que cette œuvre est celle de la révélation, sa détermination dans le non-savoir dit ce qu’est la phénoménalité effective de l’essence en tant qu’elle ne se manifeste pas dans le monde et ne peut être connue, en tant qu’elle n’a pas de visage. 49

Parce qu’il constitue la révélation originelle de l’essence à elle-même et de sa réalité, l’invisible n’est pas le concept antithétique de la phénoménalité, il en est la détermination première et fondamentale. 50

Elle ne signifie en aucune façon l’inclusion dans l’essence de la phénoménalité d’un élément étranger à son effectivité phénoménologique, fondement obscur de celle-ci et qui, en lui-même, ne se manifesterait pas. 50

L’invisible est co-extensif à l’essence originelle de la phénoménalité, co-intensif à son effectivité. 50

Co-extensif à l’essence originelle de la phénoménalité, co-intensif à son effectivité, l’invisible se phénoménalise en lui-même en tant que tel, il est de part en part phénomène, révélation et, bien plus, l’essence de celle-ci. 50

Avec l’accomplissement de ce travail d’élucidation tombe au contraire la définition immédiate de l’invisible comme simple privation de la phénoménalité. 50

La prétention de chercher l’origine de toute connaissance dans le visible et dans ses pouvoirs, prétention explicitement formulée par Kant et qui domine en fait l’ensemble du développement de la philosophie occidentale, perd ses droits et se trouve renversée, si la négation incluse dans le concept de l’invisible n’est pas celle de la phénoménalité mais détermine le mode selon lequel celle-ci se phénoménalise originairement et nous aide à le concevoir. 50

La détermination par le concept de l’invisible du mode selon lequel se phénoménalise originairement la phénoménalité, la détermination originelle de celle-ci, doit être pensée. 50

L’état caché de l’essence est sa parure, sa manière de se donner, sa phénoménalité enfin, « le jour qui convient à sa propre nature ». « 50

Voilà pourquoi, parce que l’être-caché de l’essence, non son aperception dans la lumière, constitue comme tel, dans sa nuit, dans cette nuit essentielle de l’essence, sa révélation et l’effectivité de sa phénoménalité, sa « vérité », « la vraie lumière brille dans les ténèbres bien qu’on ne s’en aperçoive pas ». 50

Mais cette absence du monde et de sa lumière n’est pas rien, n’est pas l’absence de la phénoménalité. 50

Car la Nuit n’est pas seulement la lumière de l’invisible ni ce qu’elle nous fait voir, l’invisible lui-même, elle est le pouvoir qui la produit, pas seulement l’effectivité de la phénoménalité dans sa fulguration originelle, mais son essence. 50

La détermination ontologique positive de la Nuit comme constituant, dans son être identique à celui de la vie, l’effectivité originelle de la phénoménalité pure et son essence, nous apporte devant l’intelligence du rapport qu’elle entretient avec le concept qui lui sert en apparence d’antithèse, celui de la lumière qui constitue notre monde et lui assigne ses limites. 51

Précisément parce qu’il n’est pas le concept antithétique de la phénoménalité, l’invisible n’est pas non plus celui du visible. 51

L’effort vers le jour, la tension vers lui de ce qui se propose à sa lumière à partir du fondement codéterminent l’appartenance de celui-ci à l’essence de cette lumière identifiée à la phénoménalité elle-même. 51

L’appartenance du fondement à l’essence de la phénoménalité, l’insertion de l’invisible dans le processus dialectique où surgit le monde et dans son unité ontologique originelle, ne détermine pas seulement celle-ci, elle trouve son expression phénoménologique dans les modalités concrètes selon lesquelles un tel processus s’accomplit. 51

La phénoménalité, sur le fond de son unité essentielle, se diversifie en une pluralité de degrés tels que chacun d’eux lui appartient et se révèle être accessible à partir d’elle. 51

Ainsi Kant pense-t-il pouvoir réfuter l’argument de Mendelssohn en faveur de la permanence de l’âme en attribuant à celle-ci, c’est-à-dire à la phénoménalité pure comme telle, « une grandeur intensive » et, par conséquent, la possibilité de s’accroître mais aussi de diminuer graduellement jusqu’à se réduire à rien. « 51

Parce que le jeu de ces déterminations phénoménologiques concerne en premier lieu la phénoménalité pure elle-même et lui appartient, parce qu’elles sont ses déterminations et les modes concrets de son accomplissement, l’essence de celle-ci les contient toutes et les fonde également. 51

Ainsi l’invisible, s’il n’est pas le néant de ce qui n’est rien du tout et ne doit pas non plus le devenir, s’il désigne au contraire l’effectivité d’une dimension originelle de la phénoménalité et sa structure, sa possibilité interne, ne saurait-il « se transformer », par exemple en son « contraire ». 51

Encore ces deux essences n’ont-elles, conformément à la structure qu’elles exhibent chaque fois dans réflectivité de leur phénoménalité pure et comme constituant celle-ci, rien de semblable et ne peuvent-elles en conséquence entrer dans le genre commun d’une essence plus générale ni être subsumées par lui. 51

Avec l’apparition de celui-ci se découvre en effet, comme constituée par l’invisible précisément et par l’effectivité de la phénoménalité qui lui appartient en propre, une dimension nouvelle et infinie de l’existence telle que tout ce qui se propose dans le monde et se manifeste en lui à titre de « phénomène » se révèle désormais être sans rapport avec elle ni avec ce qu’elle comporte d’essentiel. 51

C’est pourquoi encore l’opposition de la vie dans sa réalité invisible au concept régnant de la phénoménalité tel qu’il s’exprime dans la compréhension du destin comme l’universelle loi de toutes choses, n’est pas, si on considère en elle le pouvoir de protestation et de refus qui l’habite et la force révolutionnaire qu’elle manifesta historiquement, le fait de l’invisible lui-même mais plutôt d’une pensée en lutte avec l’ancien monde. 51

Un tel « contraire » en effet n’est pas celui de l’opposition dialectique dont il ne revêt la forme que pour souligner en elle, et comme son fondement secret, l’hétérogénéité ontologique structurelle des dimensions ultimes de la phénoménalité, la possibilité pour ce qui se phénoménalise ici comme tristesse, dénuement, etc., 51

Ainsi se détermine, avec la découverte de l’invisible comme constituant, dans l’effectivité de sa phénoménalité originelle, le milieu ontologique de la réalité et son essence, l’essence du christianisme. 51

Parce que la réalité, conformément à la structure en elle de la phénoménalité, ne peut prendre place dans le monde ni revêtir en celui-ci la forme de l’« apparence », la problématique qui se pourvoit de la dimension ontologique absolument fondamentale et originelle où la vie trouve dans l’invisible l’effectivité de son essence, n’échappe pas seulement aux « objections » que le simple bon sens ne peut manquer de diriger contre elle, elle en dessine encore l’horizon et le cadre. 51

Une telle demande est plutôt celle de la pensée ontologique elle-même qui, en réclamant une « preuve », vise la réalité, le devenir de la phénoménalité effective et sa possibilité. 51

Ainsi voit-on chez Kant où les conditions de la phénoménalité sont explicitement comprises comme l’objectivité, la problématique se montrer incapable de déterminer l’être de la conscience originelle de l’ego, de sa vie concrète, comme, d’une manière générale, de tout ce qui a trait à l’essence et, dans son prétendu rejet de la spéculation, recourir au contraire à celle-ci pour reconstruire comme elle le peut, par le biais d’une morale précisément spéculative, le règne de la réalité qu’elle pressent mystérieusement derrière l’apparence. 51

A cette expérience qui laisse être l’être lui-même et le constitue, il appartient que, s’accomplissant conformément à la structure qui la rend possible, dans la passivité originelle de l’être à l’égard de soi, elle revêt nécessairement en celle-ci la forme par laquelle, rendue phénoménologiquement effective et concrète, elle se propose à nous et s’impose, et, se portant témoignage à elle-même dans la force de sa phénoménalité propre, ne se laisse point contester. 53

En lui, dans le souffrir considéré en tant que tel, prend naissance et se forme l’épaisseur du sentiment, son être réel, irréductible décidément à la tautologie vide de l’identité que la philosophie, lorsqu’elle s’efforce de la penser, non comme la condition dernière à laquelle « il faut bien s’arrêter », mais comme effective, dans l’effectivité de la phénoménalité, se représente comme une pure transparence, comme la translucidité de la conscience. 53

Ce qu’est celui-ci, comme identique à la vie et à l’être, la simple affirmation de sa phénoménalité interne, de l’invisible comme constituant l’essence même de la révélation et, bien plus, comme co-extensif et co-intensif à son effectivité originelle, ne le rend pas évident aussi longtemps que, saisi dans son opposition au règne de ce qui est visible, il se présente encore sous la forme d’un concept négatif, aussi longtemps que le caractère non dialectique de l’opposition à partir de laquelle il est pensé n’est lui aussi que l’objet d’une affirmation. 53

L’essence de la phénoménalité ne se situe pas au-delà de son apparence effective mais la constitue. 53

L’invisible est l’être compris comme l’affection, l’affection originelle, son effectivité première et l’essence de toute effectivité, la phénoménalité elle-même, absolue, irrécusable, telle qu’elle se révèle originairement à elle-même, est l’affectivité. 53

L’affectivité où l’immanence est saisie non plus dans l’idéalité de sa structure mais dans son effectuation phénoménologique concrète, où l’invisible se révèle dans l’effectivité de sa phénoménalité, a été comprise comme telle, comme immanence, dans son hétérogénéité ontologique irréductible à la forme du sens où se réalise l’affection de l’essence par l’être étranger. 54

L’affectivité n’est pas la condition du sentir au sens d’une condition dégagée par l’analyse réflexive, d’une condition logique, elle constitue bien plutôt l’effectivité de l’acte de sentir considéré en lui-même, sa phénoménalité propre, irrécusable et concrète, l’expérience du sentir, identique à celui-ci et constitutive de sa réalité. 54

Le contenu que le schématisme transpose sensiblement pour s’en donner l’apparence effective n’est, d’autre part, que l’« être-devant » comme « être-étendu-devant », le caractère sensible de ce contenu ne signifie rien de plus en réalité que sa phénoménalité comme phénoménalité de l’être-étendu-devant, rien de plus, précisément, que l’effectivité de son apparence. 54

Cette dernière ne doit-elle pas être cherchée, toutefois, du côté du sens et de son pouvoir de sentir, non dans son contenu ? Mais quand le nom de ce pouvoir est l’intuition et, précisément, la réception de l’être étendu-devant, le laisser-s’ètendre-devant l’être-étendu-devant, son surgissement dans la phénoménalité et cette phénoménalité elle-même en tant que telle, la tonalité n’est justement pas dans celle-ci, dans le pouvoir de sentir identifié à ce qu’il sent et pensé comme son émergence. 54

Car la compréhension ontologique de l’être et l’affectivité ne vont nullement ensemble, comme des composantes co-originaires de l’événement où surgit la phénoménalité et ne le constituent pas non plus au même titre ni également. 54

Et d’abord, en ce qui concerne l’affectivité, elle n’est plus la forme ni son essence mais justement un contenu, médiatisé par elle et la présupposant, parmi beaucoup d’autres, de la vie conscientielle, étranger à l’essence de celle-ci, à la conscience pure et à la phénoménalité pure comme telle, quelque chose d’opaque par conséquent, d’hétérogène à l’esprit, plus ou moins assimilable au contenu impressionnel spécifique, contingent, variable et irrationnel, d’une sensation quelconque ou, pour mieux dire, identique, précisément, à celui-ci. 57

La signification ontologique décisive reconnue par Malebranche au concept de l’affectivité tient à ce que celle-ci constitue précisément la dimension originelle d’existence mise en évidence dans le cogito et identique à ce dernier, à l’essence de la conscience pure et à l’âme elle-même, la dimension originaire et fondamentale de la phénoménalité dans son opposition irréductible à celle de l’idée, à la phénoménalité de la spatialité transcendantale du monde pur ou de l’ « étendue ». 57

L’affectivité ne s’oppose pas simplement, toutefois, comme constitutive de la dimension originaire de la phénoménalité de la conscience pure et, du même coup, de l’existence originelle, à l’idéalité pure de l’étendue, elle la fonde. 57

L’idée, en effet, ne trouve la condition ontologique suffisante de son existence dans la spatialité pure de l’étendue intelligible que pour autant qu’on ne considère en elle que son contenu représentatif, que sa réalité objective, comme dit Malebranche, dont la phénoménalité, c’est-à-dire la réalité, se révèle constituée précisément par celle de l’étendue et lui est identique. 57

A ce contenu représentatif dont la phénoménalité ou la réalité est l’étendue, l’idée, il est vrai, se trouve identifiée par Malebranche, c’est comme telle, réduite à sa réalité objective, considérée comme une pure détermination de l’étendue intelligible et comme un mode de celle-ci, qu’elle s’oppose à l’âme et lui est irréductible. 57

Que l’affectivité constitue, non un contenu de l’expérience, mais sa forme, la forme de toute expérience possible en général, la phénoménalité elle-même comme condition de tous les phénomènes, cela signifie précisément : l’affectivité n’est pas un phénomène, quelque chose qui se manifeste, elle est la manifestation elle-même et son essence. 59

Que l’affectivité soit en elle-même, de part en part, révélation, signifie que sa substance même, la matière dont elle est faite et ce qu’elle est, son affectivité enfin, n’est en soi rien d’opaque, rien qui doive être éclairé par une autre chose et attendre d’elle son propre éclairement, rien d’étranger à la phénoménalité. 59

C’est là ce qui constitue proprement la Raison, à savoir la phénoménalité interne du fondement et son effectivité. 59

Ainsi se trouve reieté du même coup l’ensemble des préjugés concernant l’affectivité, préjugés dont la présupposition commune est au contraire la détermination de l’être de l’affectivité dans son opposition irréductible à celui de la phénoménalité considérée en tant que telle. 59

La détermination de l’être de l’affectivité dans son opposition à celui de la phénoménalité trouve sa formulation explicite dans « l’obscurité » qui lui est attribuée. 59

Sur le plan psychologique, le caractère affectif des déterminations originelles de l’affection et de l’action et, d’une manière générale, de la relation du vivant et de son milieu, se trouve immédiatement interprété, en ce qui concerne le problème essentiel de la phénoménalité, d’une manière négative, comme un caractère opaque précisément et l’indice de la non-conscience. 59

Ainsi voit-on chez Malebranche où il est compris cependant d’une manière explicite comme constituant la dimension fondamentale de l’existence et la réalité de l’âme et, bien plus, dans son être identique à celui du cogito, le mode de révélation de cette réalité et sa phénoménalité même, le sentiment être immédiatement et paradoxalement privé de cette signification décisive, frappé de nullité dans son être, et cela précisément en ce qui concerne le pouvoir de révélation qui lui est propre. 59

C’est là précisément ce que signifie pour l’affectivité, être en elle-même, dans son être, révélation : l’affectivité est le mode même selon lequel s’accomplit la révélation originelle, elle est l’effectivité de cette révélation, sa phénoménalité propre, sa substance enfin, l’apparaître qu’elle détermine et dans lequel elle se réalise. 60

La réalité de la douleur est sa manifestation, son surgissement premier, sa révélation, de telle manière cependant que cette révélation est constituée par la douleur elle-même et trouve en celle-ci, dans la douleur comme telle, l’effectivité de sa phénoménalité. 60

La douleur est le contenu phénoménologique, l’apparence effective, la phénoménalité de cette révélation qu’elle est elle-même, sur le fond en elle de son affectivité. 60

Conformément au « Comment » qui désigne sa structure interne et l’affectivité elle-même comprise comme cette structure, la révélation s’accomplit, sur le fond en elle de ce comment, d’une certaine façon, selon un certain mode de présentation, elle a un « comment » qui vise précisément ce mode de sa présentation phénoménologique et la nature de la phénoménalité qu’elle réalise chaque fois. 60

La phénoménalité qui la constitue et dans laquelle elle se résout tout entière, tout entière étrangère à la lumière du monde, n’est pas autre chose que le s’éprouver-soi-même de l’être qui s’éprouve lui-même et demeure en soi et, dans le secret de ce demeurer-en-soi-même, fait l’expérience de soi, pas autre chose que l’intériorité du sentiment et de la vie, que l’affectivité elle-même comme telle. 61

Avant ce regard de la réflexion, toutefois, de l’attention, le sentiment était là, comme un contenu de la conscience, baignant dans sa lumière et éclairé par elle, de manière indirecte, il est vrai, comme un contenu marginal situé dans l’ombre plutôt et plongé en elle, dans cette ombre dont Heidegger dit qu’« elle reste confiée à la lumière, projetée par elle », dans l’obscurité qui partage la phénoménalité du monde et lui appartient comme son mode décroissant ou comme son mode limite. 61

Ainsi est rendue homogène à celle-ci, comme représentant simplement son degré le plus bas, la phénoménalité propre au sentiment et le constituant. 61

Le concept de « confusion » exprime justement cette réduction à la lumière du monde, lumière qui brille dans la clarté mais peut aussi s’éteindre et se voiler, diminuer progressivement et se dégrader, de la phénoménalité qui habite le sentiment et dans laquelle il se montre : celui-ci, précisément, n’est qu’une perception confuse. 61

La coexistence de celle-ci et de celle-là, en effet, et leur lien inévitable, leur co-insertion dans le processus où se produit la phénoménalité du monde, est une loi de ce processus et le concerne exclusivement, une loi ontologique. 61

Ce qui est prescrit par une telle loi, c’est à la fois une nécessité et une contingence, la nécessité éidétique conformément à laquelle le devenir de la lumière est aussi indissociablement celui de l’ombre, de telle manière que ces déterminations phénoménologiques pures se trouvent liées entre elles par des liens insurmontables, — une contingence aussi, en ce qui concerne le rapport de cette loi et de ce qu’elle régit, de la phénoménalité du monde et de l’étant qui se manifeste en elle comme son contenu, de telle manière que ce rapport est nécessairement un rapport contingent, qu’un même contenu peut apparaître tantôt dans l’ombre et tantôt dans la lumière, être éclairé par l’une et puis par l’autre de ces déterminations phénoménologiques pures et passer de l’une à l’autre. 61

Parce que sa révélation, parce que la phénoménalité qui la constitue et dans laquelle elle révèle, n’est pas cette lumière, n’est pas la phénoménalité de l’être-étendu-devant, l’affectivité n’attire pas à elle la pensée, elle ne la suscite ni ne la fonde, mais lui est foncièrement étrangère et ne peut non plus être éclairée par elle. 61

Car dans la révélation du sentiment, dans son être phénoménologique effectif et réel, il n’y a rien qui puisse être rendu homogène à la phénoménalité où s’accomplit la perception de la pensée ni se glisser en elle. 61

Éclairer nos sentiments, c’est les confier à cette lumière qui est la leur, laisser être et se développer leur phénoménalité propre, c’est laisser être, là où elle est et comme elle est, dans l’invisible et selon son mode de présentation phénoménologique spécifique, comme affective, la révélation qui les constitue et les définit et qui est l’affectivité elle-même. 61

C’est là en effet ce que signifie pour l’affectivité être le mode même selon lequel s’accomplit la révélation originelle, son mode de présentation phénoménologique, l’effectivité de cette révélation, sa phénoménalité propre, sa substance, l’apparaître enfin qu’elle détermine et dans lequel elle se réalise : être son contenu. 62

Chaque tonalité est ce qu’elle est, cela veut dire, la matière dont elle est faite est sa propre phénoménalité et le mode selon lequel celle-ci s’accomplit chaque fois, le mode selon lequel l’affectivité se détermine chaque fois en elle pour être ce qu’elle est, cette tonalité déterminée. 62

L’unité de tous nos sentiments réside dans leur phénoménalité même, non pas toutefois dans la transcendance d’un milieu qui les dépasse et dans lequel ils se manifesteraient comme dans un monde, comme des phénomènes extérieurs. 62

Pour autant qu’il laisse hors de lui l’intentionnalité du rapport, le sentiment considéré en lui-même n’est plus qu’une détermination opaque, foncièrement étrangère à l’élément de la phénoménalité, analogue à n’importe quel étant. 64

Parce que les sentiments sont des états, parce qu’ils sont étrangers à l’élément pur de la phénoménalité et ne portent pas en eux-mêmes, dans leur affectivité, comme identique à celle-ci, comme identique à leur être, le pouvoir de révéler, leur propre révélation, la promotion de nos sentiments dans la condition de phénomènes n’est pas leur fait et ne s’accomplit pas en eux, ne trouve en eux ni son fondement ni son effectivité, est le fait d’un pouvoir étranger et s’accomplit en lui, est le fait du pouvoir qui est compris comme celui d’accomplir la révélation, du pouvoir de la perception et de la transcendance elle-même. 64

Cette évidence dès lors se présente sans plus attendre : l’essence de la révélation propre à l’affectivité et s’accomplissant en elle est complètement manquée par Heidegger, confondue par lui avec celle de la compréhension ontologique de l’être à laquelle pourtant elle demeure hétérogène dans sa structure comme dans sa phénoménalité. 65

Parce que l’affectivité, pour autant qu’elle accomplit l’œuvre de la révélation, œuvre à la manière de la transcendance, c’est-à-dire encore sur le fond en elle du pouvoir ontologique de la compréhension de l’être, le sentiment, tout sentiment possible en général, ne peut être autre chose qu’un fait brut et aveugle, par lui-même étranger à l’élément de la phénoménalité, que par la médiation de ce pouvoir et précisément comme un mode du comprendre. « 65

Que l’affectivité du sentiment ne puisse trouver son fondement dans le milieu de la représentation, dans l’extension de l’être-étendu-devant, cela résulte de son essence même et de la structure de la phénoménalité en elle comme irréductible à celle de l’être-étendu-devant, cela résulte de ce que la révélation originelle du sentiment à lui-même constitutive de son affectivité consiste dans son affectivité même, laquelle, considérée en elle-même, en tant que telle, n’est rien d’étendu, de ce que l’apparence de l’être-étendu-devant réside dans son extension même, laquelle, considérée en elle-même, en tant que telle, n’est rien d’affectif. 66

Parce que la phénoménalité du milieu qu’elle développe est irréductible à celle de l’affectivité, la représentation, loin de pouvoir définir dans un cas, dans le cas du sentiment sensoriel, ce qui fait l’être de ce sentiment, à savoir précisément son affectivité, présuppose au contraire celle-ci et ce qu’elle est toujours, elle la présuppose comme ce qu’elle représente mais qui ne trouve jamais dans le milieu de sa représentation la condition de ce qui constitue son être propre, son autorévélation à lui-même dans la phénoménalité originelle de son affectivité. 66

Que signifie cependant une telle loi, que veut dire pour un sentiment visé et atteint dans la perception ou l’intuition affective, « n’être pas réellement éprouvé » par la conscience ? Quand donc un sentiment est-il réel et qu’est-ce qu’un sentiment qui ne l’est pas ? Ici doit être rappelée la distinction fondamentale instituée par la problématique, à l’intérieur même de l’élément pur de la phénoménalité qui définit, au point de vue ontologique, la réalité, entre le concept strict de celle-ci et ce qu’il désigne, l’auto-affection originelle de l’essence dans son immanence radicale, à savoir précisément l’affectivité elle-même et, d’autre part, ce qui trouve seulement dans cette dernière, dans la réalité de l’acte qui le projette et le reçoit, la condition de sa possibilité, l’horizon du néant et sa manifestation effective, c’est-à-dire encore le milieu de l’idéalité ou de l’irréalité pure comme telle. 67

Car le concept de celle-ci, entendu il est vrai dans son sens premier, n’ajoute rien à l’essence du sentiment mais la désigne seulement et l’explicite comme constituant en tant que telle, comme identique à la réalité, la dimension originelle de la phénoménalité pure et, précisément, la conscience pure elle-même comme telle. 67

C’est à la lumière de cette signification décisive d’une loi éidétique suprême qui divise l’élément pur de la phénoménalité en celui de la réalité où l’apparence est l’essence et, d’autre part, de l’idéalité et précisément de l’irréalité où elle n’est qu’une image, que doit être mise en question l’affirmation de Scheler selon laquelle « il y a dans la sphère du Fühlen une différence qui correspond à la différence de la perception et de la représentation (Vorstellen), c’est-à-dire d’une possession directe ou indirecte ». 67

La joie est une structure ontologique, elle est le mode selon lequel l’être s’historialise, son devenir et son surgissement en lui-même dans le rassemblement édificateur de la Parousie, elle est la Parousie elle-même, sa phénoménalité originelle et son effectivité. 70

C’est un seul et même contenu phénoménologique, une seule tonalité qui est pensée comme souffrance et comme joie, celles-ci, l’une et l’autre également, en composent la trame, la substance, la phénoménalité enfin, comme phénoménalité effective et concrète, elles sont une seule apparence, l’unique apparence de l’absolu et son être-réel, la Parousie. 70

La dichotomie de l’affectivité a une signification phénoménologique, elle s’enracine dans la structure même de la phénoménalité, dans la structure de l’être, et lui est consubstantielle. 70

Les tonalités positives et négatives qui s’enracinent dans la structure même de la phénoménalité et de l’être, qui sont leurs modes originels de réalisation, constituent le seul fondement assignable à la dichotomie que laisse paraître en elle la vie affective, son fondement ontologique précisément. 70

Qu’un tel fondement ne puisse lui-même être considéré comme un terme mystérieux posé pour les besoins de l’analyse, on le voit à la manière dont il accomplit son œuvre de fondation et se comporte justement comme un fondement phénoménologique, — on le voit à ceci que les multiples tonalités qui composent l’histoire de l’existence et dans lesquelles celle-ci ne cesse de se transformer, les tonalités existentielles, ne sont que les modalisations et les modes des tonalités ontologiques fondamentales positives ou négatives inscrites dans l’essence à titre de possibilités pures et leur actualisation, à ceci que leur phénoménalité, la phénoménalité de ces modalisations et de ces modes n’est que la modalisation et le mode de la phénoménalité elle-même et de son essence originelle, la manière infiniment diverse dont l’être se réalise et son historial. 70

L’élaboration de ces questions ne présuppose pas seulement en effet une délimitation préalable du concept de la phénoménologie au traitement de laquelle elles sont soumises, parce que les réalités visées en elles appartiennent en fait à la structure interne de la phénoménalité pure elle-même et la constituent, leur détermination est identiquement celle de cette structure et la présuppose. 70

La grande ruse, dit Hegel, c’est que les choses soient comme elles sont… il y a simplement à les prendre dans leur phénoménalité… L’essence de l’essence est de se manifester. » 71

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