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Festugière (HMP:18-23) – Contenu doctrinal des mystiques de salut.

Hermetismo

quinta-feira 10 de agosto de 2023, por Cardoso de Castro

      

Extrait de « Hermétisme et Mystique païene »

      

Le contenu de la gnose peut se résumer en trois points. C’est une connaissance:

I. de Dieu  , particulièrement sous son aspect de Sauveur (gnosis   theou);

II. de soi, en tant qu’issu de Dieu et susceptible de retourner à Dieu (gnosis eautou);

III. des moyens de remonter à Dieu et du mode de cette remontée (gnosis odou).

1. La gnosis theou implique essentiellement la connaissance du Dieu suprême en tant que transcendant, et des Puissances ou Hypostases divines qui jouent le rôle d’intermédiaires [19] (à la fois séparant et reliant) entre ce Premier d’une part et, d’autre part, le monde et l’homme.

a. Le Dieu suprême ou le Premier (to proarchon tes arches C. H. I 8), Souveraineté Absolue (Authentia I 2), Un et Seul (eis ou hen kai monon, IV 1, 6, 8, V 2, XI 5, XIV 3, etc.), se voit relégué dans une transcendance radicale où il subsiste par soi (noûs holos ex holou eauton emperiechon ... autos   hen eauton estos, C. Η. II 12), entouré de silence (hen sige, C. Η. XIII 2), dans une solitude que rien ne trouble, akinetos hen monoteti tes eautou enotetos menon (Iambi, myst. VIII 2). Il est Noûs, Vie et Lumière (C. H. I et XIII), Bien et Père   (C. H. II). Il a tous les noms et il n’a point de noms. On ne le connaît bien que quand on ne peut plus rien en dire (C. H. X 5, cf. I 30), on ne l’adore que par le silence (C. H. I 31). Sa transcendance se traduit dans le langage par l’abondance des qualifications négatives (anousiastos C. H. II 4, agnostos, aleptos, X 5, aneklaletos, arretos, I 31) et de celles qui marquent l’excellence (hypatos, hypertatos, hypsistos, summus exsuperamtissimus). Bien qu’il soit affirmé comme unique, il est généralement composé de Puissances (dix: C. H. XIII), et il fait sortir de lui-même une ou plusieurs hypostases, soit que, conçu comme bisexué (άρρενόθηλυς, C. H. I 9, 15), il en projette la semence de sa partie mâle en sa partie femelle (Boulé, Sophia  ) qui les enfante (C. H. I), soit qu’il les fasse émaner comme des rayons (eklampein, Iambi, myst. VIII 2) ou par d’autres voies.

β. Dieu et le monde (hylique, donc mauvais) étant des termes antagonistes, on ne peut attribuer à Dieu la responsabilité, au moins directe, de l’organisation du monde. De là, entre Dieu et le monde, un second Dieu ou second Noûs Démiurge, dont la fonction propre est cette démiurgie, et qui, évitant au Premier tout contact avec la mati  ère, le décharge aussi de la responsabilité quant au mal issu de la matière, soit entièrement soit en partie (selon que le Démiurge intermédiaire agit soit indépendamment du Premier — ou même contre lui —, soit en subordination à ce Premier). La responsabilité du Démiurge lui-même est, à son tour, limitée ou tout au moins partagée, du fait que chacune des sphères est régie par un Gouverneur (archon  , dioiketes) qui devient la cause directe de l’influence néfaste exercée par la planète qu’il dirige; [20] c’est le gouvernement des Sept Archontes qui est, proprement, le «lien des astres» ou Heimarmene   (C. H. I 9, XVI 16).

γ. A côté ou à la suite du second Dieu démiurge, la théologie hermético-gnostique comprend encore, d’ordinaire, une autre hypostase, Noûs, Logos   ou même Anthropos   (cf. 2 α-β infra; en ce cas, l’Homme tombé devient parfois lui-même, après sa chute — et sa remontée —, le Sauveur de l’humanité issue de lui: ainsi du moins chez les Naasséniens), spécialement chargé du salut de l’homme: il le sauve d’une part en lui révélant son origine et sa fin, d’autre part en l’aidant à accomplir sa destinée, ici-bas et après la mort.

2. En son état présent, l’homme est triple: corps, âme, noûs. Comment expliquer cette composition ? Que signifie exactement le précepte «se connaître soi-même», toujours joint au premier «connaître Dieu», et tenu pour aussi indispensable que celui-ci ?

a. Dans le mythe hermétique de la formation des choses, après avoir engendré le Noûs Démiurge qui organise le cosmos, le Premier engendre l’Anthropos ou Homme idéal. Selon sa nature originelle, celui-ci est parfaitement beau, Noûs, Vie et Lumière comme le Père, aimé du Père en tant que sa propre image et son vrai fils.

β. Or cet Homme idéal, en vertu d’une chute dont les péripéties varient de mythe à mythe mais dont le principe est communément l’eros  , tombe dans le monde de la matière, c’est-à-dire sur la terre. Au cours de sa chute l’Homme-noûs commence en général (pas toujours) par revêtir un corps astral ou pneumatique, véhicule (ochema  ) du noûs (qui ne peut avoir directement contact avec la matière), intermédiaire entre le noûs immatériel et les concrétions de plus en plus hyliques qui vont s’attacher à lui; puis, à mesure qu’il traverse les sept sphères (ou, en d’autres mythes, les douze signes zodiacaux), cet Homme-noûs revêt, ainsi que des tuniques, les vices des sept planètes (ou des archontes qui président aux sept planètes: dans le mythe zodiacal, douze vices), et c’est ainsi souillé qu’il s’incarne enfin dans un corps terrestre et s’unit à la Nature matérielle. De ce couple naît, plus ou moins directement, l’humanité actuelle. (En d’autres systèmes, il n’y a pas de Premier Homme idéal, le mythe de la chute   se renouvelant [21] pour chaque noûs individuel directement issu du Père).

γ. Ainsi s’explique la condition présente de l’homme. Il y a en lui une part divine et immortelle, issue de l’Homme idéal fils du Premier, Vie et Lumière comme le Premier: c’est le noûs (ou logos ou pneuma   selon d’autres systèmes), supérieur, de par son origine, au lien des astres, capable de retourner à son Principe, une fois obtenue la grâce de la révélation. Et il y a en lui une part dérivée des astres (ou du zodiaque) et de la nature matérielle: les sept (ou douze) vices, le corps, et l’âme irrationnelle inséparable du corps; par cette partie hylico-psychique de son être, l’homme est soumis à l’Heimarmene. Selon que chaque individu vit selon «l’homme essentiel» (ousiodes) qui est en lui ou selon l’autre partie, il est dit ennoûs, ellogimos, pneumatikos  , oratikos, ou, au contraire, hylikos  , psychikos  , logikos  .

3. Le troisième point de la révélation est la connaissance de la remontée (anodos). Celle-ci comporte deux étapes:

a. L’anodos définitive, après la mort, est la démarche exactement symétrique (mais dans le sens opposé) de la kathodos originelle (apo tes protes kathodou epi touto katepempsen o theos   tas psychas, ina palin   eis auton epanelthosin, Iambi, myst. VIII 8). Comme le noûs, dans sa chute, avait revêtu une série d’enveloppements (endymata, peribolata, peribolai). il s’en dépouille maintenant dans l’ordre inverse: corps matériel, âme irrationnelle, vices des planètes ou du zodiaque, corps pneumatique, pour s’unir, enfin nu, d’abord aux Puissances divines, puis, dans un contact seul à seul, à l’Un et Seul.

β. Mais cette étape finale n’est possible que si elle a été précédée, durant la vie, par une préparation (katharsis  , éloignement du monde = apallotriousthai) aboutissant, d’ordinaire, à un phénomène mystique qui donne au myste, avec la certitude de son salut, une connaissance expérimentale de son état de «divinisé», et comme un avant-goût du bonheur   dont il jouira après la mort. Théoriquement, cette renaissance (palingenesia) ou naissance en Dieu (genesis hen theo ou hen no) correspond à un metamorphousthai, c’est-à-dire à un changement complet de «forme» dans l’homme intérieur. Jusque là l’homme intérieur était composé des sept (ou douze) vices [22] qui s’étaient attachés à lui durant la chute: cette forme mauvaise, issue de l’Heimarmene et qui faisait dépendre l’homme de l’Heimarmene, est soudain remplacée par une forme nouvelle, composée des Puissances mêmes de Dieu (le nombre varie, dix dans C. H. XIII 8-9) et constituant le Logos à l’intérieur de l’homme (synarthrosis tou logou, C. H. XIII 8). Cette métamorphose est radicale: les vices ont été chassés une fois pour toutes (chacun par une Puissance antagoniste) et ne reparaîtront plus. Désormais l’homme est sauvé: habité, possédé par Dieu, il ne dépend plus du lien des astres. Sans doute, l’Heimarmene ne cesse-t-elle pas d’influencer son corps hylique et même son âme rationnelle en l’induisant à des actes en apparence mauvais: en fait, ces actes sont indifférents, car l’homme réel (c’est-à-dire le noûs-logos — pneuma, ou la forme nouvelle composée des Puissances divines) n’y a point de part. L’homme est, dès ici-bas, hyperano tes heimarmenes.

γ. Pratiquement, comment se produit ce phénomène mystique ? C’est ici qu’apparaît la principale différence entre les diverses branches du mysticisme hellénistique. Elle est indiquée déjà par l’alchimiste Zosimus, peri tou stoicheiou (Alch. Gr. II 229. 27 B. = Poim. 103 = Zoroastre   fr. O 99, 242. 6 B.-C): «Zoroastre se vante de ce que, par la connaissance des choses d’en haut et l’effet magique des sons corporels (maneia tes ensomou phraseos), l’on peut détourner de soi tous les maux de l’Heimarmene, particuliers et universels. A l’encontre Hermès, dans son peri aulias, condamne la magie, disant que l’homme pneumatique, celui qui se connaît lui-même, ne doit ni redresser quoi que ce soit par la magie, même si cette pratique est tenue pour un bien, ni violenter la Nécessité, mais la laisser agir selon sa nature et ses desseins. La seule démarche est de se chercher soi-même et, après avoir acquis la connaissance de Dieu, de (ici une addition chrétienne, puis) laisser l’Heimarmene traiter à sa guise le limon qui lui appartient, c’est-à-dire le corps. Par de telles pensées et une telle conduite, tu verras le fils de Dieu   devenir tout en faveur des âmes saintes (thease ton theou huion panta   ginomenon ton osimon psychon eneken) pour arracher l’âme à la région de l’Heimarmé-nè et la tirer vers l’incorporelle». Ce texte distingue nettement deux méthodes. L’une, purement intérieure et spirituelle, est la gnosis de Dieu et de soi-même, connaissance non pas intellectuelle [23] mais de foi, et même, à la limite, connaissance mystique, car elle aboutit, par la concentration, la ligature des sens, l’absorption du sujet en soi-même, à une sorte d’extase et d’éblouissement (thease klt. doit être pris au sens littéral, cf. C. H. I 4 ss., XIII): l’homme se voit devenu Dieu, il voit Dieu en lui-même. Selon l’autre méthode, plus extérieure et mécanique, le salut s’obtient par des formules qui agissent sur les divinités salvatrices et les inclinent à révéler les mots de passe grâce auxquels, au cours de l’anodos, le myste échappera aux archontes des sphères et généralement à toutes les puissances ennemies qui voudraient le retenir dans son voyage. Cette seconde méthode à son tour se subdivise en deux espèces, selon que les commendaticiae preces adressées aux dieux sauveurs ressortissent davantage soit à la supplication religieuse (accompagnée ou non de sacrifices), soit à la formule contraignante à laquelle s’ajoute d’ordinaire l’usage de symbola magiques. Il va de soi qu’entre ces deux extrêmes, gnose pure et magie la plus grossière, bien des degrés se rencontrent: silencieuse adoration, prière parlée ou chantée, prière et sacrifice, rites d’initiation symbolisant l’anodos, danses, cris, musiques provoquant la transe  , usage de stupéfiants ou de liqueurs enivrantes, passes magnétiques, tours d’illusionniste (Blendwerke), etc.


Ver online : A.-J. Festugière