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âme

quinta-feira 25 de janeiro de 2024

  

Âme (psukhê / ψυχή)

* La nature de l’âme est d’être principe (arkhê) de mouvement. Éternellement mobile, et de ce fait immortelle, elle est aussi la cause première de tous les mouvements (Phè., 245c-246a) : des mouvements physiques, qu’il s’agisse de ceux des éléments ou de ceux, volontaires, des êtres vivants ; et des mouvements proprement psychiques que sont la sensation et la réflexion (l’intellection). Cette primauté naturelle de l’âme la rend toutefois difficile à connaître : de cette réalité intermédiaire entre le sensible et l’intelligible, on ne peut guère donner qu’une représentation.

** Comme cause du mouvement et sujet de la connaissance, l’âme exerce un certain nombre de fonctions. Dès lors qu’elle est incarnée, l’âme doit en effet animer le corps auquel elle est liée : elle doit le mouvoir et le connaître, c’est-à-dire le gouverner. Le dualisme platonicien n’implique pas une hétérogénéité et une séparation des fonctions corporelles et psychiques, mais au contraire leur complémentarité ; l’âme permet l’animation du vivant, c’est-à-dire la conservation et le développement du corps auquel elle donne vie.

La question qui se pose est alors de savoir comment ce mouvement automoteur qu’est l’âme peut mouvoir une réalité sensible changeante et emportée, du fait de sa constitution, par des mouvements différents, non exclusivement circulaires (on en trouve notamment la liste en Loi., X, 893b-894a). Si le schéma en est le même (l’âme doit gouverner le corps), les réponses varient selon les corps qui sont ainsi animés. On devra d’abord reconnaître, comme le fait Platon   sans doute à partir de la Rép.  , que tout ce qui est vivant et mû dans l’univers est d’une manière ou d’une autre animé. On dira donc que tous les vivants, des végétaux aux dieux que sont les astres, ont une âme, puis que le monde lui-même dans son ensemble en a une. Et l’on expliquera ensuite, selon le corps animé, comment l’âme parvient ou non à exercer sa double fonction motrice et cognitive (Phè., 245c-249d ; Tim., 34a-40d, puis 69a-73b).

Le corps est un ensemble complexe d’éléments sensibles dont la configuration et les différents mouvements ne sont pas circulaires. Au contraire, l’âme qui est parfaite n’accomplit que le mouvement circulaire, celui qui est toujours identique à soi. Comment donc concevoir la direction d’un ensemble sensible pluriel, mû de différentes façons, par un mouvement circulaire incorporel ? La solution platonicienne de cette difficulté, dont les répercussions sont aussi bien physiques que psychologiques, consiste à introduire en l’âme une certaine forme de pluralité fonctionnelle, en soutenant que l’âme, selon qu’elle perçoit ou meut des choses sensibles ou des formes intelligibles, ne se comporte pas de la même manière, n’est pas également affectée. Dans la mesure où ce mouvement circulaire s’effectue sans obstacle, l’âme dirige sans heurt aucun le corps qu’elle connaît et enveloppe dans une éternelle révolution (ainsi du monde et, dans une moindre mesure, des astres). Lorsqu’elle est incarnée dans les corps des vivants terrestres, l’âme est entravée, notamment parce que les corps des vivants terrestres ne sont ni isolés les uns des autres (ils se heurtent) ni suffisants (ils ont des besoins, doivent respirer, se nourrir, se reproduire). L’âme doit alors exercer sa double fonction compte tenu de cette nécessité. Elle doit d’abord exercer une fonction sensitive, afin de percevoir les impressions qui affectent le corps, et ensuite une fonction directrice, afin d’ordonner les mouvements de ce corps, d’en gouverner la conduite.

Du fait de l’importance des besoins corporels et des pathologies qui les accompagnent, l’âme n’a pas spontanément la maîtrise du corps. Elle ne l’a même parfois jamais, comme c’est le cas de la plupart des vies animales, lors desquelles l’âme ne peut exercer sa fonction intellective, mais qu’elle doit se contenter d’assurer la conservation de l’organisme. En l’homme, qui du coup se trouve placé dans une situation intermédiaire entre la vie divine et la vie animale, l’âme peut exercer conjointement ses différentes fonctions. Celles qui sont mortelles (les fonctions désirantes et directrices ne s’exerceront plus une fois le corps disparu, elles sont donc dites « mortelles »), et celle qui est immortelle (l’intellection). On le voit, ces précisions progressives des dialogues sur la réalité psychique ne renoncent jamais à l’unité de l’âme comme principe de mouvement et sujet de connaissance, mais se contentent de spécifier les fonctions et les moyens qui sont les siens afin d’effectuer sa double fonction. Platon n’imagine semble-t-il aucune sorte de partition de l’âme. C’est ce que montre assez clairement le chapitre proprement psychologique des dialogues, dont l’objet est de définir la nature humaine de telle façon qu’on puisse rendre compte des conduites et des différents modes de vie, en expliquant comment les unes et les autres résultent d’une certaine disposition relative des différentes fonctions psychiques. Et c’est ce que montrent à leur tour les récits eschatologiques qui décrivent le jugement des âmes humaines une fois le corps disparu (notamment en Gor., 523a-527e ; Phé., 107d-114d ; Rép., X, 613e-621d).

*** L’originalité de la « psychologie » platonicienne consiste sans doute dans sa surprenante économie : définie simplement comme principe du mouvement, inaccessible à l’explication mais seulement représentée par des mythes eschatologiques ou cosmologiques, elle est pourtant le sujet et le principe communs aussi bien de la physique, que de la théorie de la connaissance et de la psychologie proprement dite, c’est-à-dire de l’anthropologie. Elle est ainsi la clef de voûte d’une doctrine qui a fait l’hypothèse d’une distinction entre le sensible et l’intelligible, et qui se devait de concevoir cette réalité intermédiaire aux deux genres afin de justifier leur communication. [Luc Brisson   et Jean-François Pradeau  ]