Considérons à présent les quatre axes formés par les diamètres unissant deux à deux les trigrammes :
l’un de ces axes a un rôle privilégié, celui de substitut « horizontal » de l’Axe du Monde : c’est l’axe Sud-Nord, k’ien-k’ouen, dans la disposition de Fou-hi que [220] nous envisageons seule présentement [1]. Cet axe peut être considéré comme issu de la projection sur l’horizon de l’axe des pôles célestes autour duquel évolue l’univers. Les deux koua qu’il joint sont en effet formés, l’un de trois traits pleins (k’ien), l’autre de trois traits brisés (k’ouen). Ce sont les images sans mélange du Ciel et de la Terre ; ils sont en fait « en dehors » de la manifestation, au sein de laquelle ils figurent néanmoins sous la forme de « reflets » de la perfection active (k’ien) et de la perfection passive (k’ouen). Qu’on envisage d’ailleurs ces deux termes dans leur signification la plus haute, qui est celle de la première différenciation de la Perfection totale, ou qu’on les considère seulement comme l’expression, dans un domaine particulier, de celle détermination initiale, il reste que la Perfection doit se manifester de quelque manière dans l’univers, car l’imperfection pure identifierait ce dernier au néant. En fait, on peut dire que les deux « perfections » témoignent de la Présence de la Réalité absolue apparaissant dans le monde sous un aspect céleste et sous un aspect terrestre.
A cet égard, il convient de noter le rapport certain entre cet axe Sud-Nord et la Voie (Tao ), qui est proprement l’Absolu envisagé, à la fois en tant que Source de l’univers et Refuge de l’univers. Ce diamètre est l’image de l’Axe polaire qui mène à l’Etoile immuable. II est très remarquable aussi que Wen-wang ait rapproché du caractère k’ien son célèbre « tétragramme » (yuan, heng, li, tch’eng), que Matgioi traduit par « cause initiale, liberté, bien, perfection » [2], et qui évoque aussi sans aucun doute le cycle de la production et de la réintégration de l’univers. Un symbolisme tout à fait semblable doit d’ailleurs être attribué à la légende du Dragon , mis en relation avec les six traits de l’hexagramme de la Perfection [221] active : chacun correspond à un stade de la manifestation du Dragon, qui est l’emblème du Verbe se révélant dans l’univers et se résorbant dans l’état principiel.
Les autres diamètres sont déterminés par deux trigrammes traduisant également, mais à un degré moindre, le complémentarisme des deux pôles, Ciel et Terre, puisque deux koua opposés comportent ensemble, trois traits continus et trois traits brisés. Il est nécessaire en effet que l’Axe céleste se reflète dans tous les aspects de la manifestation, quoique d’une manière de plus en plus voilée à mesure qu’on s’éloigne de la perspective principielle. L’axe Ouest-Est forme, avec l’axe Sud-Nord, la croix la plus importante ; on peut dire que, si l’axe Sud-Nord est « relativement vertical » l’axe Est-Ouest est l’axe horizontal principal qui lui est lié, de sorte qu’il peut dans certains cas être considéré comme la « trace » du plan de manifestation. Or le trigramme de l’Est, li — qui est plus céleste que terrestre, encore qu’en lui la Terre soit centrale et comme « enveloppée » par le Ciel — symbolise la lumière, le soleil levant, et aussi l’éclair, figure du Rayon divin « foudroyant » l’univers ; on le met aussi en rapport avec la lance, qui est un des symboles de l’Axe du Monde. On peut donc dire que ce koua est de prédominance yang . Par contre, k’an, trigramme de l’Ouest, est plus terrestre que céleste : la perspective est inversée, c’est la Terre, cette fois, qui semble enfermer le Ciel en son sein. Cet emblème représente l’abîme, l’eau , l’ombre, donc la puissance réceptrice. Il est de prédominance yin. La lumière et l’ombre, le printemps et l’automne, le matin et le soir sont respectivement yang et yin [3].
On peut admettre que la seconde croix, celle des axes intercardinaux, est obtenue par une rotation de quarante cinq degrés de la première, dont elle est en quelque sorte te dédoublement : nous constatons dès [222] à présent une première manifestation de cette rotation de la roue, qui est un symbole de la production de l’univers [4]. La chose est évidente en ce qui concerne l’axe Sud-Ouest – Nord-Est, qui apparaît comme une spécification ou une manifestation secondaire de l’axe Ouest-Est. Le trigramme tch’en (Nord-Est) désigne en effet le tonnerre, qui correspond à l’ouïe comme l’éclair à la vue, tandis que le trigramme siuan (Sud-Ouest) est le symbole du bois, produit par l’eau, mais image de l’Axe du Monde.
Effectuons une rotation identique dans le sens direct pour l’axe Sud-Nord : nous constatons que le kouan du Nord-Ouest, ken est mis en rapport avec la montagne, reflet terrestre de l’Axe du Monde, tandis que le Sud-Est, touei, correspond à l’eau dormante, aspect particulièrement passif de cet élément. Dans cette nouvelle croix, qui est une « descente » de la croix mi-céleste, mi-terrestre Sud-Nord – Est-Ouest, l’axe Nord-Est – Sud-Ouest joue un rôle « relativement vertical », bien qu’engendre par l’axe Est-Ouest, parce qu’il existe un lien direct entre les koua voisins, Est et Nord-Est d’une part, Ouest et Sud-Ouest d’autre part. Au contraire, l’axe Sud-Est – Nord-Ouest tient lieu d’axe « relativement horizontal » parce que, par un nouvel effet de l’analogie inverse, le ciel produit l’eau et la terre la montagne. Et ceci s’explique fort bien, car le Nord et l’Est, directions relativement polaire et solaire, présentent un aspect « faste », tandis que le Sud et l’Ouest ont une fonction «néfaste».
On saisit la complexité de ces jeux d’ombres et de [223] lumières, de réflexions et de dédoublements, de contrastes et de complémentarismes qui traduisent merveilleusement les apparences multiples et changeantes de l’univers. En résumé, on peut dire que l’Axe divin vertical se « projette » sur l’axe Sud-Nord, et se « reflète » dans l’axe Est-Ouest [5]. D’où une première croix « relativement verticale », donnant naissance, par mise en mouvement de la roue cosmique, à une seconde croix, horizontale cette fois. Celle-ci est une spécification totalement manifestée de la première, quoique la polarisation Ciel-Terre s’y révèle encore, mais d’une manière plus confuse, dans les couples des trigrammes opposés.