Página inicial > Chenique, François > Chenique (BA-21-29) – metafísica
Chenique (BA-21-29) – metafísica
quarta-feira 5 de outubro de 2022
Origine du mot
Ta meta ta physica est le nom donné à l’ouvrage d’Aristote que nous appelons aujourd’hui la Métaphysique parce qu’il faisait suite à la Physique dans la collection des œuvres d’Aristote recueillie par Andronicos de Rhodes au 1er siècle av. J.-C. Sous cette forme, l’expression date au plus tard du 1er siècle de l’ère chrétienne mais Metaphysica en un seul mot date seulement du Moyen Age [1]
Pour les Anciens, la physique englobait ce que nous appellerions aujourd’hui « les sciences de la nature ». D’ailleurs les deux mots de « physique » et de « nature » impliquent l’idée de « devenir », de « production » [2]. La métaphysique traite donc de ce qui est « après », ou « au-delà » de la nature. Que le mot ait été appliqué à certains ouvrages d’Aristote faute d’en trouver un autre, ou qu’il ait été choisi en raison de la signification que nous avons dégagée, peu importe en définitive. Nous garderons ce mot, malgré les attaques et les déformations qu’il a subies par la suite, à cause de sa parfaite convenance au sujet. Etymologiquement en effet, la métaphysique est l’étude et la connaissance de ce qui est au-delà du temps, de la production et du changement. Le domaine de la métaphysique est donc celui des principes premiers qui sont d’ordre universel.
Ajoutons tout de suite qu’il ne s’agit pas de principes purement logiques, qui seraient en quelque sorte du domaine de la seule raison, mais de principes à la fois « logiques » et « ontologiques » [3], qu’on pourrait encore désigner sous le nom d’« archétypes », c’est-à-dire de réalités se situant à un niveau qui dépasse la nature et la raison; ce sont proprement les « Idées » de Platon , sans qu’il faille cependant y voir quelque chose d’analogue à l’idéalisme des philosophes contemporains.
Méthaphysique et philosophie scolastique
Saint Thomas d’Aquin a commenté la Métaphysique d’Aristote; c’est grâce à Saint Thomas que la philosophie aristotélicienne a été peu à peu admise comme système de base dans l’Occident chrétien, au point qu’il est courant aujourd’hui d’identifier aristotélisme (ou péripatétisme) et philosophie scolastique.
Le débat sur l’être comme tel et sur ses propriétés est vraiment au centre de la métaphysique d’Aristote, mais on découvre à la lecture de l’ouvrage trois conceptions de la métaphysique que saint Thomas met en relief dans l’introduction à son commentaire [4] :
1. La métaphysique apparaît comme la « science des causes premières et des principes premiers »; ceci la rattache à la notion de science, connaissance par les causes, mais la distingue des autres sciences qui ne traitent que des causes secondes. Le nom de « Philosophie première » convient donc bien à la métaphysique.
2. La métaphysique est également « la science de l’être en tant qu’être »; elle a donc l’objet le plus universel qui soit car les autres sciences considèrent seulement des domaines particuliers de l’être. Cette définition s’impose à partir du livre Gama de la Métaphysique au point de devenir la définition de la métaphysique dans le système d’Aristote.
3. La métaphysique peut enfin être définie comme « la science de ce qui est immobile et séparé ». Elle est distincte sur ce point de la physique et la plus éminente des « substances séparées » étant Dieu, la métaphysique peut à bon droit être appelée « théologie ».
Pour saint Thomas d’Aquin, la métaphysique est donc :
1. la science des causes premières et des principes premiers, c’est-à-dire une sagesse,
2. la science de l’être en tant qu’être,
3. la science de ce qui est séparé de la matière.
De là découlent les prérogatives de la métaphysique:
1. C’est une science spéculative, c’est-à-dire une science où le savoir est recherché pour lui-même et non en vue d’une action pratique. Une telle science mérite le nom de sagesse ou philosophie.
2. La métaphysique est une science libre car toutes les autres sciences lui sont ordonnées comme à leur fin. Elle seule, ayant pour objet les causes les plus élevées, n’est pas subordonnée aux autres sciences.
3. La métaphysique n’est pas une science humaine. Citons le commentaire de saint Thomas sur ce point: « Tout d’abord Aristote prouve ainsi sa thèse: Une science qui atteint au plus haut degré de liberté ne peut être considérée comme la possession d’une nature qui, de multiples manières, est « ministre » ou servante; or la nature humaine « en beaucoup », c’est-à-dire par rapport à beaucoup de choses, est « ministre »; donc la science dont il est question n’est pas possession humaine» [5].
4. La métaphysique est la plus noble de toutes les sciences. En effet elle est « divine » au plus haut degré, et ceci pour deux raisons: d’une part parce qu’elle a Dieu pour objet et d’autre part parce qu’elle est la science que Dieu possède; Dieu la possède au plus haut degré (maxime), et les hommes la partagent à leur mesure comme quelque chose d’emprunté à Dieu (sicut aliquid ab eo mutuatum) (Ibid., n° 64).
Revenons sur la métaphysique conçue comme sagesse. Le Père Gardeil dit qu’il peut y avoir dans l’esprit humain trois sagesses distinctes et hiérarchiquement ordonnées [6] :
1. La sagesse infuse, don du Saint-Esprit: cette sagesse « non humaine » permet à l’homme d’atteindre Dieu en lui-même selon un mode non humain.
2. La sagesse théologique qui est fondée sur la Révélation mais dont le mode d’exercice est essentiellement rationnel.
3. La métaphysique, sagesse purement humaine, qui n’a d’autre lumière que la raison naturelle ; elle prétend aussi atteindre Dieu, principe suprême des choses, mais à titre de « cause » et non plus à titre d’« objet » directement appréhendé.
Notons au passage la contradiction entre cette dernière affirmation et celle commune à saint Thomas et à Aristote, selon laquelle « la métaphysique n’est pas une science humaine ». Cependant le Père Gardeil écrit plus loin : « Pour un homme, être sage est donc tout au fond participer selon les divers modes progressifs que nous venons de définir, à la vue même de Dieu sur le monde. Loin de s’opposer, les trois sagesses du chrétien s’harmonisent et se perfectionnent mutuellement ».
Nous pensons que le Père Gardeil veut dire par là que la sagesse ne doit pas seulement être le fruit du raisonnement humain, mais s’appuyer sur la Révélation. D’autre part cette sagesse, même conçue en mode religieux et en termes de foi, doit s’épanouir sous l’influence des dons du Saint-Esprit jusqu’à la contemplation de l’éternelle Vérité. Autrement dit, il n’y a sagesse véritable que si le stade théorique ou spéculatif est dépassé et si la sagesse atteint en quelque manière son objet.
C’est cette « sagesse intégrale » que nous appelons métaphysique. Il ne peut y avoir séparation totale entre l’étude théorique et la réalisation spirituelle; si un stade préliminaire d’étude et de spéculation est nécessaire, il ne peut être question de limiter la métaphysique à ce stade, sous peine de la frapper de stérilité.
C’est d’ailleurs, à notre sens, le « rabaissement » de la métaphysique à une science purement humaine et rationnelle d’une part, et la « limitation » de son objet à la « cause première » d’autre part, qui ont provoqué la décadence de la métaphysique dans la philosophie occidentale.
Avant d’aborder ce point, insistons à nouveau sur l’estime que saint Thomas d’Aquin et son école ont porté à la métaphysique comme science de l’Universel. Quels que soient les « durcissements » subis par la scolastique dans les siècles suivants, une étude de la métaphysique ne peut commencer par un rejet pur et simple de la scolastique.
Métaphysique et systèmes philosophiques
L’indéfinité des systèmes philosophiques élaborés par les philosophes de l’époque moderne laisse penser que ces systèmes opposés et souvent contradictoires n’ont rien de commun avec la métaphysique en dépit de l’usage, voire de l’abus, qui a pu être fait de ce mot.
Le mode de pensée qu’on appelle proprement philosophique ne remonte pas au-delà du Vlème siècle av. J.-C. et ne s’est guère développé qu’en Occident. Ceci montre qu’il n’a rien de nécessaire ou d’universel, contrairement à ce que pensent les philosophes modernes. La philosophie est un mode de pensée strictement rationnel: n’utilisant que la raison, organe individuel de la pensée, elle se limite forcément à l’individu et ne peut atteindre la véritable connaissance qui est d’ordre supra-individuel et universel.
La raison laissée à elle-même ne peut que tourner indéfiniment dans des pétitions de principe et s’épuiser à bâtir des « systèmes » de plus en plus limités et incohérents, jusqu’à se renier elle-même. Certes les conséquences du « point de vue philosophique » dans la recherche de la vérité ne sont apparues que peu à peu. Le germe de la décadence existait déjà dans le système issu d’Aristote [7], ce qui justifiait le rejet total du point de vue philosophique par saint Paul [8].
C’est surtout à partir de Descartes que la philosophie, une fois rejetée la lumière de la Révélation, est en quelque sorte livrée à elle-même et apparaît sous son vrai jour. Le rationalisme ne connaît que la raison et il estime qu’une bonne « méthode » est la condition suffisante pour atteindre la vérité. Que le rationalisme admette encore la Révélation, comme Descartes, ou qu’il la rejette, son attitude pratique reste la même; la raison le porte vers l’étude de ce qui est concret, de ce qui tombe sous les sens, en un mot vers l’étude de la « physique » proprement dite. Le rationaliste ne sait plus ce qu’est la métaphysique, ou bien il la déclare inutile, ce qui revient au même. Parfois il bâtit un système qu’il appelle « métaphysique », mais qui n’a plus rien de commun avec ce que nous avons décrit plus haut.
L’empirisme succède au rationalisme. Las de voir la raison ne rien trouver de définitif dans l’ordre des principes, l’homme ne se fie qu’à l’expérience et il apprend d’elle que beaucoup de choses sont relatives. De là à se proclamer « relativiste » ou « agnostique » il n’y a qu’un pas. Si l’Absolu existe, il est inconnaissable; la raison n’atteint que le relatif à travers les sens. C’est en quelque sorte la négation de la raison elle-même.
Pour Kant , la métaphysique est l’ensemble des connaissances qui se tirent de la Raison seule, c’est-à-dire de la faculté de connaître a priori par concepts, sans faire appel aux données de l’expérience, ni aux intuitions de temps et d’espace. La Raison pratique nous garantit la réalité du « noumène » (au-delà du phénomène) mais sans nous en donner l’intuition. Il ne reste pas d’autre voie possible, dit Kant, que d’attribuer au « phénomène » seul l’existence d’une chose, en tant qu’elle est déterminée dans le temps (et par conséquent aussi la causalité suivant les lois de la nécessité naturelle) et d’attribuer la liberté à ce même être en tant que chose en soi [9].
Nous sommes loin de la métaphysique de saint Thomas, mais nous recevons là l’aveu le plus sincère et le plus clair de l’impossibilité pour la raison humaine livrée à ses seules forces d’élaborer une métaphysique.
La philosophie moderne a substitué les « théories de la connaissance » à la connaissance elle-même. C’est encore en quelque sorte un aveu d’impuissance, comme des aveugles de naissance qui voudraient disserter de la lumière. Ces théories de la connaissance sont parfois appelées « métaphysique »; mais elles lui sont au contraire totalement étrangères. Pour la métaphysique, il n’y a pas de « théorie de la connaissance »: il y a la connaissance absolue, immuable, principielle qu’il s’agit d’atteindre — mais évidemment pas par la raison seule.
Ver online : François Chenique
[1] A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de ta philosophie, article « Métaphysique ». Ta meta ta physika « après la physique » faisait suite à la physike akroasis ou « physique » dans la collection d’Andronicos de Rhodes. Au Moyen Age, le terme Metaphysica a été appliqué à la sophia (Sagesse) ou philosophia prote (Philosophie première, Métaph., A, 2, 982 a 4 et suiv.) d’Aristote qui a pour objet to on he on (l’être en tant qu’être, Métaph., Gama 1, 1003 a 21 ; E, 1, 1026 a 31) et qui est définie par lui he ton proton arkhon kai aition theoretike (la science qui spécule sur les principes premiers et les causes premières) ; ces causes sont principalement le tagathon (le Bien) et le to ou eneka (le Pourquoi ou cause finale, Métaph., A, 1, 982 b 9-10).
[2] phion signifie « produire », « faire naître » ; cf. nascor, natus, natura.
[3] Il convient de préciser que tout système de logique s’appuie inévitablement sur une « métalogique » qui lui sert de fondement. Autrement dit, s’il y a des « lois » à l’intérieur d’un calcul logique, il y a des « règles » qui dominent ce système, et, à la limite, la métalogique est une expression de la métaphysique. Nous avons insisté sur ce point dans nos trois ouvrages de logique en cours d’édition chez Dunod : Logique classique, Logique moderne, Logique mathématique ; voir plus particulièrement Logique classique, chap. XVI.
[4] sur la métaphysique de saint Thomas d’Aquin, voir l’excellent ouvrage de H.D. GARDEIL, Initiation à la philosophie de saint Thomas d’Aquin. Le volume IV est consacré à la métaphysique et donne de bonnes traductions de textes que nous citons dans ce chapitre.
[5] S. THOMAS, Comm. in Métaph., I, lect 3, n° 60
[6] GARDEIL, (o.c), vol. IV, Métaphysique, pp. 1347
[7] Sur ce point voir G. VALLIN, La perspective métaphysique, pp. 35 ss.
[8] Voir le chapitre II de la première épitre aux Corinthiens
[9] Voir A. LALANDE, Vocabulaire de la philosophie. Articles « Métaphysique » et « Noumène ». La citation de Kant (Critique de la Raison pratique) est donnée dans ce dernier article. Nous ne prétendons pas épuiser le problème du kantisme par ce bref passage, mais seulement le situer dans la perspective où nous nous plaçons.