Henry (1963) – afetividade
(MHEM)
L’affectivité est l’essence de l’auto-affection, sa possibilité non théorique ou spéculative mais concrète, l’immanence elle-même saisie non plus dans l’idéalité de sa structure mais dans son effectuation phénoménologique indubitable et certaine, elle est la façon dont l’essence se reçoit, se sent elle-même, de telle manière que ce « se sentir » comme « se sentir soi-même », présupposé par l’essence et la constituant, se découvre en elle, dans l’affectivité, comme se sentir soi-même effectif à savoir précisément comme sentiment. 52
Comme tel, comme ce « se sentir soi-même » phénoménologiquement effectif constitutif de l’essence et la rendant possible, le sentiment n’est pas différent de celle-ci : l’affectivité est l’essence originaire de la révélation. 52
L’affectivité est ce qui met toute chose en relation avec soi et ainsi l’oppose à toute autre, dans la suffisance absolue de son intériorité radicale. 52
L’affectivité est l’essence de l’ipséité. 52
Parce que l’affectivité est l’essence de l’ipséité, tout sentiment est en tant que tel, comme sentiment de soi, un sentiment du Soi, laisse-être, révèle, constitue l’être de celui-ci. 52
L’identité de l’affectant et de l’affecté est l’affectivité et, comme telle seulement, comme auto-affection de l’essence dans son immanence radicale, son Soi, le Soi de l’essence, l’ipséité. 52
L’affectivité est la révélation de l’être tel qu’il se révèle à lui-même dans sa passivité originelle à l’égard de soi, dans sa passion. 53
L’essence de la subjectivité est l’affectivité. 53
Toute vie est par essence affective, l’affectivité est l’essence de la vie. 53
L’invisible est l’être compris comme l’affection, l’affection originelle, son effectivité première et l’essence de toute effectivité, la phénoménalité elle-même, absolue, irrécusable, telle qu’elle se révèle originairement à elle-même, est l’affectivité. 53
L’affectivité est la condition de la sensibilité, de telle manière que le sentir, comme sentir d’un contenu sensible et comme sa réception, n’est principiellement possible que sur le fond en lui du se sentir soi-même qui le livre à lui-même et lui donne la réalité de ce qu’il est, n’est principiellement possible que comme affectif. 54
Parce que l’affectivité est en elle-même comprenante, elle se propose d’emblée, au contraire, comme un phénomène significatif, déploie l’horizon de compréhension à l’intérieur duquel elle vise l’objet et s’y rapporte, de telle manière que cette visée de l’objet, la possibilité même de le viser et de s’y rapporter, de se rapporter à autre chose, lui appartient et la définit. 54
Ainsi se fait jour dans la philosophie moderne, comme une de ses découvertes les plus importantes et donnée par elle comme essentielle, la thèse selon laquelle l’affectivité est intentionnelle. 54
Comment cependant l’affectivité est-elle comprenante, apte à saisir des significations transcendantes et à les vivre, c’est là ce qui doit être précisé si rien ne répugne davantage à son essence que la transcendance, si le déploiement d’un horizon de compréhension est ce qui lui est le plus étranger ? Considérée en elle-même, à vrai dire, l’affectivité ne comprend rien, elle est, bien plutôt, l’impossibilité de toute compréhension, le non-développement de l’ekstase et, dans cette impossibilité seulement, dans ce non-développement, ce qu’elle est, l’immanence absolue de la vie dans sa passivité originelle à l’égard de soi, le souffrir et, comme telle précisément, l’affectivité. 54
C’est le contraire qui est vrai : l’affectivité est le fondement universel de tous les phénomènes et les détermine tous originairement et essentiellement comme affectifs. 54
L’affectivité est liée à la manifestation et lui appartient, elle concerne le surgissement même de l’objet et sa possibilité, le monde dans sa mondanité pure, c’est une détermination de l’être de l’étant, non une simple propriété ontique. 54
En quel sens et comment le monde est-il affectif ? En tant qu’il est compris par le comprendre, en tant que la réalité de l’acte qui comprend est l’affectivité. 54
La réalité de l’image est la non-image, est l’affectivité. 54
La possibilité de cette détermination est la possibilité de l’affection elle-même, est l’affectivité. 55
Seul ce qui se creuse en soi-même comme un soi, l’entité absolue qui est le sentiment de soi, l’essence de l’affectivité est, peut être affectée. 55
Voilà pourquoi, parce qu’il est identique à la cœnesthésie, le sentiment se laisse comprendre comme un sentiment « sensoriel » ou « sensible », toujours complexe, fait d’éléments multiples bien qu’indiscernables et fondus en lui, pourquoi et comment, en fin de compte, l’affectivité est assimilable à la sensibilité elle-même, dans la richesse de son effectivité concrète, à la sensibilité réelle ou empirique. 56
C’est de cette façon que l’affectivité est la condition de la sensation, comme constituant sa réalité même et la substance de son être phénoménologique effectif et concret. 56
Comme telle aussi, parce que son essence est l’affectivité, la sensation est vivante, est, porte en elle le frémissement intérieur de la vie, se forme là où se forme la vie, vibre en elle, avec elle, et la détermine comme sa détermination, possible à partir d’elle, comme une modalité et une tonalité de la vie elle-même. 56
L’affectivité est la forme de la forme, l’essence de l’essence. 57
L’affectivité est dans la forme ce qui la rend possible, le s’éprouver soi-même qui la rend originellement présente à elle-même et susceptible d’agir, bref sa forme la plus intérieure, ce qu’il y a de plus intelligible en elle et le principe ultime de toute intelligibilité, son essence. 57
Quant à la forme, précisément parce que l’affectivité est posée hors d’elle comme un contenu étranger à ce qu’il y a de proprement ontologique en elle et à son essence, elle n’est rien d’affectif, la pureté de l’élément transcendantal signifie justement l’inaffectivité de la forme. « 57
Mais l’affectivité est la possibilité dernière et l’essence de toute affection possible en général. 57
Considérée comme une mode de l’étendue cependant, et bien que celle-ci lui confère la positivité de sa rationalité interne et ce caractère rigoureux en vertu duquel elle s’impose à l’esprit, l’idée n’est encore qu’une abstraction, ne devient réelle que pour autant qu’elle est reçue. L’être-reçu de l’idée, c’est là sa forme, identique à la pensée elle-même. L’affectivité est cette forme. 57
Aussi voit-on de façon significative Malebranche être soucieux de minimiser ce caractère affectif de la forme, distinguer du sentiment proprement dit et de tout ce qu’il comporte de lourd, d’obscur et enfin de proprement affectif, le simple sentiment intérieur qui n’est qu’un mot finalement pour désigner la conscience et dont l’affectivité est nulle. 57
Bref, l’interprétation ontologique de l’affectivité est perdue, tandis que celle-ci n’est plus rien d’autre qu’un « contenu empirique ». 57
C’est en tant que pure, comme accomplissant l’œuvre de la donation originelle dans l’autodonation à soi-même de tout ce qui est, que l’affectivité est présente dans la sensation, comme sa pure possibilité ontologique, constitutive de sa réalité et identique à celle-ci, que l’affectivité est présente, de même, dans l’idée, dans l’imagination et dans toutes les déterminations de la vie, en tant qu’elle constitue l’essence de celle-ci. 57
En tant qu’elle est constituée par le contenu de la sensibilité empirique, l’affectivité est réductible à des « états » tels que ceux du plaisir, de la douleur, de l’agréable, du désagréable, sans que jamais ce qui fait de chacun de ces états, quelle que soit sa spécificité, quelque chose d’affectif, bref l’essence de l’affectivité en lui soit prise en considération par la pensée kantienne, laquelle s’insère, à cet égard, dans une tradition qu’elle ne commence ni ne finit. 58
Ainsi l’affectivité est-elle de l’ordre de la « nature » et, comme telle, livrée au mécanisme. 58
C’est l’affectivité de celui-ci au contraire qui est, semble-t-il, prise en considération lorsque, toujours pour faire apparaître la singularité de ce sentiment, c’est-à-dire en fait son caractère non sensible, Kant l’oppose au plaisir et à la peine, de telle manière toutefois que cette définition reste purement négative, dit ce que le respect n’est pas, non ce qu’il est en lui-même, dans la réalité de son affectivité propre. 58
A la question proposée par Kant comme une énigme impénétrable à la raison spéculative, celle de savoir comment une représentation pure peut être liée à une tonalité déterminée, comment est possible « l’influence d’une idée simplement intellectuelle sur le sentiment », il est répondu quand l’affectivité est comprise, non pas comme liée seulement à cette idée pure, mais comme appartenant à la structure de sa représentation et comme la possibilité la plus intérieure de celle-ci. 58
Pour cette dernière raison précisément, pour cette raison seulement, « une action sur le sentiment » est possible, parce qu’une telle action, comme toute action s’exerçant sur l’humanité de l’homme, signifie son affection, et que l’affectivité est l’essence de cette affection comme de toute affection possible en général. 58
Que l’affectivité constitue l’essence originaire de la révélation, cela veut dire : l’affectivité est en elle-même, de part en part, révélation. 59
L’affectivité est révélation de son être et c’est pourquoi elle est l’être. 59
L’affectivité est le fondement en tant que, comme fondement de l’affection, elle rend possible et fonde tout ce qui nous affecte et se manifeste, tous les phénomènes. 59
L’affectivité est le fondement en tant qu’elle est en elle-même, dans ce qui fait la substantialité de sa substance, dans son être, de part en part, révélation. 59
Lorsque, de façon d’ailleurs exceptionnelle, la philosophie se rend présente l’appartenance du sentiment à la structure ultime du réel, les préjugés régnants sont plus forts que son intuition d’un moment et la signification ontologique du concept de l’affectivité est aussitôt perdue. 59
La détermination ontologique de l’affectivité comme essence originaire de la révélation et, par suite, comme constituant en elle-même, dans son être, l’effectivité de celle-ci, — détermination qui rejette d’un coup l’ensemble des préjugés où se perd la spéculation psychologique, morale ou métaphysique, dans sa relation au problème de l’affectivité — s’achève avec l’élaboration par la problématique de ces deux questions : comment s’accomplit la révélation qui réside dans l’être même du sentiment et trouve en lui son effectivité ? Quel est, d’autre part, le contenu de cette révélation ? En d’autres termes : comment révèle l’affectivité ? Que révèle-t-elle ? La réponse à la première question concernant le mode conformément auquel s’accomplit la révélation qui réside dans l’être même du sentiment, concernant le comment de cette révélation est celle-ci : l’affectivité est ce « comment », l’affectivité révèle comme affectivité. 60
C’est là précisément ce que signifie pour l’affectivité, être en elle-même, dans son être, révélation : l’affectivité est le mode même selon lequel s’accomplit la révélation originelle, elle est l’effectivité de cette révélation, sa phénoménalité propre, sa substance enfin, l’apparaître qu’elle détermine et dans lequel elle se réalise. 60
Le comment de la révélation de l’affectivité désigne en premier lieu la structure interne du pouvoir qui accomplit cette révélation, à savoir l’affectivité elle-même comprise comme cette structure, désigne l’immanence. Conformément au « Comment » qui désigne sa structure interne et l’affectivité elle-même comprise comme cette structure, la révélation s’accomplit, sur le fond en elle de ce comment, d’une certaine façon, selon un certain mode de présentation, elle a un « comment » qui vise précisément ce mode de sa présentation phénoménologique et la nature de la phénoménalité qu’elle réalise chaque fois. Un tel « comment » est l’affectivité elle-même, le mode de présentation qu’il désigne est un mode affectif. 60
L’affectivité est l’essence intérieure qui ne s’étale pas dans la lumière mais reste en soi et se retient tout entière en elle-même, hors du monde. 61
Éclairer nos sentiments, c’est les confier à cette lumière qui est la leur, laisser être et se développer leur phénoménalité propre, c’est laisser être, là où elle est et comme elle est, dans l’invisible et selon son mode de présentation phénoménologique spécifique, comme affective, la révélation qui les constitue et les définit et qui est l’affectivité elle-même. 61
En tant que celui-ci réside précisément dans l’affectivité, en tant que l’affectivité révèle comme affectivité, en elle-même et en tant que telle, et que le mode de présentation phénoménologique de la révélation qu’elle détermine se propose comme essentiellement affectif ce qu’elle exhibe, le contenu de la révélation qui trouve en elle son essence est l’affectivité elle-même. 62
En tant que l’affectivité est le propre contenu de la révélation originelle qui trouve en elle son essence, cette révélation, l’affectivité, se produit nécessairement et s’accomplit comme révélation de soi. 62
C’est pourquoi une telle signification ne peut être reconnue dans son universalité et fondée que pour autant que cette essence est elle-même reconnue, pour autant que le pouvoir originaire de révélation de l’affectivité est saisi en lui-même et non pas confondu avec celui de la transcendance, comme on le voit chez Scheler et, de la même manière, chez Heidegger. 64
L’affectivité cependant ne flotte pas en l’air, comme un pouvoir abstrait, séparé de l’existence et chargé de la saisir, elle est l’affectivité de l’existence et lui appartient comme sa détermination la plus essentielle. 65
La détermination ontologique du pouvoir de révélation propre à l’affectivité est identiquement celle de l’affectivité elle-même, la détermination de sa nature, des structures essentielles qui la constituent et la définissent. 65
La structure ekstatique de la relation à soi de l’existence dans l’affectivité est visible dans toutes les tonalités, y compris celles où cette relation s’accomplit selon le mode inauthentique de la déchéance. 65
Le pouvoir de révélation de l’affectivité est précisément celui du temps. 65
Que le pouvoir de révélation de l’affectivité soit celui du temps veut donc dire, le pouvoir de révélation de l’affectivité est celui de la transcendance. 65
Quand il est compris comme celui de la transcendance, le pouvoir de révélation propre à l’affectivité est perdu et, en même temps, la nature même de l’affectivité comme constituée par ce pouvoir. 65
Cela veut dire : le sentiment est immanence radicale, est affectivité. 67
C’est parce que l’affectivité est comprise comme le pouvoir de révéler originairement les valeurs qu’elle intervient comme un élément inséparable de l’action, laquelle présuppose précisément comme sa condition la mise à découvert des contenus axiologiques vers lesquels elle s’oriente et dont elle poursuit l’obtention ou la réalisation. 68
L’affectivité est l’être de l’action, l’être du Je peux, elle est, la problématique vient de le rappeler, l’être-donné-à-elle-même de l’existence dans sa réalité, sa révélation originaire, son essence. 68
Car l’affectivité est l’auto-affection, elle est le s’éprouver soi-même intérieurement et ce qui s’éprouve soi-même intérieurement s’éprouve nécessairement tel qu’il est, comme un contenu déterminé par conséquent. 70
L’affectivité est l’essence de l’expérience, son surgissement originel, sa substance et son effectivité, et l’expérience, pour autant qu’elle est effective, pour autant qu’elle a une substance et un contenu, est toujours une expérience. 70
La structure ontologique universelle de l’affectivité est son contenu déterminé, le sentiment particulier dans lequel elle se phénoménalise chaque fois. 70
L’absolu présent en chaque tonalité comme ce qui la révèle à elle-même est l’essence de cette tonalité, est l’affectivité. 70
