Henry (1963) – consciência e dor
(MHEM)
Ainsi dans le cas d’une conscience de lecture qui s’accompagne d’une douleur oculaire, celle-ci n’est en aucune façon un objet et ne se réfère pas non plus à un corps objectif, c’est seulement au regard de la réflexion qu’elle peut paraître telle et se trouve dès lors connue et nommée comme « douleur des yeux ». 57
En elle-même cependant une telle douleur n’est pas différente de la conscience de lecture, elle est son être même, « la matière translucide de la conscience », « elle existe par-delà toute attention et toute connaissance, puisqu’elle se glisse dans chaque acte d’attention et de connaissance, puisqu’elle est cet acte même ». 57
La douleur est la texture de la conscience, l’ineffable de son existence même, ce dont elle ne peut se séparer, de telle manière que le projet de lui échapper échoue inévitablement, parce que cet « ineffable qu’on veut fuir se retrouve au sein de cet arrachement même…, est l’être de la fuite qui veut le fuir ». 57
La douleur ne constitue cependant chez Sartre que l’être-en-soi de la conscience, « son être-là », « son rattachement au monde », « sa contingence », elle n’est ce qu’est la conscience qu’en tant que la conscience n’est pas ce qu’elle est. 57
La douleur est l’être, la conscience est le néant. 57
Après avoir identifié l’être de la douleur et celui de la conscience non thétique, il faut les distinguer, instituer entre eux un intervalle qui est précisément celui de l’extériorité. « 57
Pourtant même sur ce plan d’être pur, la douleur… ne peut être existée non thétiquement par la conscience que si elle est dépassée. 57
La conscience douloureuse est négation interne du monde, mais en même temps elle existe sa douleur — c’est-à-dire soi-même — comme arrachement à soi. » 57
Non pas sans doute comme l’objet d’une contemplation indifférente et libre, comme l’ « objet psychique » : à la douleur qui l’accompagne, la conscience de lecture reste liée invinciblement, mais ce lien est un lien de transcendance, la conscience existe sa douleur, de telle manière que « exister » signifie « dépasser », de telle manière que la douleur est la texture même de la conscience en tant que la conscience « dépasse cette texture vers ses possibilités propres » et vers le monde. 57
C’est précisément parce qu’une distance s’institue nécessairement, comme identique au pour-soi lui-même, entre celui-ci et la cœnesthésie qui signifie la contingence originelle de son existence, qu’il est possible et à vrai dire inévitable pour la conscience de prendre attitude à l’égard de cette existence corporelle qui la transit, de la vivre de telle ou telle façon, de surmonter par exemple sa fatigue, sa douleur, ou de s’y abandonner dans un projet dont le sens est chaque fois décelable et conduit finalement par la voie d’une analyse régressive jusqu’au projet initial et fondamental du rapport que le Pour-soi choisit d’entretenir avec sa facticité et avec le monde. 57
Or, si cette fusion de diverses modalités en une tonalité unique se produit dans des champs déterminés de l’expérience et, bien plus, s’y produit nécessairement, il faut noter comme un fait décisif la coexistence possible au même moment et dans un même acte de conscience de modalités affectives distinctes, une telle coexistence se trouvant mise en évidence lorsque l’une des modalités est positive tandis que l’autre est négative, comme dans le cas d’un bonheur éprouvé en même temps qu’une douleur physique ou dans celui d’un désespoir persistant au milieu de plaisirs sensoriels caractérisés. 66
La douleur ne rend aucun homme bienheureux, elle se contente de le faire « rentrer en lui-même », de l’aider à concevoir cette couche profonde de son être et à en prendre conscience. » 70
