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Descombes (2014:PII:C3) – a querela do sujeito

terça-feira 6 de fevereiro de 2024

  

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No século XX, esta forma de conceber a filosofia moderna e a relação dos pensadores modernos com a filosofia antiga foi objeto de uma crítica radical por parte de Heidegger  .

Na sua opinião, os filósofos modernos não devem ser tomados à letra quando afirmam ter finalmente identificado a essência da subjetividade ou do si-mesmo (Ichheit, Selbstheit). Na realidade, explica Heidegger, longe de terem descoberto a subjetividade, Descartes   e os seus herdeiros perderam-na completamente porque negligenciaram a crítica da antiga ontologia da substância no seu próprio princípio. De fato, eles apenas aplicaram ao ego os conceitos de substância e acidente que tinham recebido da ontologia antiga.

Aqui, Heidegger baseia-se na sua interpretação do Cogito cartesiano. Ele analisa-o como uma proposição que diz: "ego cogito". Segundo ele, há duas observações a fazer sobre esta proposição:

1. Primeiro, é uma proposição formal, com um sujeito (indicado pelo pronome ego) e um predicado (indicado pelo verbo cogitare).

2. Em segundo lugar, esta proposição é dotada de uma função no sistema filosófico: é a primeira verdade certa, como tal na base de todas as outras verdades (sobre Deus, depois sobre o mundo físico).

Estes dois pontos, de acordo com Heidegger, explicam como a antiga noção lógica de um sujeito da proposição (singular) dá origem à noção moderna do Sujeito Pensante como o fundamento de qualquer afirmação de existência.

original

Au XXe siècle, cette manière de concevoir la philosophie moderne et la relation des penseurs modernes à la philosophie antique a été soumise à une critique radicale par Heidegger.

Selon lui, il ne faut pas croire sur parole le philosophe moderne quand il prétend avoir enfin dégagé l’essence de la subjectivité ou de l’être-soi (Ichheit, Selbstheit) [1]. En réalité, explique Heidegger, loin d’avoir découvert la subjectivité, Descartes et ses héritiers l’ont complètement manquée parce qu’ils ont négligé de critiquer l’ontologie antique de la substance dans son principe même. En fait, ils ont seulement appliqué à l’ego les concepts de substance et d’accident qu’ils avaient reçus de l’ontologie antique.

Ici, Heidegger se fonde sur son interprétation du Cogito cartésien. Il l’analyse comme une proposition qui s’énonce ainsi : « ego cogito ». Selon lui, il y a deux observations à faire sur cette proposition :

1. D’abord, c’est une proposition en bonne et due forme, avec un sujet (indiqué par le pronom ego) et un prédicat (indiqué par le verbe cogitare).

2. Ensuite, cette proposition reçoit une fonction dans le système philosophique : elle est la première vérité certaine, comme telle au fondement de toutes les autres vérités (sur Dieu, puis sur le monde physique).

Ces deux points, selon Heidegger, expliquent comment la vieille notion logique d’un sujet de la proposition (singulière) donne naissance à la notion moderne du Sujet pensant comme fondement de toute assertion d’existence.

En fait, selon lui, la notion de sujet propre à la philosophie moderne (à partir de Kant  ) hérite de la notion grecque d’hypokeimenon. Heidegger résume ses arguments par une remarque sur l’étymologie de ce mot grec hypokeimenon : être sujet de quelque chose, c’est être ce qui se tient au fondement de ce quelque chose à titre de support sous-jacent. Le mode d’être de la qualité est l’inhérence à la substance : pour qu’il existe telle qualité, par exemple la couleur blanche, il faut qu’il y ait une chose qui soit de couleur blanche, par exemple tel cheval qui se trouve être blanc. On dira donc que le cheval est le sujet de la couleur blanche, que la pierre chauffée par le soleil est le sujet de la qualité de chaleur, que l’homme savant est le sujet de la qualité de savoir ceci ou cela, etc. [2].

Dans le système cartésien, on s’assure d’une première vérité par l’argument du Cogito. Cette première vérité porte sur le sujet de la proposition singulière « Je pense ». Tout le système de la science va donc reposer sur une vérité que le penseur découvre en faisant retour sur lui-même.

Heidegger raisonne alors ainsi : puisque l’hypokeimenon est le « fondement » ontologique de l’accident — pas de cheval, pas de blancheur du cheval —, il faut poser que le sujet de la proposition primordiale est le sujet primordial, qu’il est le sujet par excellence, le sujet sur lequel tout repose. C’est pourquoi les philosophes font de l’ego (sujet de l’acte cogitatif) le fondement premier du savoir et de la morale.

D’où cette définition de ce que les auteurs heideggériens appellent généralement la « métaphysique du sujet » : elle applique un schéma traditionnel d’analyse de la proposition singulière (composée d’une propriété signifiée par le prédicat et d’un support de cette propriété signifié par un sujet) à la proposition énonçant la première vérité. Le résultat est d’ériger le sujet de la proposition Ego cogito, ego sum en fondement de tout ce qui est fondé sur le Cogito. Puisqu’il y a une proposition fondamentale à la base de tout notre savoir — à savoir la proposition Ego cogito, ego sum —, le sujet de la proposition fondamentale est maintenant représenté comme le « sujet » par excellence. Tout ce qui n’est pas le sujet de la pensée repose sur lui.

Heidegger note alors que le sujet ainsi conçu conserve la fonction d’un hypokeimenon, c’est- à-dire finalement d’une substance, ou, explique-t-il, d’un être donné, subsistant, présent sous les attributs et les déterminations que le sujet de conscience s’attribue à lui-même en énonçant ce que lui présente sa conscience : « je vois une lumière », « je me représente une figure géométrique », etc. Ainsi, ce que le philosophe appelle « sujet » est toujours conçu comme une substance dotée de propriétés. Nous sommes donc bien loin d’avoir réussi à penser ce qui existe (nous-mêmes) non pas comme substance, mais comme sujet.

Heidegger en conclut que nous ne trouvons pas dans les doctrines modernes de la conscience de soi une élucidation satisfaisante de ce que c’est qu’être un sujet ou qu’être soi-même. Le sujet reste entièrement à penser ou à interpréter phénoménologiquement.

Autrement dit, le mot « sujet » nous joue des tours, car il est devenu ambigu. Dans la philosophie moderne, ce mot est réservé à l’être humain et présente celui-ci comme étant, par sa liberté radicale, au principe de ses actes. Demander ce qui fait de nous des sujets, c’est alors demander ce qui nous confère cette liberté radicale. Mais, en même temps, le mot « sujet » conserve le sens qu’il a lorsqu’il désigne tout ce qui peut jouer dans une proposition le rôle d’un hypokeimenon pour un attribut (« la pierre est chaude »), dès lors qu’on analyse le contact de soi à soi qu’accomplit le Cogito en lui appliquant le schéma du sujet et de son prédicat.

Contre cette équivoque, Heidegger fait ressortir une distinction grammaticale marquée par le fait que nous avons deux mots interrogatifs pour nous interroger sur l’être, selon qu’il s’agit de l’être de quelque chose (« quoi ? », « quid ? », « Was ? ») ou de l’être de quelqu’un (« qui ? », « quis ? », « Wer ? ») [3]. Selon lui, la question de l’être change de sens selon qu’elle porte sur la chose (« qu’est-ce que c’est ? ») ou sur celui-là même qui la pose (« qui suis-je ?). Ainsi, ce qui distingue le sujet conscient de soi d’un quelconque sujet de prédication (le cheval, support de la qualité blanche, ou la pierre, support de la qualité de chaleur), c’est qu’il peut répondre lui-même, en personne, à ce qu’on appelle en grammaire la question du sujet, c’est-à-dire la question portée par le mot interrogatif « qui ? ».

En somme, Heidegger ne conteste pas l’idée selon laquelle l’ambition de la philosophie moderne a été de placer au centre de sa réflexion la question « qu’est-ce que c’est qu’un sujet ? » ou « qu’est-ce que c’est qu’être soi ? ». Il reprend d’ailleurs cette ambition à son compte lorsqu’il entend développer son ontologie fondamentale sur le terrain d’une analyse de l’existence humaine. Mais il estime que cette question reste entièrement à poser et à traiter sur de nouvelles bases.

Que penser de cette critique de Heidegger ? Je crois qu’il convient de l’approuver sur un point et de la contester sur un autre. Il faut retenir l’invitation à revenir à la question « Qui ? » pour élucider le concept de sujet et le rôle qu’il peut jouer en philosophie. En revanche, il est impossible de suivre l’interprétation heideggérienne du Cogito dans sa généalogie du sujet philosophique — ce qui veut toujours dire, comme on l’a vu, le sujet conçu comme un ego qui entre en contact avec lui-même ou s’atteint lui-même, entre en présence de lui-même, grâce à l’équivalent d’un Cogito inaugural. En effet, comme je vais essayer de le montrer, cette généalogie est tirée d’un schéma conceptuel qui n’est pas le bon, celui de la phrase attributive.

Cette interprétation du Cogito veut expliquer la place que la philosophie moderne réserve au sujet pensant par le fait que Descartes interprète la proposition « ego cogito » avec les outils de la philosophie antique et qu’il conçoit l’ego comme une entité substantielle ou un fondement des attributs. Du coup, à suivre cette lecture du Cogito, c’est déjà la révolution copernicienne qui s’esquisserait dans le point de départ cartésien : le sujet que je suis est posé en « fondement » de tout ce qui existe et de tout ce qui vaut pour nous. Or cette interprétation pourrait bien reposer en fin de compte sur un simple jeu de mots.

Dans l’analyse que je viens de rappeler, le mot « fondement » est pris tantôt dans le sens du fondement ontologique d’une existence, tantôt dans le sens du principe d’une justification. Mais ce sont là des significations complètement différentes.

Si nous parlons du fondement ontologique que la qualité doit trouver dans la substance pour exister, nous nous bornons seulement à émettre ce que Wittgenstein   appellerait une « remarque grammaticale » sur le concept de qualité : il ne peut pas y avoir de la blancheur dans le monde s’il n’y a pas des corps dont les surfaces soient blanches. Pour montrer à quelqu’un un échantillon de couleur blanche, nous devons chercher autour de nous une chose qui soit de couleur blanche : par exemple, ce cheval, cette voiture, ce drap, etc. Pas de cheval, pas de blancheur du cheval ; pas de drap, pas de blancheur du drap, etc.

En revanche, si nous prenons le fondement au sens d’un principe de justification, ce que nous invoquons sous ce nom n’est pas du tout une entité (comme le cheval au regard de la couleur blanche), mais c’est une proposition qu’on peut avancer pour servir de justification ou de principe à d’autres selon un schéma d’inférence, comme lorsque je justifie mon assertion en invoquant à titre de preuve de ce que j’avance divers faits connus par ailleurs. Ainsi, par exemple, nous pourrons raisonner ainsi : « Cette voiture n’est pas celle de M. Dupont, car celle-ci est blanche alors que la sienne est bleue. » Ici, le fondement qui justifie mon assertion (« cette voiture n’est pas celle de M. Dupont ») n’est pas la couleur blanche de cette voiture, mais c’est la vérité de la proposition « cette voiture est blanche », une vérité qui est incompatible avec ce que nous savons de la voiture qui appartient à M. Dupont.

Lorsqu’une proposition quelconque doit être fondée, elle doit l’être sur une autre proposition, elle ne peut pas l’être sur une existence, car il n’est pas possible d’insérer une existence dans un schéma d’inférence de type modus ponens. Seule une proposition peut figurer dans un raisonnement de forme « si p, alors q ».

Inversement, la dépendance ontologique de l’accident à l’égard de la substance n’a rien à faire avec une justification. Lorsque le cheval est blanc, l’existence de cette couleur dépend de l’existence de cet animal, mais où voit-on une justification de sa couleur ? Et que voudrait d’ailleurs dire : justifier la couleur blanche du cheval par l’existence du cheval ? Lorsque Achille est en colère, au début de l’Iliade, l’existence de sa colère dépend de son existence à lui, Achille, comme sujet de sa passion, mais ce fait ontologique ne dit pas si cette colère est justifiée ou si elle ne l’est pas.

Il est une seconde objection à élever contre l’analyse heideggérienne du Cogito. Comme je viens de le rappeler, cette analyse repose sur le fait qu’on peut trouver dans l’énoncé cartésien la forme logique d’une proposition prédicative. Mais on se demandera alors : où est, dans cette analyse, l’opposition du sujet de l’acte et de son objet ? Cette généalogie philosophique de notre concept de sujet ne rend pas compte du fait que le sujet, au sens des philosophes modernes, est toujours opposé à l’objet. Ce qui distingue le sujet d’un simple objet, c’est le fait qu’il peut devenir objet pour lui-même, comme le montre l’image qu’utilise Merleau-Ponty   pour figurer la conscience de soi. Dans le contact de soi avec soi, on a tout à la fois la dualité d’un sujet actif et d’un objet passif et la conscience d’une identité entre le sujet et l’objet. Mais cette opposition de l’actif et du passif, ici du connaissant et du connu, est complètement étrangère à la distinction que fait la logique entre le sujet et son prédicat.

Le mérite de Heidegger est d’avoir rappelé le lien qui existe entre le concept proprement philosophique de sujet et des concepts plus ordinaires, ceux que nous mettons en œuvre chaque fois que nous posons ce qu’on appelle, dans les exercices de grammaire élémentaire, la « question du sujet », c’est-à-dire la question exprimée au moyen du mot interrogatif « qui ? ». Selon Heidegger, avant même d’avoir commencé à philosopher sur l’être de la chose et l’être de la personne, nous savons faire la différence entre les cas où il faut demander « Qu’est-ce que c’est ? » et les cas où il faut demander « Qui est-ce ? ». Ainsi, pour comprendre la question philosophique du sujet (qu’est-ce que c’est que d’être soi ?), il faut partir du fait que nous comprenons la question ordinaire du sujet. Autrement dit, il faut partir du fait que nous savons utiliser le mot interrogatif « qui ? » et le distinguer du mot « quoi ? ».

Oui, mais suffit-il de dire qu’on cherchera à déterminer le concept philosophique de sujet en considérant le sens de la question dite du sujet, cette question qu’on pose en demandant « Qui est-ce ? », « Qui va là ? », « De qui s’agit-il ? », etc. ? Je crois qu’il nous faut faire un pas de plus dans l’élucidation de notre vocabulaire.

Heidegger nous rappelle en somme que le mot « sujet » est pris en logique dans un sens tout à fait général. Mais c’est justement pourquoi ce sens du logicien n’est pas le bon point de départ pour comprendre ce qu’invoque un philosophe moderne quand il célèbre la « découverte de la subjectivité », autrement dit la découverte du véritable statut métaphysique de l’être humain dans ce qu’il a de distinctif. Dans son sens logique, le mot « sujet » est indifférent à la distinction que nous faisons entre les personnes et les choses. Or c’est ce sens logique que l’on retrouve dans la distinction ontologique entre la substance et son accident : la pierre est le sujet de sa chaleur, Achille est le sujet de sa colère.

Toutefois, cette distinction entre le statut métaphysique de la pierre et celui d’Achille figure dans la philosophie moderne au titre d’une opposition entre les objets qui possèdent leurs attributs pour nous, mais non pour eux-mêmes, et les sujets, qui ne possèdent des attributs que s’ils sont conscients de les posséder. La pierre n’a pas lieu de concevoir sa propre chaleur ou de s’en préoccuper, alors qu’Achille est le sujet de sa colère à la façon d’un être conscient de lui-même et attaché à une certaine idée de lui-même. Et nous devons donc expliquer d’où sort cette catégorie des objets que nous voulons opposer aux sujets, puisque ce n’est pas d’une analyse de la proposition prédicative, laquelle ne fournit que l’opposition du sujet et du prédicat.

C’est pourquoi nous devons aller plus loin. Nous devons en effet revenir du mot « sujet » — terme technique du philosophe — à la question « Qui ? » telle que nous la comprenons ordinairement. Mais nous devons aussi remarquer que cette question du sujet, que porte le mot « qui ? », se prend elle-même en plusieurs sens.


DESCOMBES, Vincent. Le parler de soi. Paris: Gallimard, 2014


[1Martin Heidegger, Sein und Zeit [1927], Tübingen, Max Nimeyer Verlag, 1967, § 6 (Être et Temps, trad. Emmanuel Martineau, Authentica [hors commerce], 1985) ; Die Grundprobleme der Phänomenologie, Gesamtausgabe, Frankfurt am Main, Klostermann, t. 24, 1975, § 13 (Les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, trad. Jean-François Courtine, Paris, Gallimard, 1985) ; Die Frage nach dem Ding, Tübingen, Niemeyer, 1962, p. 76-83 (Qu’est-ce qu’une chose ?, trad. Jean Reboul et Jacques Taminiaux, Paris, Gallimard, coll. Classiques de la philosophie, 1971).

[2Aristote, Catégories, chapitre II.

[3Martin Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., § 9.