Hermès dit à Tat dans le Cratère (IV 7): «Le choix du meilleur (c’est-à-dire de la vie selon l’intellect) se trouve être, pour celui qui l’a fait, le plus glorieux, en ce sens qu’il divinise l’homme». En parlant ainsi dans ce traité, Hermès veut seulement dire que, par l’ascèse, par la discipline morale que le juste s’impose, celui-ci fait prédominer en lui la partie divine et, dès lors, s’assimile à Dieu . Mais il est, dès ici-bas, un autre mode de divinisation: une divinisation qui s’opère non plus progressivement, par le long exercice des vertus morales, mais soudainement, par une sorte de régénération intérieure, par une sorte de «naissance en Dieu» (XIII 6): c’est la doctrine du traité XIII, le plus original du Corpus Hermeticum et sans doute de tout l’hermétisme.
Cette doctrine met le comble à la révélation hermétique. Elle n’est livrée qu’au disciple déjà purifié et bien instruit du reste. Or, comme il l’explique à son père et maître Hermès, Tat s’est préparé. Il s’est rendu étranger au monde, «il a fortifié son esprit contre l’illusion du monde» (XIII 1): il estime donc que le temps est venu pour lui d’apprendre les derniers secrets.
Une naissance suppose une mère (le grec, toujours cru, dit ici une matrice), un père, une semence. Dans cette nouvelle naissance, la matrice est «la Sagesse intelligente dans le Silence» (Sophia noera en sige), c’est-à-dire la Sagesse de Dieu; le père est le «Vouloir de Dieu» (thelema tou theou); la semence est le «vrai bien». Quant à l’engendré, il n’aura rien de commun avec l’homme ancien, mais sera dieu, filsi de Dieu, «le Tout dans le Tout, composé de toutes les Puissances» (XIII 2). Sur quoi, à juste titre, Tat se plaint: «Tu me dis une énigme, père, et tu ne parles pas comme un père à son fils» (la transmission des mystères se fait en principe de père en fils). Hermès répond: «Cette génération ne peut s’enseigner, mon enfant, mais, quand il lui plaît, Dieu lui-même en donne le ressouvenir» (anamimnesketai, cf. Platon ).
Pressé de s’expliquer plus clairement, Hermès en vient à ceci:
Le corps humain était composé, dans le Poimandrès, des quatre éléments et, à ce titre, il était mauvais. En outre, il était composé aussi de substances astrales, du fait qu’il était issu du Premier Homme céleste , lequel, bien que lumineux par essence, avait reçu quelque chose des sept planètes à mesure qu’il avait traversé leurs cercles dans sa descente jusqu’à la terre. Dans le traité XIII, il n’est plus parlé des quatre éléments, mais seulement des substances astrales: et celles-ci sont au nombre de douze, parce qu’elles ont été empruntées aux douze signes du zodiaque: «cette tente, mon enfant (skenos, image bien connue pour désigner le corps), hors de laquelle nous sommes sortis, a été composée de la substance du cercle du zodiaque» (XIII 12). Or cette substance zodiacale, étant matérielle, est mauvaise; les douze éléments zodiacaux qui constituent le corps sont donc autant de supplices pour l’âme, car chacun d’eux apporte avec soi un vice moral, à savoir l’ignorance (vice capital), la tristesse, l’incontinence, la concupiscence, l’injustice, la cupidité, la tromperie, l’envie, la fraude , la colère, la précipitation, la méchanceté. Tous ces vices, «par l’intermédiaire de cette prison qu’est le corps, contraignent l’homme intérieur à souffrir, par le canal des sens» (XIII 7).
Objectivement, la régénération va consister en ceci, que les douze puissances mauvaises vont être remplacées par dix puissances bonnes, qui sont puissances de Dieu, issues de l’être même de Dieu, à savoir: la connaissance de Dieu, la joie, la continence, la force d’âme maîtresse du désir, la justice, la bonté miséricordieuse, la véracité, le bien, la vie et la lumière (peut-être ces dix puissances suffisent-elles à remplacer les douze puissances mauvaises parce que, parmi ces dernières, la 8e et la 9°, la 10e et la 11e forment deux couples, qui équivalent donc à deux unités, mais, même ainsi, il faut avouer que les trois dernières puissances bonnes ne sont pas les opposés qu’on attend aux cinq dernières puissances mauvaises). Et ces dix puissances bonnes vont devenir les membres de l’homme nouveau qui est dit ici Logos , Verbe.
Subjectivement, la régénération va consister en ceci, que l’initié prend soudain conscience de la transformation qui s’est accomplie en lui. Ainsi, rappelant l’expérience qu’il a subie, Hermès déclare: «Voyant en moi-même une vision immatérielle produite par la miséricorde de Dieu, je suis sorti de moi-même pour entrer dans un corps immortel, je ne suis plus maintenant ce que j’étais, j’ai été engendré dans l’intellect» (XIII 3). Hermès a encore un corps visible, tangible, mesurable dans l’espace, color é. Mais ce ne sont là qu’apparences: le véritable Hermès est un être tout spirituel que les yeux du corps ne voient point. Et Tat, à son tour, va éprouver le même phénomène. A un moment, Hermès lui prescrit un religieux silence. Puis, après ce temps de silence, Hermès reprend tout à coup: «Réjouis-toi donc, mon enfant, voici que te purifient à fond les puissances de Dieu, pour l’ajointement des membres du Verbe» (XIII 8). Il décrit alors à Tat ce qui se passe en ce disciple, comment les douze puissances mauvaises sont chassées par les dix puissances bonnes, et il conclut ainsi (XIII 10): «Tu connais maintenant, mon enfant, le mode de la régénération. Par la venue de la décade, la génération intelligible s’est accomplie ..., et nous avons été divinisés par cette naissance. Celui donc qui a été gratifié, par la miséricorde, de cette naissance selon Dieu, ayant abandonné la sensation corporelle, se connaît soi-même étant constitué par les Puissances divines, et il se réjouit dans son cour» (XIII 10). Sur quoi, le disciple s’écrie: «Devenu inébranlable de par Dieu, ô père, je me représente les choses non par la vue des yeux, mais par l’énergie spirituelle que je tiens des Puissances. Je suis dans le ciel, dans la terre, dans l’eau ; je suis dans l’air, dans les animaux, dans les plantes; dans le ventre, avant le ventre, après le ventre, partout» (XIII 11). En d’autres termes, Tat est devenu esprit pur, sans limitation dans l’espace (il peut donc s’insinuer partout) et sans limitation dans la durée: il s’identifie à l’Aiôn, Temps éternel.