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Tradições do Oriente

Watts: Le Seigneur et la maya

Não-dualidade

quarta-feira 14 de março de 2018, por Cardoso de Castro

      

Le Seigneur s’est hypnotisé dans sa propre maya  , mais étant, le Seigneur, ne peut pas s’attraper lui-même. Car de la manière la plus experte, la plus subtile, son asservissement et les moyens de s’en libérer sont une seule et même chose. Il projette sa propre Divinité loin à l’extérieur, en en faisant quelque chose d’à la fois au-dessus et au-delà de lui. En ce sens, il doit subir   le risque de se perdre, projeté très loin de son propre centre, et prisonnier dans les dédales du plus complexe des labyrinthes : contrôler la vie, vouloir aimer — et deviner comment. Et pendant ce temps, le Dieu   qu’il imagine et qu’il place dans un monde surnaturel agit comme son gourou, son Sauveur. Mais le moyen ultime, la route royale employée par tous les gourous et les maîtres spirituels, consiste à rendre sage le fou en le faisant aller plus avant dans sa folie, jusqu’à atteindre une totale reductio ad absurdum. Ce Dieu projeté, qui est le Seigneur de la Bible   et le suprême objet d’adoration des juifs et des chrétiens, est aussi un habile gourou, un maître en « sainte tromperie ».

Tout cela est parfaitement clair dans le merveilleux [69] récit de la création et de la chute   d’Adam  . Comprenons bien que, dès cet instant, le Seigneur ne travaille pas selon un plan fait à l’avance. La création est parfaitement spontanée. Chaque nouveau stade le surprend. Ce n’est qu’une fois la chose faite qu’il s’aperçoit qu’elle est bien. « Et Dieu créa les grandes baleines (Oh là là!), et toutes les créatures vivantes du même genre qui se meuvent, qui peuplent abondamment les eaux et toutes les bêtes qui volent : et Dieu vit que c’était bien [1]. » Quand Dieu eut fini de planter le décor — maya — qui comprenait le personnage d’Adam fait d’argile à son image, il vint et se souffla lui-même dans ses narines — le « souffle de vie » était le ruach Adonaï — l’Esprit   même de Dieu tel qu’il planait au commencement au-dessus des eaux. Et c’est alors que le Seigneur regarde le monde par les yeux de son personnage, mais il a oublié qui il est, et se voit donc en train de marcher dans l’Éden exactement comme s’il était quelqu’un d’autre. Le Seigneur est maintenant dans une sorte de transe, et son alter ego, le Vieux Monsieur barbu, entame le long processus   de son éveil qui est en même temps son asservissement.

Nul besoin de faire mention de l’Arbre de la Connaissance. Le risque aurait été bien faible qu’Adam y fasse attention, si le Seigneur n’en n’avait pas parlé le premier. Mais dès l’instant où le Seigneur l’avait mentionné en assortissant la chose de terribles menaces en cas de transgression, il devenait absolument évident qu’Adam l’essaierait.

C’est une histoire de ce genre qui se reproduit indéfiniment dans les contes de fées. Invariablement, le héros transgresse le Terrible Interdit — ne pas regarder derrière soi, ne pas ouvrir le coffre d’or, ne pas prendre le raccourci dans le bois — sans quoi, il n’y aurait pas d’histoire. Le Seigneur dans sa sagesse connaît parfaitement bien la nature humaine et sait très bien ce qu’il fait : ces interdits absurdes sont autant d’invitations à [70] l’aventure. Les choses auraient été bien différentes s’il avait ordonné à Adam de ne pas tirer les cheveux d’Ève ou de ne pas manger ses propres enfants.

Au lieu de cela, le Seigneur s’en prend à un arbre particulier qu’après tout, il a lui-même planté, interdisant à Adam d’en manger le fruit, sans quoi il connaîtra le bien et le mal et subira la malédiction de la mort. Mais les mots exprimant « le bien » et « le mal » en hébreu   ont un rapport avec l’habileté, le tour de main d’un métier; ils désignent ce qui est un avantage ou un inconvénient, ce qui est habile ou maladroit, subtil ou grossier d’un point de vue technique. Ceux qui auront mangé du fruit défendu deviendront « comme des dieux », car ils sauront comment contrôler les événements et comment créer les choses. C’est pourquoi la chute d’Adam et son expulsion du jardin d’Éden entraîne la malédiction du travail, car dès que l’on commence à prendre le contrôle réfléchi  , conscient des choses, on ne peut plus se fier à son instinct. C’est fini de jouer, il faut être sérieux. Il faut penser à l’avenir, faire des plans, et prendre une conscience nouvelle de la mort — qui est comme un dragon   qui vous attend au bout du tunnel —, ultime humiliation détruisant tout ce que vous avez réussi à faire grâce à votre habileté. La vie ne renvoie plus qu’à la mort, et c’est ainsi que commence le règne de l’anxiété.


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[1Genèse, 1,21. (N.a.T.)