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Descombes (2014:Anexos) – "eu" e "mim"

sexta-feira 12 de janeiro de 2024, por Cardoso de Castro

  

destaque

A primeira decisão é a de traduzir "das Ich" como "Eu" [Je] ou "eu" [Moi]. Balibar defende a escolha de Foucault  , que fala de possuir o Eu (maiúsculo!) na sua representação. De fato, escreve, "o poder de que Kant   fala aqui não é o de descrever um objeto (que é a própria pessoa), é o de assumir na primeira pessoa o que se diz sobre ele. A objeção a isto é que, em francês, a palavra utilizada para sublinhar que se está a assumir uma posição é precisamente "moi". O sujeito sublinha que a sua opinião é a sua, a que ele defende, dizendo por exemplo: "Moi, je pense ainsi" ("Eu, eu penso assim"). Além disso, é a palavra latina "ego" que é utilizada na proposição fundadora das filosofias do sujeito: ego cogito, ego sum. Como os comentadores de Descartes   bem assinalaram, a afirmação canônica "ego cogito" deve ser traduzida por "moi, je pense".

Em seguida, o tradutor deve decidir se coloca ou não aspas à volta desta palavra. Trata-se da palavra "Ich" ou do objeto assim designado? Como podemos ver, fazer esta pergunta é voltar à dificuldade anterior, uma vez que estamos agora a falar de um objeto chamado eu [moi]. Ao falar na primeira pessoa, o orador indica que está a falar de si próprio. Sim, mas como é que ele indica isso? Aqui, Balibar sublinha, com razão, o desconforto do filósofo quando tem de dizer a que é que a palavra "eu" é suposta referir-se: se a palavra "Ich" tem o sentido de indicar algo que o sujeito encontra na sua representação, então designa um Ich, nomeadamente "esse ’algo’ que não é uma coisa ["I, ME, SELF", op. cit. p. 646]". Qual é a função da palavra "Ich" na frase? É, escreve Balibar, "representar o irrepresentável que Ich nomeia para si próprio (für sich selbst)". Por outras palavras, a dificuldade mantém-se. O algo que não é uma coisa, o ser que não é representável como objeto e que é representado precisamente por não ser representável: todas estas circunlocuções apenas reproduzem o embaraço de ter de manter o pronome "eu" como uma espécie de nome próprio referente a um eu [moi]. Precisamos de algo para designar se quisermos manter que a palavra "eu" é referencial, mas parece que nada pode fazer o trabalho, que nenhum objeto pode ser identificado como aquilo que este nome designou. Chegados a este impasse, somos tentados a concluir que, se a palavra "eu" se apresenta como um nome, não deixa de ser um nome sem qualquer atribuição a um objeto qualquer: daí até à conclusão de que esta palavra não tem qualquer função na frase, de que é excedentária ["JE, MOI, SOI", op. cit. p. 646].

original

C’est une particularité de la langue française, comparée par exemple à l’allemand ou l’anglais, que d’avoir la possibilité de renforcer le pronom « je » par l’apposition d’un « moi ». Le français peut ainsi rendre par des formes distinctes les deux possibilités du latin : « amo », « ego amo » (« j’aime », « moi, j’aime ») [1].

Lorsque le philosophe veut procéder à une substantivation du pronom de la première personne, doit-il la faire porter sur « je » ou sur « moi » ? Dira-t-on « le je » ou dira-t-on « le moi » ? L’usage a longtemps été de dire « le moi ». Mais, depuis quelque temps, on rencontre dans la littérature philosophique de langue française un substantif « le je » là où l’on aurait trouvé autrefois « le moi ». Quel est l’enjeu de cette divergence ? Puisqu’il s’agit en réalité de savoir comment rendre dans nos langues modernes le mot latin « ego », il y a intérêt à aborder ce problème à partir des difficultés que peut rencontrer un traducteur.

Kant a écrit un texte remarquable, que l’on cite volontiers quand on traite de la première personne. Il écrit au § 1 de son Anthropologie :

Posséder le Je (das Ich) dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne […] [2].

Comme le fait remarquer Étienne Balibar [3], le traducteur (français) de ce texte doit prendre deux décisions, l’une sur la manière de rendre « das Ich » en français, l’autre sur le point de savoir s’il s’agit du mot ou de l’objet que ce mot est censé désigner.

D’abord, première décision, faut-il traduire « das Ich » par « le Je » ou par « le Moi » ? Balibar défend le choix de Foucault qui parle de posséder le Je (majuscule !) dans sa représentation. En effet, écrit-il, le pouvoir dont parle ici Kant n’est pas celui de décrire un objet (qui est sa propre personne), il est celui d’assumer à la première personne ce qu’on en dit. À cette raison, on peut objecter ceci : en français, le mot qui permet de souligner qu’on assume une position est justement « moi ». Le sujet souligne que son opinion est bien la sienne, celle qu’il soutient, en disant par exemple : « Moi, je pense ainsi. » Qui plus est, c’est bien le mot latin « ego » qui est utilisé dans la proposition fondatrice des philosophies du sujet : ego cogito, ego sum. Comme l’ont souligné avec raison les commentateurs de Descartes, il faut traduire l’énoncé canonique « ego cogito » par « moi, je pense [4] ».

Ensuite, seconde décision, le traducteur doit déterminer s’il mettra ou non les guillemets à ce mot. S’agit-il du mot « Ich » ou de l’objet ainsi désigné ? Comme on le voit, poser cette question, c’est retomber dans la difficulté précédente, puisqu’il est maintenant question d’un objet que l’on appelle le moi. Le locuteur qui parle à la première personne indique par là qu’il parle de lui-même. Oui, mais comment l’indique-t-il ? Ici, Balibar souligne avec raison l’inconfort du philosophe quand il doit dire à quoi le mot « je » est censé faire référence : si le mot « Ich » a pour sens d’indiquer quelque chose que le sujet trouve dans sa représentation, alors il désigne un Ich, à savoir « ce “quelque chose” qui n’est pas une chose [5] ». Quelle est en effet la fonction du mot « Ich » dans la phrase ? Elle est, écrit Balibar, de « représenter l’irreprésentable que nomme Ich pour soi-même (für sich selbst) ». C’est dire que la difficulté reste entière. Le quelque chose qui n’est pas une chose, l’être qui n’est pas représentable comme objet et qui est représenté comme n’étant justement pas représentable : toutes ces circonlocutions ne font que reproduire l’embarras d’avoir à tenir le pronom « je » pour une sorte de nom propre faisant référence à un moi. Il nous faut quelque chose à désigner si nous devons maintenir que le mot « je » est référentiel, mais il semble que rien ne peut faire l’affaire, qu’aucun objet ne puisse être identifié comme cela même que ce nom a nommé. Arrivés à cette impasse, nous sommes tentés de conclure que si le mot « je » se présente comme un nom, il reste néanmoins un nom sans affectation à quelque objet que ce soit : de là à conclure que ce mot n’a aucune fonction dans la phrase, qu’il est en trop, il n’y a qu’un pas [6].

En fin de compte, ces deux décisions n’en font qu’une. Si Kant veut parler du mot allemand « Ich », alors on devra traduire son « das Ich » comme s’il avait écrit « das “Ich” », et dans ce cas on pourra parfois le restituer en français par « le Je », en entendant par là le mot « je ». Mais si Kant veut dire que l’homme peut se représenter quelque chose qu’il appelle das Ich, il convient de traduire par le substantif « le moi », l’idée étant que l’homme trouve dans le contenu de sa représentation quelque chose dont il peut dire : c’est moi. Et c’est alors que se pose le difficile problème signalé par Balibar : cet objet n’est justement pas un objet, ce quelque chose qui est représenté semble pourtant impossible à présenter dans une représentation.

Dans le cas présent, il apparaît qu’il faut traduire le « das Ich » de Kant par « le “je” » là où Kant traite du progrès que fait le petit Charles quand il cesse de dire « Charles veut manger » pour dire désormais « Je veux manger ». Il écrit dans le même paragraphe :

Il faut remarquer que l’enfant, qui sait déjà parler assez correctement, ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je (durch Ich zu sprechen) ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense [7].

En revanche, il paraît préférable d’utiliser le mot « moi » comme un substantif, donc sans guillemets, pour traduire la première phrase : ce que possède l’homme dans sa représentation, c’est le moi. Avoir le mot « je » dans son langage, c’est avoir le moyen de manifester qu’on sait qui est ce Charles qui veut manger. Qui est Charles ? À la première personne, la réponse sera : c’est moi, c’est de moi que je parle. Ici, dire que je parle de je ne serait qu’un maniérisme. Qui plus est, substituer mon je à mon moi ne changerait rien quant au fond : à peine parle-t-on du je (au lieu du moi) qu’on en fait l’objet à qualifier et à décrire, ce qui suffit à l’opposer au sujet parlant.


Ver online : Vincent Descombes


DESCOMBES, Vincent. Le parler de soi. Paris: Gallimard, 2014


[1Voir les explications de Lucien Tesnière sur la différence entre l’indice verbal « je » et le pronom « moi ». Il donne cet exemple : « Ce serait une grave erreur de faire équivaloir ego à je et de traduire ego amo par j’aime » (Éléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck, 1988, p. 140).

[2Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique [1798], § 1, trad. Michel Foucault, Paris, Vrin, 1964.

[3Voir son article « JE, MOI, SOI », in Vocabulaire européen des philosophies, dir. Barbara Cassin, Le Seuil/Le Robert, 2004, p. 645-646.

[4Étienne Gilson remarque que le latin « ego cogito » rend plus fermement la pensée de Descartes que ne le fait le français « je pense » (dans son commentaire de Descartes, Discours de la méthode, Paris, Vrin, 1962, p. 292). Moi qui pense, moi du moins j’existe, quoi qu’il en soit de tout le reste.

[5« JE, MOI, SOI », op. cit., p. 646.

[6« JE, MOI, SOI », op. cit., p. 646.

[7Ibid.