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Hulin (PEPIC:25-31) – atman - ponto
sábado 30 de julho de 2022
On aura à revenir sur cette interprétation des phases du sommeil dont la simplicité et l’évidence apparentes sont trompeuses. Mais le résultat même auquel elle aboutit en fait est bien différent de ce à quoi on devrait « logiquement » s’attendre. Cette réflexion sur le rêve et le sommeil profond, si on la sépare de son contexte historique, semble devoir déboucher tôt ou tard sur la reconnaissance d’une sorte de sujet transcendantal pur, étranger au monde. En réalité, les valeurs traditionnelles du terme atman — qu’elles appartiennent au registre du rituel ou à celui de la « cosmophysiologie » — sont là qui retiennent les Upanishad d’aller trop loin dans cette direction et les contraignent, pour ainsi dire, à élaborer un schéma original. Ces acceptions moins abstraites, à commencer par celle de « corps » se rencontrent très fréquemment dans les Upanishad, et pas seulement dans les plus anciennes, où elles viennent interférer avec des significations plus élaborées. Elles sont notamment omniprésentes dans les premiers chapitres de la BAU [1]. Do cet amalgame résulte une structure originale qu’il s’agit maintenant de décrire.
L’atman, pour avoir désigné primitivement l’organisme comme totalité, garde toujours un point d’ancrage dans le corps, n’est jamais complètement « désincarné ». Aussi lui assigne-t-on comme siège ce lieu au centre du corps où semble s’opérer le contrôle de tous les processus vitaux, «cet espace à l’intérieur du cœur» [2]. Çà et là on en fait un purusha , un homuncule, logé dans l’homme et le régissant de l’intérieur : il a la taille « d’un grain de riz ou d’orge » ou celle du pouce. De même, certains textes montrent ce purusha s’échappant du corps par l’œil ou le sommet du crâne ou encore par les « veines » — nadi — qui, vers l’intérieur, convergent dans le cœur et, vers l’extérieur, sont comme branchées sur les rayons solaires. Les phases du sommeil et de la veille sont volontiers interprétées comme des changements de résidence de cet homuncule : l’espace à l’intérieur du cœur (dans le sommeil profond), le corps tout entier, l’espace extérieur. Mais la représentation est flottante et la correspondance entre ces résidences et les états de conscience mal fixée. L’existence même de ces flottements montre que l’idée d’une localisation rigide de l’atman — qui implique son absence « ailleurs » — est ressentie comme peu satisfaisante.
De toute évidence, on s’achemine vers l’idée que l’emplacement occupé par l’atman est nécessairement ponctuel et, plus tard, certains commentateurs, comme Madhva, s’appuieront sur ces textes pour prétendre que les Upanishad ont enseigné l’atomicité de l’atman, ou plutôt de l’âme individuelle — jivanutva —. Mais il est non moins évident que l’atman, capable dans le sommeil profond de résorber l’univers, ne saurait occuper un point quelconque dans l’espace [3]. Son lieu d’insertion, l’espace du cœur, est un point mystique, un « aleph » qui n’est pas réellement contenu dans l’univers mais, au contraire, enferme l’univers : «Ceci est mon atman à l’intérieur du cœur, plus petit qu’un grain de riz, qu’un grain d’orge, qu’un grain de moutarde, qu’un grain de mil, que le noyau d’un grain de mil ; ceci est mon atman à l’intérieur du cœur, plus grand que la terre, que l’espace entre ciel et terre, que le ciel, que tous ces mondes ». Un autre passage de la Ch.U précise que l’espace à l’intérieur du cœur contient « tout ce qui se trouve en ce monde et tout ce qui ne s’y trouve pas », montrant qu’on ne perd pas de vue la transcendance de l’atman par rapport au monde.
Mais, comme ce point mystique est en même temps à l’intérieur du cœur et le cœur à l’intérieur du corps, il faut que le corps lui-même se situe au centre du monde visible, comme une première sphère que l’atman investit et régit pour investir et régir, par son intermédiaire, la grande sphère cosmique qui lui est concentrique. L’idée directrice est que l’atman s’épanche au dehors, rayonne autour de son « ici absolu », s’extériorise et se démultiplie en souilles, manas, etc., et c’est l’homuncule, le poucet ; il s’extériorise davantage, se développe en organes de sensation et d’action, et c’est le corps, l’« homme » au sens ordinaire ; il se dilate encore davantage, l’œil devenant le soleil , la nourriture, les eaux, etc., et c’est l’Homme Cosmique. Un passage de la Ch.U parle des « cinq orifices du cœur », c’est-à-dire des cinq directions selon lesquelles l’atman se déploie, qui apparaissent d’abord comme autant de souilles, puis comme autant de sens, enfin comme autant de forces cosmiques — devata — [4]. Une image classique est celle de la roue : l’atman est le « moyeu » d’où partent les « rayons », souilles, etc., qui aboutissent à la «jante», c’est-à-dire au corps ou au cosmos [5]. On constate alors une certaine tendance à inverser la hiérarchie traditionnelle du microcosme et du macrocosme : les propriétés de l’atman qui « dépassent » l’univers se manifestent dans le corps, car le corps est, en un sens, plus proche de l’atman : « Cette lumière qui brille au-delà du ciel, au-delà de l’univers, au-delà de tout, dans les mondes les plus hauts, dans les mondes suprêmes, est celle-là même qui brille dans l’homme ; elle est visible : on perçoit la chaleur du corps en le touchant ; elle est audible : si l’on se bouche les oreilles on perçoit quelque chose comme un bourdonnement, un mugissement, comme le ronflement du feu ».
Cœur du monde visible, centre de référence absolu dans l’espace [6], l’atman occupe la même situation privilégiée dans l’ordre de la durée. Ici encore la réflexion sur l’alternance des états de conscience a dû jouer un rôle décisif. De même qu’il a résorbé Punivers dans le sommeil profond, de même l’atman le projettera au réveil : « EL quand il s’éveille, comme d’un feu flambant les étincelles jaillissent dans toutes les directions, ainsi de cet atman les souffles jaillissent, chacun selon son domaine, des souilles les dieux, des dieux les mondes » [7]. L’atman est ainsi présent au monde, qu’il soutient dans l’existence par sa veille, mais n’est jamais réellement impliqué d.ins aucune séquence d’événements à l’intérieur du monde, puisque, grâce au sommeil, il est capable de nier toute situation. Cette transcendance par rapport au temps peut être exprimée négativement, en disant que l’atman est « exempt de naître, de vieillir et de mourir » ou positivement, en le comprenant comme la source éternelle du temps : « Celui à la suite duquel l’année déroule en jours le temps, les dieux le connaissent comme la lumière des lumières, comme la vie immortelle ». Ceci indique déjà que le « au commencement » des mythes cosmogoniques ne devra pas nécessairement être pris à la lettre.
Enfin, la propriété la plus singulière de ce point mystique au centre de l’espace et du temps semble bien être la suivante : rien n’a prise sur lui, il est indivisible , infrangible, étranger à toute forme de passivité. Intérieur à toute chose, il échappe à toute influence étrangère. Noyau absolument compact, il écarte toute idée de fission. C’est l’espace « plein et immuable » à l’intérieur du cœur dont parle la Ch.U [8]. Et puisque son extension infinie est — on l’a vu — comme un autre visage de sa « ponctualité », il est naturel que les mêmes valeurs de plénitude et de félicité se reportent à l’occasion sur cette extension. L’individu qui se considère comme identique à lui, «celui-là devient le Tout, et les dieux mêmes ne peuvent l’en empêcher car il est leur atman ». Coïncider avec l’atman, foyer de l’espace et du temps, c’est accéder à la toute-puissance et. notamment au prodige du temps réversible, du passé aboli : « Maintenant, ceux des siens qui sont en vie et ceux qui sont morts et tout ce qu’il désire mais n’obtient pas, il le trouve s’il se rend là-bas (dans l’espace du cœur) » [9]. Dans le même esprit la TU progresse à travers une série d’atman concentriques (faits de nourriture, de souille, de manas, de connaissance) vers le plus intérieur d’entre eux, celui qui est fait de félicité, le seul absolument réel.
L’ensemble des démarches examinées jusqu’ici ne s’écarte pas encore de manière décisive de l’optimisme naturaliste caractéristique des Brahmana. S’il l’a substitution de la gnose au sacrifice c’est en ce sens qu’un certain regard sur la structure et le fonctionnement de l’individualité psycho -biologique permet désormais de la comprendre comme sacrifice permanent et naturel [10]. D’autre part, ce changement de point de vue (« Celui qui sait ainsi... ») semble rendre superflues non seulement les manipulations rituelles extérieures mais aussi bien l’ensemble des pratiques ascétiques et toutes les modalités du « renoncement » [11]. Si l’individualité prise telle quelle, à l’état brut, peut être d’emblée identifiée au brahman il ne sert plus à rien de la « préparer » rituellement ou de la purifier par l’ascèse en vue de cette identification. En même temps, le schéma concentrique décrit plus haut semble bien impliquer que l’individuation est simple apparence et l’atman l’unique réalité. Les organismes sont extérieurs les uns aux autres et l’emplacement de « l’espace du cœur » différent pour chacun. Comment l’univers pourrait-il alors se disposer concentriquement autour d’une multiplicité de centres distincts? Le foisonnement cosmique serait donc une apparence propre à l’état de veille, ébranlée dans le rêve et périodiquement abolie dans le sommeil profond. Les individus seraient alors comme les rivières qui se perdent dans la mer ou comme les divers sucs des plantes qui se confondent pour produire un miel à la saveur unique. Leur différenciation est régulièrement attribuée au couple « nom et forme » dont la Ch.U précise qu’il est. lui-même produit par l’espace [12]. Cette dernière indication est révélatrice dans la mesure où elle invoque un principe de dispersion, de démultiplication qui, en tant que milieu inerte, ne compromet pas réellement l’unité de ce qui se déploie en lui. L’atman unique coexisterait ainsi, mais pacifiquement, avec un second principe, à demi réel, qui le ferait apparaître sous les espèces de la multiplicité. L’enfoncement dans la singularité n’est pas encore posé ici comme obstacle : l’ego es!, naturellement apte à se résorber dans le Soi qu’il peut rejoindre à tout moment en dévalant la pente du sommeil. L’individuation est une apparence translucide qui ne revêt pas encore l’aspect d’une illusion cosmique séductrice et funeste. Et pourtant la nécessité même d’une progression vers un noyau central, dont la félicité est faite d’absolue indivisibilité, implique l’existence d’une zone périphérique marquée par la pluralité et la souffrance [13]. Il nous faut donc maintenant nous tourner vers les textes qui méditent sur ce paradoxe de la « distance au centre » à la fois réelle et irréelle.
Ver online : EXCERTOS DA OBRA DE MICHEL HULIN
[1] Quelques exemples : I 2 1-7 ; I 3 7 ; I 4 7 (dans un mythe cosmogonique l’atman transcendant, « désirant être complet », se procure une épouse, des fils, des richesses, des rites, et aussi un atman, «car c’est par lui qu’on agit ». De même Il 1 13, II 3 4 (qui parle d’un « espace à l’intérieur de l’atman »), Il 5 14-15, III 2 13 (à la mort l’atman rejoint l’espace cosmique comme l’œil rejoint le soleil, le manas la lune, etc.), IV 3 35. Cf. aussi TU 1 7 où l’atman est placé sur le plan cosmique — adhibhutam — avec la terre, le vent, les eaux, les arbres, etc.
[2] On sait que la doctrine classique de la médecine indienne, l’ayurveda, place également dans le cœur le siège de la pensée — cetana —.
[3] D’après P. Mus (op. cit., passim), l’idée même d’un espace t isotrope », sans direction privilégiée, est étrangère à l’Inde et à l’Orient en général. L’espace l’est toujours compris comme déployé à partir d’un centre et « orienté ».
[4] Ch.U III 13 1-6. Ce schéma, qui dérive peut-être des cosmologies babyloniennes, se retrouve dans la représentation des cinq visages de Shiva qui « émettent » la doctrine shivaïte dans les cinq directions et sont, d’autre part, mis en rapport avec les cinq opérations du dieu.
[5] Pour bien saisir la portée de cette image il ne faut pas oublier : a) que la jante n’est pas d’une seule pièce mais formée par l’ajustement d’arcs cintrés et fixés sur les rayons (le corps est l’assemblage des organes, eux-mêmes « soutenus » par les souilles), b) que la roue est construite à partir du moyeu et non à partir de la jante. Principales références : BAU 1 5 15 et Il 5 15, Kau.U 3 9, Mu.U II 2 6, Pr.U 2 et 6 6. L’image, pour être parfaitement cohérente, devrait faire état de deux jantes intermédiaires traversées par les rayons-souflles et correspondant respectivement au poucet et au corps... mais il est naturel que l’intérêt se concentre, d’une part sur le « moyeu » d’autre part sur le double mouvement, centrifuge et centripète, qui se définit par rapport à lui.
[6] Cette expression n’implique pas que l’espace existe indépendamment de l’atman. C’est pourquoi Yajnavalkya répond à Gargi (BAU III 8 8) que l’espace sur la trame duquel sont tissés les mondes est lui-même tissé «sur la trame de l’impérissable», c’est-à-dire fondé sur l’atman.
[7] Kau.U 3 3, trad. L. Renou : deva, « dieu », a ici la valeur de devata (qui désigne toute force organique ou cosmique). Même idée BAU II 1 20. L’intervention du temps périodise le schéma concentrique, met en branle la roue cosmique. Déjà, dans les Brahmana, le visuvat ou jour équinoxial est présenté comme le moyeu immobile autour duquel l’Année sacrificielle accomplit sa révolution. On dit parfois qu’il est « l’atman de l’Année ». Celui qui parvient à s’installer magiquement en lui « s’échappe vers l’immortalité», cf. L. Siiburn (op. cit., pp. 71-74).
[8] Ch.U III 12 9, cf. I 28. Par un renversement, en apparence paradoxal, cette densité infinie est parfois décrite en termes de non-être, de vide. Ainsi, dans BAI 12 1-7, la Mort, identifiée explicitement au néant, apparaît à la fois comme le principe, cosmogonique et comme ce à quoi le sage vient s’identifier («la Mort devient son atman »). Comme le dit très bien J. M. Van Gelder (op. cil., p. 118) la Mort est alors « le vide à l’intérieur du moyeu de cette roue qu’est l’atman ».
[9] Ch.U VIII 3 2 Remarquons que l’atman n’est pas présenté comme une «compensation » — aussi prestigieuse soit-elle — mais comme recélant, entre autres choses, cela même qui a été perdu. Le sens de ce passage apparaît mieux si on le rapproche de BAU 1 4 8 et. II 4 5 (le «testament spirituel» de Yajnavalkya) qu’il éclaire en retour. Sans vouloir encore trancher entre les interprétations «cynique» et « spiritualiste » de ces divers passages, soulignons que leur intention à tous est, visiblement, de présenter l’atman comme la quintessence commune des biens finis, et non pas comme un Bien abstraitement supérieur qui imposerait un renoncement douloureux à tous les autres.
[10] Il ne s’agit évidemment pas ici d’une révolution soudaine et générale mais d’une évolution lente, hésitante, inégale à travers les divers milieux de brahmanes et de «sacrifiants». On trouvera dans J. C. Heesterman, Brahmin, Ritual and Renouncer, WZKSO VIII 1964, une tentative «sociologique» de reconstitution de cette évolution. On partirait, d’une «structure agonistique » du sacrifice où prêtres et sacrifiants cherchent à se décharger les uns sur les autres de leur « péché » — pâpman — pour aboutir à une individualisation du sacrifice (le sacrifice « pour soi-même ») qui, â son tour, déboucherait sur l’intériorisation du sacrifice. Des pratiques comme « l’oblation dans les souffles » (cf. Kau.U 2 5) et le « sacrifice mental » paraissent bien jalonner cette évolution. D’autre part, J. F. Staal, Advaita and Neoplatonism, pp. 70-77 insiste à juste titre sur le danger qu’il l’a à projeter sur l’époque védique, et sa conception du sacrifice, une opposition trop rigide, trop « moderne », entre intérieur et extérieur.
[11] Cf. les textes rassemblés par A. B. Keith (op. cit., p. 587 sq.). La position des Upanishad anciennes sur le problème de l’ascèse n’est pas dépourvue d’ambiguïté. D’un côté le lapas se présente toujours — au niveau des mythes cosmogoniques — comme ce qui procure à diverses entités le surcroit d’excellence qui leur permet d’engendrer une multiplicité. De l’autre, sa pratique régulière parait être l’apanage des étudiants brahmaniques — brahmacârin — résidant chez leur guru et constituer un simple élément de la discipline à eux imposée (cf. Ch.U II 23 1, IV 10 2-4, VIII 4 3, VIII 5 1-2, BAI VI 2 16). Il semblerait d’ailleurs — comme en témoigne AV XI 5 que la liaison entre lapas et. brahnxacarya soit très ancienne. En ce qui concerne le renoncement proprement dit, on remarque que les Upanishad anciennes, sans systématiser encore la théorie brahmanique ultérieure des quatre âérarna ou stades de vie, connaissent aussi bien la «retraite dans la forêt» que l’errance du mendiant religieux. Cependant, il est toujours très difficile de déterminer si les divers comportements du renoncement sont présentés comme des moyens de parvenir à la gnose ou, au contraire, comme une conséquence de celle-ci, ainsi dans BAU IV 1 22. La raison d’être d’une telle ambiguïté apparaîtra plus clairement dans la seconde partie de ce chapitre.
[12] Ch.U VIII 14 1 : en termes de métaphysique occidentale on pourrait parler ici d’« individuation par la matière ».
[13] Cf. BAU III 4 2 : · Tout ce qui n’est pas lui est voué à la souffrance ».