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Berdiaeff (DEDH:98-101) – sofrimento no budismo, estoicismo e cristianismo
quarta-feira 19 de outubro de 2022
Le bouddhisme, le stoïcisme et le christianisme contiennent les réponses les plus intéressantes de l’humanité à la question de la souffrance. Ces trois réponses gardent encore toute leur force de nos jours. Une lutte stoïque contre la souffrance peut être observée même chez ceux qui n’ont jamais entendu parler des Stoïciens. Le bouddhisme et le stoïcisme ne veulent pas consentir à la souffrance, ils veulent s’en éloigner et trouver un soulagement en se détournant, d’elle. Le christianisme accepte la souffrance, se charge de la croix et cherche la délivrance et le salut dans la patiente résignation à la souffrance. Le bouddhisme n’accepte pas le monde, il veut vaincre les désirs qui nous attachent au monde et atteindre, le Nirvana , qui, contrairement à ce que pensent les Occidentaux, n’est pas le non-être, mais se trouve au delà de l’être et du non-être, n’est ni existence ni non-existence. Zen, qui est le bouddhisme japonais, interprète la doctrine de Bouddha comme étant non une négation de la volonté, mais comme une transfiguration, c’est-à-dire, avant tout, comme une victoire sur l’égocentrisme [1]. On peut qualifier cette doctrine de modernisme. Le bouddhisme présente de grands avantages sur le brahmanisme : il implique la pitié, la conscience du mal qui règne dans le monde; il se distingue, en outre, par l’absence de tout ritualisme et de cet orgueil qui est le trait insupportable des brahmanes. Mais le bouddhisme s’isole de la vie humaine et de celle du monde, il ne veut pas que l’homme accepte le fardeau de la vie et se charge de sa croix. Le stoïcisme accepte le monde et veut réaliser un accord entre la vie de l’homme et les lois de la raison cosmique. Mais il prétend que la délivrance intérieure de la souffrance doit être obtenue par un changement d’attitude à l’égard de tout ce qui émane du monde et peut lui infliger des souffrances : autrement dit, l’attitude qu’il recommande est celle de l’apathie. Ni le bouddhisme ni le stoïcisme ne se proposent de transformer le monde, de le changer : ils prennent le monde tel qu’il est, avec toutes ses souffrances, et veulent lutter contre les souffrances,, en changeant l’attitude de l’homme à l’égard du monde : en adoptant une attitude soit de négation, soit d’indifférence. La morale stoïque est une morale noble, mais l’apathie stoïque est une attitude de décadence, une attitude exclusive de tout élan créateur. On retrouve des éléments stoïques et bouddhiques jusque dans notre morale chrétienne, pourtant différente, et dans notre attitude à l’égard de la souffrance. Le Christ nous enseigne qu’il faut supporter la croix de la vie. Cela signifie-t-il qu’il faille augmenter les souffrances et les rechercher? Il va sans dire que tel ne saurait être le sens du port de la croix. Le port de la croix qui nous est échue équivaut à la transfiguration. Ce qui veut dire qu’une souffrance transfigurée est plus facile à supporter, moins douloureuse qu’une souffrance obscure, non transfigurée. Dans la vie religieuse, le sadisme et le masochisme jouent un rôle qui est loin d’être négligeable, et c’est ce qui complique l’histoire du christianisme. Le Christ a fait de la souffrance le chemin du salut. La vérité est crucifiée dans le monde. Le seul Juste est mort sur la Croix. Mais on aurait tort d’en conclure qu’il faille rechercher la souffrance, s’infliger des tortures, ou qu’il faille faire souffrir les autres pour assurer leur salut. Or nombreux sont les chrétiens sincèrement croyants qui, en raison même de leur foi et au nom de celle-ci, se sont montrés cruels. C’est cette conception de la souffrance comme moyen de salut qui a donné naissance à l’inquisition, engendré les tortures, la justification de la peine de mort et la cruauté des châtiments. Saint Dominique fut un inquisiteur cruel. Sainte Thérèse traitait les aliénés avec beaucoup de cruauté. Joseph Volotskoï était très cruel et exigeait que les hérétiques fussent torturés et mis à mort. Théophane l’Ermite prêchait une politique toute de cruauté. Les chrétiens recherchaient les souffrances, les douleurs, les maladies, se livraient à l’auto-mutilation et torturaient les autres. Ceci était l’effet d’une perversion du sentiment du péché et de la peur. Chez les inquisiteurs, le sadisme n’était pas toujours exclusif d’une bonté personnelle. Cette terrible et ténébreuse perversion reposait sur la supposition que la souffrance de l’homme est voulue de Dieu , lui est agréable, ce qui équivalait à attribuer des sentiments sadiques à Dieu. Les âmes chrétiennes de jadis ressentaient la souffrance avec moins d’acuité que les âmes des chrétiens de nos jours, tandis que le sentiment du péché était chez eux plus fort que de nos jours, et c’est pourquoi ils étaient moins sensibles aux souffrances. Mais la vie humaine ne dépend pas seulement de la nécessité, elle dépend aussi du hasard qui est inexplicable, de ce qu’on appelle de malheureux concours de circonstances. Le problème qui se pose à l’homme ne consiste pas à expliquer par des péchés les souffrances de sa vie, les absurdes accidents et l’oppressante nécessité, et à voir un châtiment dans tout ce qui lui arrive de malheureux. On se trouve devant un problème plus élevé, devant le problème spirituel qui consiste à porter dignement la croix, à supporter dignement les souffrances, à transformer l’obscure souffrance ayant pour terme la perte de l’homme en une souffrance transfigurée qui est le chemin du salut.
Ver online : Nicolas Berdiaeff
[1] Cf. De la Vallée Poussin : Nirvana; voir aussi lé livre du Japonais Suzuki : Essais sur le bouddhisme Zen.