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Chenique (BA:38-42) – São Boaventura

quarta-feira 5 de outubro de 2022

  

Le pape Sixte V a proclamé en 1588 et Léon XIII a rappelé en 1879 que saint Thomas d’Aquin   et saint Bonaventure   ont construit tous les deux la synthèse de la pensée scolastique au Moyen Age; ce sont deux nourritures et deux lumières brillantes dans la maison de Dieu (duae olivae et duo candelabra in domo Dei lucentia). Il reste, comme l’a montré Etienne Gilson que ce sont deux philosophies distinctes qui se complètent mais ne peuvent « ni s’exclure ni coïncider » [1].

Formé par des maîtres attachés à la tradition augustinienne comme Alexandre de Halès, saint Bonaventure refuse de bâtir sa synthèse à partir de la philosophie d’Aristote  ; il reste fidèle à saint Augustin  , à saint Anselme   et aux Victorins. Pour lui, les philosophes n’ont pas reçu la foi et ont erré dans leurs conclusions métaphysiques comme dans l’orientation même de leur recherche. Saint Bonaventure ne s’est pas posé, semble-t-il, la question d’une « philosophie chrétienne » ne faisant appel qu’à la raison dans le but d’aboutir au Dieu chrétien.

Disciple de saint François, saint Bonaventure se méfie de la philosophie enseignée dans les universités et spécialement du système d’Aristote. Pour comprendre la connaissance selon saint Bonaventure, il faut partir de l’« exemplarisme » qu’il professe. Avant de créer les êtres, Dieu les exprime dans son essence sous forme d’« idées éternelles »; Dieu est donc par les idées le « prototype » de tout ce qui existe et toutes les choses sont en lui d’une certaine manière. Saint Thomas pose « l’analogie » comme principe de connaissance allant de la créature au Créateur; saint Bonaventure spécule à partir de Dieu et juge la créature d’après son modèle. Ainsi conçu, l’exemplarisme est la doctrine des relations d’expression qui existent entre Dieu et là créature. Retenons ces « relations d’expression » qui ne sont pas tellement éloignées du concept de « manifestation » que nous utiliserons au chapitre II.

Dieu est donc pour la créature « cause de l’être, raison de connaître et règle de vie » [2], mais cela, la simple philosophie ne permet pas de l’atteindre: « la clef de cette connaissance est la doctrine du Verbe incréé par qui tout a été fait, du Verbe incarné par qui tout a été réparé, du Verbe inspiré par qui tout a été révélé » (Hexaemeron). Pour saint Bonaventure, la vérité logique et la vérité ontologique sont toujours unies car le principe d’être est aussi le principe de connaître, et l’intelligence humaine ne saurait les séparer.

La vérité éternelle est le ferme appui de la pensée humaine mais celle-ci ne participe pas directement de la vérité incréée (pas d’ontologisme) ; il lui faut recevoir la lumière divine:

« L’esprit humain ne voit le vrai total que dans et par la vérité divine, que dans et par une lumière spéciale rayonnant de Dieu sur l’âme et lui faisant voir ce que ses forces naturelles ne sauraient lui faire saisir entièrement. Le Christ est le docteur intérieur et aucune vérité n’est connue si ce n’est par lui qui nous enseigne, non avec des paroles, mais avec des illuminations intérieures... Il y a donc deux termes: Dieu soleil de l’intelligence, et l’âme, qui reçoit cette lumière » [3].

Cette influence de la lumière divine doit être distinguée de la connaissance des « premiers principes » que nous acquérons à partir des données sensibles. Ces principes ne suffisent pas pour fonder notre certitude d’évidence: ils sont « raison de connaissance » mais pas « raison de certitude ». Seules les « raisons éternelles » nous fournissent la certitude parfaite en dépassant les principes premiers qui proviennent encore d’une connaissance créée donc soumise au changement et à l’incertitude:

« La certitude de la connaissance est le terme de la coopération divine sous la forme de principe moteur, puisque la raison inférieure ne peut l’acquérir sans la raison supérieure. Puisque la connaissance certaine appartient à l’esprit raisonnable en tant qu’il est image de Dieu, cet esprit atteint dans cette connaissance les raisons éternelles. Mais, parce qu’ici-bas il n’est pas pleinement déiforme, il ne les atteint pas clairement, pleinement et distinctement. Selon qu’il accède plus ou moins à cette déiformité, il atteint ces raisons plus ou moins, il les atteint cependant de quelque manière, parce que jamais l’esprit ne peut être sans être image. Ainsi, dans l’état d’innocence, l’esprit n’était pas déformé par le péché, mais il n’avait pas la pleine déiformité de la gloire, il atteignait donc les raisons éternelles en partie, mais non en énigme. Dans l’état de nature déchue l’esprit manque de déiformité et est déformé par le péché, il ne les atteint donc qu’en partie et en énigme. Dans l’état de gloire, l’esprit ne sera plus déformé et aura atteint la pleine déiformité, il atteindra les raisons éternelles pleinement et clairement » [4].

Pour saint Bonaventure, le monde sensible est le reflet des perfections du Créateur; il doit donc pouvoir aider l’âme dans sa route vers le Créateur. Le monde sensible reflet du monde intelligible nous offre les « vestiges des créatures » pour nous élever à la « contuition de Dieu ». Par contuition, il faut entendre une saisie indirecte de Dieu à travers les créatures considérées comme des « effets » de la Cause première [5].

« Ces deux premiers degrés nous ont conduits par la main pour nous faire contempler Dieu dans ses vestiges. Ils sont figurés par les deux ailes qui couvrent les pieds du séraphin. Ils nous permettent de conclure que toutes les créatures du monde sensible guident vers le Dieu éternel l’âme du sage et du contemplatif. En effet, par rapport à ce Premier principe tout-puissant, souverainement sage et souverainement bon, à l’égard de cette source éternelle, de cette lumière et de cette plénitude, à l’égard, dis-je, de la Cause efficiente, exemplaire et finale, toutes les créatures sont comme une ombre, un écho et une image; elles sont des vestiges, des symboles et des représentations qui nous sont offerts pour nous élever à la contuition de Dieu, en tant que signes divins; ce sont, dis-je, des exemplaires ou plutôt des copies, à la portée de nos esprits encore grossiers et sensuels, et destinés à les faire passer de l’univers sensible, qu’ils voient, au monde intelligible, qu’ils ne voient pas, comme on passe du signe au signifié » [6].

Nous avons évoqué plus haut l’opposition de l’école thomiste à la « double illumination » que reconnaît l’école de saint Bonaventure. Il n’est pas possible de trancher un débat qui dure depuis plusieurs siècles; ce serait même chose téméraire que d’essayer. Retenons seulement le rôle éminent que joue l’intellect dans la connaissance, et la possibilité reconnue à l’homme d’acquérir l’évidence métaphysique par une intuition intellectuelle qui dépasse les limites de son individualité. C’est ce que nient pratiquement toutes les philosophies modernes [7].


Ver online : François Chenique


[1E. GILSON, La philosophie de saint Bonaventure, conclusion. Voir également J.G. BOUGEROL, Saint Bonaventure et la sagesse chrétienne, auquel nous empruntons plusieurs passages, et l’introduction à l’Itinéraire de l’esprit vers Dieu de saint Bonaventure dans la traduction de H. Duméry.

[2Formule de saint Augustin « causa essendi, ratio intelligendi, ordo vivendi » — De Civ. Dei, VIII, 4 - reprise dans l’Itinerarium, I, 14.

[3J.G. BOUGEROL, (o.c). p. 81.

[4S. BONAVENTURE, quest. disp. de Scient a Christi, q. 4 - trad. Bougerol, o.c, p. 88.

[5Ce n’est donc pas une «intuition» de Dieu au sens « ontologiste » du mot, c’est-à-dire de façon directe. Voir la note de H. Duméry à ce sujet dans la traduction de L’Itinerarium, (o.c), p. 57.

[6Itinerarium, II, 11, trad. H. Duméry.

[7Le débat entre les «thomistes» et les partisans d’autres formes de la « métalangue philosophique » dure depuis plusieurs siècles. Il ne faut cependant pas durcir les oppositions ni, par vanité d’école, rendre inconciliables des positions qui sont plutôt des « points de vue » sur une même et unique vérité :

« Connaissons-nous la vérité dans la lumière de notre intellect propre, ou la connaissons-nous dans une lumière divine ajoutée à celle de l’intellect ? Le moyen âge a connu d’interminables controverses sur ce point et, bien entendu, Thomas d’Aquin a pris position sur la question. Il estime que l’homme connaît la vérité, même les vérités éternelles, dans la lumière de son propre intellect agent, mais quand on lui objecte que saint Augustin exige une intervention de la lumière divine, Thomas répond qu’il n’y a pas grande différence entre dire que nous connaissons le vrai dans la lumière divine, ou dire que nous le connaissons dans celle de notre propre intellect qui est en nous la marque laissée par Dieu sur sa créature. En dernière analyse, c’est toujours dans la lumière divine que l’homme connaît la vérité. La différence philosophique qui sépare les deux thèses perd beaucoup de son importance lorsqu’elle est vue du haut de la sagesse théologique ». E. GILSON, Les tribulations de Sophie, p. 40.