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Renouard (VC) – Voyageur chérubinique - le voyage
quinta-feira 24 de março de 2022
Il ne convient de s’arrêter nulle part. Le voyage est toujours à poursuivre. S’arrêter sur le chemin de Dieu , c’est reculer (I, 302 ; IV, 70). La synthèse en un seul homme des trois angélismes n’est pas un suffisant dépassement de chacun. Ce qui m’élève au-dessus du séraphin n’est pas d’être en même temps chérubin et trône ; c’est un passage au-delà, une ascension qui ne se termine pas. L’essence de l’homme ne se trouvera que dans une «sur-angélité » (Überengelheit., II, 44).
Une telle exigence de continuer tient à une faculté de métamorphose. Le repos spirituel qui change l’homme en trône, l’amour qui le change en séraphin, procèdent à une « sainte métamorphose» (IV, 144). Or, passer d’un état à un autre est avoir une puissance que n’ont pas ceux qui gardent toujours le même être. Ma prééminente noblesse, plus grande que celle des séraphins, c’est que je puis, moi, devenir ce qu’ils sont, alors qu’eux ne peuvent devenir ce que je suis (IV, 145). Je peux changer mon être à ma guise, car le changement est sa nature, à l’infini. L’incarnation est l’indice de la métamorphose. Le Christ , Dieu en l’homme, témoigne en l’homme d’une possibilité d’infini (IV, 147). Plus qu’ange, plus que chérubin, séraphin ou trône, je veux être appelé fils de Dieu (II, 236).
Pouvoir modifier sa forme, sans jamais qu’une nouvelle soit définitive, est n’en avoir nulle de fixe. Il revient à l’homme de se rendre sans forme, de perdre toute forme pour devenir semblable à Dieu (sich entbilden, II, 54). La métamorphose est la condition et la noblesse de l’humanité : « Ma suprême noblesse est que je peux sur terre être déjà un roi, un empereur, Dieu, tout ce que je veux» (IV, 146). Il faut vouloir la métamorphose: «Homme, tout se transforme ; et toi seul sans le moindre progrès tu resterais ce vieux bloc de chair ? [1] » (VI, 33) L’homme est en puissance de tout, de l’ange et du sur-ange, du meilleur et de l’au-delà du meilleur, mais du pire également. La capacité de métamorphose est merveille, liberté et risque. «L’homme seul est la plus grande merveille : il peut, selon son œuvre, être Dieu ou diable» (IV, 70).
Silesius ne redoute pas dans cette essence en puissance de tout, dans cette nature consistant à échapper à toute nature, les mêmes abîmes que Pascal , qui plaçait aussi la nature de l’homme dans une absence de nature, laissant entrevoir la confusion de cette nature avec l’anti-nature de la coutume, mais n’y reconnaissait que disproportion à ce qui nous entoure, monstruosité, non merveille. Ce monstre est vaine recherche d’une base et d’un sommet dans le monde, «rien ne fixe le fini entre les deux infinis, qui l’enferment et le fuient » (Pensées, édition Brunschvicg, n° 72) ; il ne trouve son repère, son point fixe, et son salut, que hors la nature, dans le Christ, mais sans jamais avoir part à une christomorphose, à une théomorphose comme celles dont Silesius nous réserve le pouvoir. Rien ne borne l’homme du Voyageur chérubinique ; la métamorphose lui donne accès à l’infini.
Ver online : ANGELUS SILESIUS
[1] Nietzsche, dans l’appel à une surhumanité, retrouve quelque chose de cette formule : «Tous les êtres jusqu’ici ont créé quelque chose allant au-delà d’eux: et vous voudriez être le jusant de cette grande marée et plutôt revenir à la bête que dépasser l’homme ? » (Ainsi parla Zarathoustra, Paris, Rivages-Poches, 2002, p. 33).