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Expériences de l’extase
Ioan Couliano (EE:160-164) – Légendes du Miraj
Extase, ascension et récit visionnaire de l’Hellénisme ao Moyen Âge
terça-feira 8 de agosto de 2023, por
Les deux cycles de légendes, celui de l’isrâ’ et celui du mi’râj, sont réunis dans la rédaction unique du Tafsîr (XV 3-10) de Tabarî (IXe siècle). Le mi’râj est décrit selon la recension II A, tandis que l’isrâ’ suit plutôt la recension I B, avec variantes.
Le germe de la légende de l’ascension céleste du Prophète apparaît dans une allusion fugace du Qoran (XVII l). Selon Tor Andrae, la plus ancienne source sur la révélation de Mohammed serait le récit d’Ibn Ishaq (ob. 768) : Gabriel lui enjoint de lire quelque chose (Iqral), mais Mohammed refuse trois fois de suite, car il ne sait pas lire. La quatrième fois il demande : Que dois -je lire ? Alors il se réveille et « c’était comme si me écriture s’était imprimée dans (son) cour. (Il) sortit de la caverne (du mont Hira) et, au moment ou (il se) trouvait au milieu de la montagne, (il) entendit une voix qui disait : O Mohammed, tu es l’apôtre de Dieu et je suis Gabriel. (Il) leva ses yeux et vit Gabriel sous la semblance d’un homme qui tenait les jambes croisées, à l’horizon du ciel. (M.) resta debout et le considéra attentivement et, où que (M.) se retournait, il revoyait toujours Gabriel à l’horizon ». Les cycles légendaires du « voyage nocturne » (isrâ’) et de l’ascension (mïrâj) ne sont pas nécessairement moins anciens que le récit d’Ibn Ishaq.
Le premier (isrâ’) est formé par six hadïts qui remontent au moins au IXe siècle, groupés en deux catégories rédactionnelles que nous allons résumer brièvement dans les pages suivantes.
I A : Mohammed dort. Un homme vient, lui prend la main et l’invite à le suivre. Ils arrivent devant une montagne. Mohammed considère que l’ascension de la montagne dépasse ses forces, mais son guide lui promet de l’aider et ainsi ils arrivent au sommet. Là, M. assiste aux supplices infernaux et suit les explications du guide ; conseillé par celui-ci, il esquive la géhenne. Ensuite il visite le Paradis, où il rencontre trois de ses fidèles. Il lève ses regards vers le ciel et voit trois prophètes : Abraham , Moïse et Jésus.
I B : Une nuit, deux (un) homme(s) (anges) emportent M. (à Jérusalem). Sur la route, il rencontre quatre suppliciés : le menteur, celui qui ne pratique pas les préceptes du Qoran, l’adultère et l’usurier. Il rencontre Abraham auprès d’un arbre dont la couronne touche le ciel, dans le jardin paradisiaque. Auprès d’A. il y a des enfants (les « fils des hommes » ou les enfants morts en bas âge) et l’ange trésorier de l’enfer. Il pénètre dans une belle maison, qui est le ciel, demeure des fidèles, après quoi il franchit le seuil d’une maison plus belle que la précédente, qui est la demeure des martyrs. Les hommes (anges) déclinent leur identité : ils sont Gabriel et Michel. En levant ses yeux, M. contemple le palais céleste préparé pour lui-même, après sa mort.
Le cycle du mi’râj n’est pas moins ancien que celui de l’isrâ’. Il y en a trois variantes : celle de Bukhârî et Muslim (IXe siècle), celle d’Ishâq b. Wahb, traditionaliste du IXe siècle (attribuée à Ibn ’Abbas, compagnon du prophète), et une troisième (jugée comme apocryphe par les traditionalistes), composée probablement par l’un des plasto-graphes, Maysara b. ’Abd Rabbi-hi (d’origine persane) ou ’Umar b. Sulaymân (de Damasc).
II A : Mohammed dort dans sa maison à La Mecque (ou dans l’enceinte de la mosquée). Il est réveillé par Gabriel, qui est seul ou accompagné d’un ou de plusieurs anges. Gabriel et ses aides purifient le Prophète pour le préparer à l’ascension céleste : ils lui ouvrent la poitrine, en extraient le cour et le lavent avec de l’eau puisée au puits de Zamzam dans une coupe d’or (qui contient, par-dessus le marché, Sagesse et Foi). Ensuite ils réintroduisent le cour à sa place et referment l’incision. Grabriel prend M. par la main. L’ascension commence (depuis la mosquée de La Mecque ou le Temple de Jérusalem), selon trois variantes : 1) M. vole sans véhicule; 2) G. et M. montent dans un arbre, qui croît vertigineusement jusqu’au ciel ; 3) M. vole sur le boraq, la monture céleste plus grande qu’un âne, mais plus petite qu’une mule. L’ascension se déroule en dix étapes, dont les sept premières sont les cieux astronomiques. Gabriel frappe à la porte de chaque ciel et demande la voie libre au gardien. Dans chaque ciel, G. présente à M. un ou deux prophètes. M. les salue et ils répondent par des bénédictions. L’ordre le plus commun selon lequel se déroulent les rencontres est : Adam , Jésus et Jean, Joseph, Idrîs (Énoch), Aron, Moïse, Abraham. A la 8e étape, ils rencontrent le « Lotus terminal », un arbre gigantesque du Paradis. Les quatre fleuves surgissent à ses racines. Ici ou ailleurs au cours de son voyage extatique, Mohammed reçoit deux ou trois vases remplis de vin, de lait et de miel, pour se désaltérer. M. choisit le lait et Gabriel approuve son choix. La neuvième étape consiste dans la visite à la « Maison habitée », c’est-à-dire la Jérusalem céleste. La dernière étape est la présentation de M. devant le trône de Dieu et la conversation avec Dieu. Suit l’épisode assez fastidieux des quatre voyages, aller et retour, entre Dieu et le sixième ciel, où réside Moïse, pour établir le nombre convenable des prières journalières des fidèles. Celui-ci est graduellement réduit, de cinquante à cinq prières, en raison de la faiblesse de l’homme.
II B : Les premiers épisodes suivent de près la rédaction II A. Au troisième ciel, M., accompagné par Gabriel, rencontre un ange énorme, d’aspect terrible, incandescent. Il fabrique des instruments de torture. C’est l’Ange gardien de l’enfer, qui ne sourit jamais. Sa mission est d’exercer la vengeance divine contre les pécheurs. L’ange terrifiant reçoit d’en haut l’ordre de montrer à M. les sept étages de l’enfer, disposés sur une verticale où la gravité des péchés augmente avec la profondeur. M. ne supporte que la vue du premier étage, divisé en 14 compartiments. Après cet épisode, l’ascension se déroule selon le schéma de la rédaction II A.
II C : A cause de la longueur du récit, nous divisons notre résumé par étapes célestes :
1er ciel: 1. G. et M. rencontrent un coq immense, au plumage blanc sur un corps vert. Sa tête repose sous le trône de Dieu. Son chant de louange à Dieu est répété par tous les coqs de la terre.
2. M. contemple un ange dont la moitié supérieure est de feu et la moitié inférieure de neige. Celui-ci invite les créatures à réunir leurs cœurs par la charité, de la même manière que lui, illustration vivante de la coincidentia oppositorum, sait concilier le feu et la glace.
3. Un ange assis sur un tabouret tient l’univers tout entier entre ses pieds. Il a les regards fixés sur l’Écriture Sainte, faite de lumière. C’est l’Ange de la Mort, dont la fonction est d’extraire les âmes des corps. L’âme est jugée par les anges Munkar et Nakîr.
4. Ici reparaît l’ange gardien de l’enfer de la recension II B. M. ne supporte pas la vue horrible des supplices et prie Gabriel de faire refermer la porte.
5. Des anges, pourvus d’innombrables visages sur la poitrine et le dos, louent le Seigneur par leurs chants.
2e-5e cieux : L’ascension est décrite en termes génériques. Elle évite soigneusement les motifs présents dans les recensions A et B.
6e ciel : Multitude de Chérubins, pourvus d’ailes, de visages et de langues qui chantent à la louange de Dieu.
7e ciel : Anges merveilleux, que M. n’a pas le droit de décrire.
8e ciel : 1. Ciel théologique, où se trouvent les palais de Dieu. Devant eux, il y a 70 rangées d’anges gigantesques. M. s’élève sur une hauteur équivalente à 50 000 années de marche et se retrouve devant 70 nouvelles rangées d’anges. La scène se répète sept fois. Les 7 fois 70 chœurs angéliques tournent en cercle autour du trône de Dieu.
2. Suivent sept autres étapes successives. Pendant les trois premières, M. se trouve devant des mers de lumière, de ténèbres et de feu. Ensuite il traverse une immense montagne neigeuse et aboutit à un autre océan de feu, après quoi il y a un océan d’eau, dans lequel résident les anges du dessous du Trône. Un dernier océan, de lumière, lui livre passage aux anges (classe de Chérubins) qui tournent autour du Trône.
Le Trône : M. est enlevé jusqu’au Trône par une espèce de guirlande (rafraf) verte. Gabriel l’abandonne ici. Le Trône est couvert de voiles, mais M. les dépasse, pour s’arrêter devant Dieu lui-même, qui met ses mains sur la tête de l’ombre du Prophète. Ce geste provoque chez M. un moment de stupeur extatique. Dieu lui communique qu’il a été choisi comme messager auprès de toutes les races de la terre et que son peuple sera le plus grand parmi les peuples.
Le retour : Déposé près de Gabriel par la guirlande (rafraf), M. a la vision claire de tous les mondes qu’il a visités. Gabriel lui donne des explications, dont les plus intéressantes concernent les hiérarchies angéliques supérieures. Gabriel lui-même, en tant qu’Esprit , est leur chef. Son second est l’ange Isrâfîl.
Visite au Paradis : Elle est conforme aux descriptions du Qoran. Le « Lotus terminal » est un arbre gigantesque, aux pieds duquel coule le fleuve paradisiaque Kawtar (Qor. 108,1). L’arbre de la Béatitude (Qor. 13,28) et les demeures des justes sont décrites d’après leurs modèles qoraniques.
Les deux cycles de légendes, celui de l’isrâ’ et celui du mi’râj, sont réunis dans la rédaction unique du Tafsîr (XV 3-10) de Tabarî (IXe siècle). Le mi’râj est décrit selon la recension II A, tandis que l’isrâ’ suit plutôt la recension I B, avec variantes.
La légende islamique a dû pénétrer en Espagne chrétienne dès le IXe siècle. La première version du mi’râj résumée en latin (II A, B) est reprise par l’archevêque de Tolède, Rodrigue Jiménez de Rada (1170-1247), au Sahîh ou collection de hadîts authentiques de Bukharî et Muslim, et insérée dans le cinquième chapitre de son Historia arabum, intitulé De sublimatione Mahometi in regem et de jussionibus mendaciter excogitatis. Une version longue du mi’râj fut traduite en castillan, en 1264, par Abraham alfaquim, sur l’ordre du roi Alphonse X. Le notaire Bonaventure de Sienne effectua ensuite, d’après le texte espagnol, une traduction latine (Liber Scale Machometi), qui servit de base pour la traduction française (Livre de l’Eschiele Mahomet). En 1949, E. Cerulli édita le texte latin d’après le Cod. Paris., Bibl. Nat. lat. 6064, avec les variantes du Cod. Vat. lat. 4072, et le texte français d’après le Cod. Laud, Mise. 534 de la Bodleian Library d’Oxford.
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