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Daumal (CC:235-239) – essência da poesia

segunda-feira 12 de setembro de 2022

      

(Sâhitya-darpana, Ire Section, suite :)

Quelle est donc la nature essentielle de la poésie? A cette question, quelqu’un a répondu : « C’est le son et le sens unis, sans fautes, doués de vertus, avec ou même parfois sans ornements. »

Cette définition est de Mammata. L’union du son (ou du vocable) et du sens est ce qu’on appelle le mot (pada). Les « vertus » (guna  ) seront définies plus loin; disons, très provisoirement, que ce sont les différents tons que peut prendre l’expression poétique. L’auteur discute point par point la définition proposée :

Cela demande réflexion. Si l’absence de fautes est nécessaire pour qu’il y ait poésie, alors il faudrait refuser cette qualité à [telle stance (de Bhâvabhuti), entachée d’une faute cataloguée mais qui pourtant], du fait de sa puissance de « résonance », appartient à la plus haute espèce de poésie (d’après la doctrine même de l’auteur critiqué).
 
Le terme de « résonance » (dhvani) doit être défini. Les mots ont trois « pouvoirs » de signification : sens littéral, sens dérivé ou figuré, et sens suggéré. Les deux premiers suffisent au langage ordinaire et aux discours didactiques. Mais c’est par une « suggestion », irréductible aux deux premiers « pouvoirs », que le sens du poème est transmis ; et c’est cette « suggestion » qu’on appelle aussi « résonance », ou encore « sens surabondant ».
 
On pourrait nous répliquer que c’est une partie seulement du poème qui est entachée d’une faute [...], ou encore que « sans fautes » signifie ici « avec très peu de fautes »; [ces objections assez futiles sont aisément réfutées : il faut bien que telle composition, prise dans son ensemble, soit poésie ou non-poésie. En outre, il y a des fautes absolues, qui détruisent toujours la qualité de poésie, et des fautes non absolues — telles que cacophonie, etc... — qui, lorsqu’elles ne portent pas atteinte à la « saveur » qui est l’essence du poème, ne sont plus des fautes (et peuvent même devenir des ornements)... Enfin, la présence ou l’absence de fautes ne peut définir la poésie], de même que, pour définir une perle  , on ne fera pas intervenir les défauts tels qu’une perforation de ver qu’elle peut présenter; ce sont là des accidents qui ne peuvent enlever à la perle sa perléité [...].
 
Il est également impropre d’introduire les « vertus » comme différence spécifique dans la définition. Car les « vertus » sont exclusivement des fonctions de la Saveur [...], comme l’héroïsme et autres vertus sont à l’âme.

On trouvera plus loin la définition de la « saveur », gustation consciente d’un sentiment objectif, qui est l’essence de la poésie.

[Il faut donc définir la poésie par la « Saveur », et non par les « vertus », qui en sont des propriétés. D’ailleurs,] la présence de sons et de sens qui manifestent les « vertus » en poésie n’est qu’une condition de son rehaussement; elle n’est pas un facteur de sa nature essentielle. Et il est dit : « De la poésie sons et sens sont le corps, la Saveur en est l’âme, les Vertus sont pareilles à l’héroïsme et autres (qualités de l’âme), les Fautes sont comme le fait d’être borgne, les Allures comme les différentes attitudes du corps, les Ornements comme les bracelets et boucles d’oreilles. »

On appelle « allures » (rîti, « manière de couler ») les types d’ordonnance stylistique qui constituent le rythme intérieur de l’expression poétique. « Styles », si l’on veut : mais le poète doit être capable de les manier tous. Les « ornements » correspondent à peu près à nos « figures de rhétorique ».

[Toutes les définitions de ce genre sont à rejeter pour la même raison : elles ne font qu’énumérer des accessoires, plus ou moins indispensables, de la poésie.] Et quant à ce que dit l’auteur du Dhvani, que « l’essence de la poésie est la Résonance », s’agit-il de cette « résonance » (au sens large du terme) qui est de trois espèces selon qu’elle suggère un fait matériel, un ornement ou une saveur, ou bien de celle seulement qui évoque la Saveur? Dans le premier cas, non! Car il faudrait alors inclure sous la définition les énigmes, etc... Dans le second cas, alors nous disons : amen  ! [...] Autrement la phrase « Théodore va au village » serait poétique, parce qu’elle comporte la suggestion du serviteur et des gens qui accompagnent (ce monsieur). Si l’on soutient que « oui, c’est de la poésie », alors non! Car la qualité de poésie ne peut être attribuée qu’à ce qui a saveur [...].
 
Aussi est-il dit dans l’Agni  -purâna : « Si grande que soit l’habileté en langage, c’est la saveur seule qui peut lui donner la vie. » [...] Et l’auteur du Dhvani dit encore : « Ce n’est pas en racontant simplement que “telle chose est arrivée” que le poète est poète, car les légendes et les contes font cela très bien. » [...] Si l’on tient à conserver le titre de poésie à des compositions sans saveur, du fait de la présence en elles de phonèmes manifestant des « vertus », de l’absence de fautes et de la présence d’ornements, il faut alors faire de cela une sorte inférieure de poésie [...].
 
Et quand Vâmana dit : « l’Allure est l’essence de la poésie », nous disons : non! Car l’allure (rîti) est une ordonnance stylistique particulière, c’est-à-dire (dans l’analogie corporelle décrite plus haut) quelque chose de comparable aux attitudes corporelles; et cela est tout à fait tranché de l’ « essence »!
 
L’auteur du Dhvani, enfin, dit : « Un sens approuvé par ceux qui ont un cœur est ce qui constitue l’essence de la poésie, et ses deux divisions sont dites : de sens littéral et de sens suggéré. » Cette définition est en contradiction avec les propres paroles de l’auteur, que la « Résonance (ou suggestion) est l’essence de la poésie »; elle est donc à rejeter.
 
Qu’est-ce donc, en fin de compte, que la poésie ?
 
3. La poésie est une parole dont l’essence est saveur.
 
Nous expliquerons ce qu’est la Saveur. La Saveur est « l’essence », au sens de la réalité substantielle, c’est-à-dire la vie même de la poésie; sans elle, il n’y a pas de poésie. « Saveur » (rasa  ), c’est, étymologiquement, ce qui « est savouré » (rasyate). Le terme inclut aussi les Saveurs-sentiments et les Saveurs-reflets [qu’on définira plus loin; ici des exemples sont donnés].
 
4. Les fautes sont ce qui la rabaisse.
 
Les fautes telles que cacophonie, mot superflu, etc., sont analogues aux infirmités telles que d’être borgne ou boiteux, qui affectent (la personne) par l’intermédiaire du corps : elles affectent (le poème) par l’intermédiaire des sons et des sens. Les fautes telles que nommer par son nom technique une manifestation d’un sentiment [au lieu de la suggérer par la puissance de « résonance » — c’est-à-dire le prosaïsme —] sont pareilles à la sottise, par exemple, qui affecte directement (la personne) : elles rabaissent la saveur qui est l’essence de la poésie [...].
 
5. Sont appelés « facteurs de son rehaussement » les Vertus, les Ornements et les Allures.
 
[L’analogie corporelle décrite plus haut montre comment ces facteurs « rehaussent » la saveur, donc la poésie.]

Ver online : René Daumal