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ELAHI-NAMEH

Fuad Rouhani (Attar) – Schéma de «Le Livre divin»

FARIDDUDINE ATTAR

quinta-feira 31 de agosto de 2023, por Cardoso de Castro

      
Le mystère éternel, ni tu ne le connais ni moi;
Celle énigme, ni tu ne la connais ni moi.
Quand le rideau se lèvera, tu verras
Que nous ne savions rien, ni toi, ni moi.
      

L’Elahi-Nâmeh est une composition poétique conçue en vers Masnavi   (suite de distiques dans le même rythme, où rime chaque paire de vers) et divisée en une ouverture, vingt-deux chants et un finale. L’Ouverture consiste, conformément â la structure conventionnelle de l’époque, en un éloge de Dieu   suivi des panégyriques du Prophète et des quatre califes. Nous disons bien des quatre califes, car le fanatisme a amen  é des extrémistes chiites à supprimer dans certains manuscrits l’éloge des trois premiers califes. Vient alors la louange de l’Esprit   et de la Parole, qui sert à introduire le sujet propre du Livre.

Un calife avait six fils   tourmentés chacun d’une ambition particulière. Il leur dit un jour qu’il avait le pouvoir d’exaucer leurs vœux, et les invita à les formuler. Les fils exposent ce qu’ils souhaitent et le père les convainc, en s’appuyant sur des exemples variés, que leurs désirs ne sont que des illusions indignes d’eux. Il s’efforce de les éveiller à l’amour de la voie mystique, et de les amener à ordonner leur vie ici-bas en harmonie avec elle.

Le Premier Fils (chants 1, 2, 3 et 4) veut épouser une fée, fille du roi des Péris, dont la beauté est proverbiale. Le père montre qu’un tel vœu procède du désir charnel, dont l’homme devrait secouer le joug. Mais, objecte le fils, le désir est nécessaire à la procréation; sans lui la race humaine disparaîtrait. Le père explique alors qu’il ne condamne pas le désir mais l’esclavage au désir qui avilit l’homme. Si l’on apprend à dépasser l’instinct et la passion, on peut s’élever à l’amour. L’amour au sens parfait amène l’anéantissement de l’amant dans l’aimée; pour y accéder l’homme doit surmonter tous les obstacles et éviter l’écueil des séductions multiples qu’il trouvera sur son chemin. Le fils demande enfin si cette princesse des Péris existe et le père révèle qu’elle revêt un sens symbolique, qui est pour chacun la découverte de son âme en sa pureté originelle. L’Ame recèle la beauté divine cachée sous la souillure des passions ; seul peut la trouver celui qui cultive la vision de l’amant pur. A côté de l’argument principal de ces quatre chants, Attar   introduit d’autres thèmes qui y sont rattachés plus ou moins directement ; la sincérité en amour, les sacrifices qu’elle supposa; l’égalité de toutes les créatures devant le Seigneur; le piège que peut cacher l’attrait des femmes et des enfants; les degrés où peuvent s’établir les hommes, du plus vil ou plus serein; la beauté et la divinité qu’on peut découvrir en toute chose si on a des yeux dignes de les voir.

Le Deuxième Fils (chants 5, 6, 7 et 8) aspire à la magie. Le père répond qu’elle est l’œuvre du démon et que la désirer montre qu’on oublie Dieu, ce qui est l’indice le plus sûr de la perdition. Cet oubli de Dieu s’installe au milieu même des actes de piété, qu’il prive de leur sincérité. Mais, insiste le fils, la magie donne un grand pouvoir, et même si l’on en abusait, on pourrait obtenir le pardon par le repentir. Le père montre alors que la puissance de la magie est illusoire et il cite deux auges déchus qui, bien que maîtres en cet art, ne peuvent même pas boire l’eau du puits où ils sont suspendus pour expier leurs fautes. On ne peut rien obtenir sans la volonté divine et ce que Dieu veut accorder, Il l’accorde uniquement par Sa grâce, sans laisser place au jeu des effets et des causes. Voilé ce qui a toujours tourmenté les mystiques, qui savent qu’ils ne peuvent influencer ni prévoir leur sort. Et cependant, nul d’entre eux n’a douté du chemin à suivre si l’on veut purifier son âme : il faut rejeter l’hypocrisie et renoncer à l’amour de ce monde, aux convoitises et aux désirs de l’âme charnelle. La gangue matérielle peut alors se consumer dans le feu de l’amour qui fait accepter avec joie les sacrifices et les souffrances. Le fils considère un tel amour comme hors de sa portée et désire toujours savoir ce qu’est la magie. Dans un dernier chant, le père associe la sorcellerie à une ruse de Satan   qui aurait semé ainsi en Ève la tentation et l’insubordination. Attar évoque ici dans une digression une image apologétique de Satan aussi intéressante qu’originale.

Le Troisième Fils (chants 9, 10, 11 et 12) aspire à la possession de la coupe de Djemchide, coupe légendaire à laquelle on attribue la qualité de refléter l’univers entier, de telle sorte que son possesseur détiendrait la clé de tous les mystères de la création. Mais le père ne voit là que le désir d’atteindre les gloires mondaines, désir vain car aucune gloire ne dure; le monde moule des briques avec la poussière des hommes, aussi grands qu’ils aient été. Seule la gloire dans le monde de l’au-delà est digne do recherche. Le père ouvre la vision toute terrestre du fils à l’horizon mystique auquel il veut l’initier. Il lui montre comment l’homme favorisé par la Grâce, l’élu admis à la gnose, reconnaissant qu’il est aimé de Dieu, en devient à son tour amoureux et souffre d’en être séparé. Cette ardeur le purifie, lui inculque le dépouillement et la résignation à la volonté du Bien-Aimé, le rend conscient de son impuissance et de l’omnipotence de Celui auquel il cherche à s’unir. Il se prépare à cette union par l’unique moyen qui soit approprié : la purification et l’émancipation du cœur. Le fils, enfin délivré du démon qui l’hypnotisait, prie son père de lui dévoiler le sens symbolique de cet objet tant convoité. Le père révèle que la coupe de Djemchide est l’Intelligence à laquelle Dieu a donné le pouvoir de dévoiler tous les mystères de l’univers.

Le Quatrième Fils (chants 13 et 14) veut trouver l’eau de la vie. Il trahit par là, dit le père, sa soumission aux désirs; ceux-ci une fois enracinés dans le corps de l’homme, cherchent à se perpétuer   et l’incitent à prolonger sa vie. Il faut au contraire se libérer du joug des désirs. L’homme ignore la valeur de la vie même que Dieu lui accorde; il la gaspille. A quoi bon chercher un surcroît d’existence? Mieux vaut accepter son sort avec gratitude, éviter tout orgueil, faire montre de patience et de douceur. Le fils demande à savoir au moins ce que symbolise cette eau qui lui est interdite. Le père répond par l’histoire célèbre d’Alexandre qui partit aux Indes à la recherche de la source d’immortalité. Le conquérant, conclut-il, mourut jeune, mais non sans avoir appris que la source qu’il cherchait était la connaissance, source intarissable que Dieu dans sa bonté a mise à la portée de chacun. Le père entretient maintenant son fils, dont la passion s’est calmée, de l’amour et du cœur. C’est par le cœur et moyennant un amour absorbant que l’on peut communier avec le dieu Bien-Aimé. Seul l’instant de cette communion est digne du nom de vie ; le passé et l’avenir n’ont aucune valeur.

Le Cinquième fils cherche l’anneau de Salomon  , autre objet légendaire grâce auquel Salomon obtint, dit un, l’empire sur les hommes, les fées et les démons, et apprit le langage des bêtes et des oiseaux  . Mais, demande le père, à quoi bon un empire transitoire? Ici-bas tout passe comme le vent; la gloire et la disgrâce, la joie et le chagrin. Le palais le plus splendide n’est qu’une auberge qui loge tantôt celui ci, tantôt celui-là. Le seul empire et les seuls biens à atteindre sont ceux de l’au-delà; c’est pourquoi les saints ont tous choisi la pauvreté et la renonciation. En commentant la futilité de la vie ici-bas, Attar emploie des images qui le rapprochent de Khayyam  . Il compare le monde à un échiquier sur lequel se joue un jeu absurde et enfantin. L’univers est une tablette d’écolier sur laquelle Dieu écrit et efface à la manière des enfants. L’homme est stupéfié devant les caprices de la roue céleste  , ne sachant même pas si la lampe de la foi qui le soutient tant soit peu ne s’éteindra pas subitement. Son unique espoir est que Dieu par Sa grâce lui accorde l’éveil avant la mort. Au fils désillusionné sur cet empire symbolique de l’anneau, le père révèle qu’il représente la félicité   née d’un abandon confiant au coeur des choses, par laquelle on peut régner sur le monde. Il invite son fils à accorder son cœur au diapason de l’appel divin, à voyager au-dedans de lui-même, à chercher l’ivresse de l’anéantissement en Dieu.

Le Sixième Fils (chants 19, 20, 21 et 22) désire posséder le secret de l’alchimie  , car il pense qu’il pourrait alors répandre la sécurité et la richesse dans le monde. Le père expose son véritable motif qui est la convoitise. A quoi bon augmenter son or puisqu’il faut tout laisser à la fin, et puisque tout ce qui constitue un gain ici-bas est une perte dans l’au-delà? Le père conseille à son fils de renoncer à l’alchimie et de se laisser pénétrer par l’amour de Dieu. Attar éclaire le thème de l’amour mystique par l’histoire la plus longue de ce livre, qui occupe un chant entier. Le dénouement en est tragique, car la passion y est mystique chez l’amante, et terrestre chez l’amant; l’union avec l’Aimé céleste ne peut être atteinte que par la triple épreuve du feu, des larmes et du sang. Le fils s’enquiert finalement du vrai sens de l’alchimie, et le père répond que le véritable élixir est celui qui transmute non pas les métaux vils, mais l’essence de l’homme. L’alchimie véritable transmute le corps en cœur, et le cœur en nostalgie absorbante de Dieu. Ainsi sont amenés les thèmes de l’épreuve mystique et de l’anéantissement extatique au sein de la Divinité, but du voyage soufi.

Le Finale consiste en une suite de récits faisant l’éloge de la résignation, du dépouillement, du silence, qui sont les marques d’une âme absorbée dans une supplication confiante et qui sait que son espoir dans la miséricorde et la bonté divines ne sera pas déçu.

L’Elahi-Nâmeh, sans être un traité de mysticisme, offre dans le déroulement de ses multiples épisodes des réflexions lucides et profondes sur les étapes du voyage mystique, sur les états d’âme du « voyageur », et sur les thèmes principaux du soufisme. Toutes les notes de la gamme mystique y résonnent et pourtant Attar ne prêche aucun mystère, n’établit aucune dialectique, ne prétend pas fournir de réponse aux questions angoissantes que l’homme s’est posées pendant des siècles. Parfois, il partage lui-même cette inquiétude et reste muet devant l’énigme de l’existence  . Tout en développant des thèmes essentiellement optimistes qui chantent l’union de l’homme avec la divinité, il tombe parfois dans la tonalité mineure et se demande : Pourquoi ces allées et venues, à quoi bon cette tablette d’écolier qu’est l’univers? Il rejoint la pensée de Khayyam   exprimée dans ce quatrain :

Le mystère éternel, ni tu ne le connais ni moi;
Celle énigme, ni tu ne la connais ni moi.
Quand le rideau se lèvera, tu verras
Que nous ne savions rien, ni toi, ni moi.

Le cri de son âme brûlante n’est cependant pas un cri de pessimisme, mais plutôt l’aiguillon pressant par lequel il incite le chercheur à découvrir lui-même le sens de la création, à se rassurer que tout n’est pas en vain.


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