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Festugière (HMP:13-17) – Aspect formel des mystiques de salut

Hermetismo

quinta-feira 10 de agosto de 2023, por Cardoso de Castro

      

Extrait de « Hermétisme et Mystique païene »

      

Qu’un homme se sente seul, comme perdu dans le monde, insatisfait dans sa pensée, sa vie sensible   et son activité humaine, que cet homme croie à l’existence   d’un Principe qui le domine, à la possibilité d’atteindre à ce Principe et de s’y unir d’une union intime et personnelle, voilà, semble-t-il, les conditions psychologiques indispensables à toute mystique, grecque ou orientale, païenne ou chrétienne. Elles commandent aussi, dès lors, la mystique hellénistique. Celle-ci pourtant se présente comme un phénomène extraordinairement complexe. Cela tient à plusieurs causes, mais dont l’une au moins est déterminante: car toutes les autres, de quelque manière, s’y rattachent. Dans la période hellénistique que l’on considère ici, et qui est plus précisément la seconde période hellénistique, du 1er siècle avant J.-C. à la fin du paganisme, le fait de beaucoup le plus marquant est le mélange, non pas seulement de toutes les traditions philosophiques et religieuses de la Grèce, mais de toutes ces traditions avec celles des divers pays de l’Orient, parmi lesquels comptent au premier rang l’Égypte, la Chaldée et l’Iran. Pour ne prendre qu’un exemple, le mage Cyprien, après s’être fait initier à plusieurs mystères de la Grèce, passe de longues années, pour s’y instruire des choses divines, auprès des prêtres égyptiens et des «Chaldéens» avant de retourner à Antioche, sa patrie. Plus on avance dans la période hellénistique, plus ces éléments, d’origine si différente, se compénètrent et se fondent: et il devient extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de les isoler. Maints travaux d’ailleurs fort suggestifs, depuis un demi-siècle, ont tenté cette discrimination. Prenons par exemple le Corp. Herm.; on a essayé tour à tour de le rattacher à la Grèce (Zielinski, J. et W. Kroll, en partie Scott), à la Judée (C. H. Dodd), à l’Égypte (Reitzenstein, Poimandres  , en partie Scott), à l’Iran (Reitzenstein, Studien, Hell. Myst. Rel., Iran. Erlos.); mais le plus souvent le parallèle évoqué, même s’il est probant, n’en exclut point d’autres également valables. Pareille constatation se peut faire quand on étudie les autres branches de la mystique hellénistique; la confusion devient même de plus en plus grande à mesure qu’on s’éloigne de la theoria   philosophique pour entrer dans le domaine du mysticisme populaire. Dans cet article, je laisserai entièrement de côté le problème des sources, grecques ou orientales. Pour ne pas charger un sujet déjà immense, je ne traiterai pas non plus des religions à mystères cultuels, ni de Philon  , ni de la gnose dite chrétienne.

Pour disposer une mati  ère qui va de Plotin   aux textes astrologiques, alchimiques et magiques en passant par les ouvrages de théurgie, le principe d’organisation doit se prendre, non pas dans telle particularité du contenu de ces mystiques, mais dans les conditions génétiques du phénomène mystique, lesquelles sont d’ordre psychologique. Car, si bizarre qu’il nous paraisse en quelques-unes de ses formes, le fait mystique, durant la période hellénistique comme en toute autre, est un phénomène religieux, donc un fait de l’âme. C’est, dès lors, dans les besoins de l’âme qu’il faut chercher le principe; ces besoins commandent la croyance; et ce sont donc très précisément les besoins de l’âme religieuse à la période hellénistique qui commandent les différentes formes de religiosité mystique propres à cet âge. Autant varient ces besoins, c’est-à-dire le sentiment d’une déficience plus vivement ressentie sur tel ou tel point, autant varient aussi la nature du Principe auquel on veut s’unir, la fin qu’on se propose en cette union, les moyens qu’on emploie pour l’obtenir.

A. Un esprit   philosophique est davantage affecté par les déficiences de l’être sensible, et il tend donc à s’unir à un Principe qui soit, essentiellement et éminemment, l’Être (Der Seiendr). Or l’être (das Sein) se manifeste déficient dans toutes les choses d’ici-bas en ce qu’elles sont muables et matérielles, ce qui conduit à chercher un Être transcendant à tout l’ordre de la matière, un Principe hypercosmique. Mais l’être (das Sein) n’est pas moins déficient dans les intelligibles mêmes, du fait que chacun d’eux n’exprime qu’une essence limitée, qui ne saurait embrasser toute l’extension de l’être: l’aperception de cette nouvelle déficience conduit à chercher un Être qui transcende l’ordre même des intelligibles, un Principe suressentiel.

De cette détermination du Principe dépendent à leur tour les moyens employés en vue de l’atteindre. L’ascension vers l’Être ne comportera pas seulement une purification de tout ce qui en nous est affecté par la matière et nous lie au monde visible; elle impliquera en outre un saut au-dessus de l’intelligible. L’Être qu’on veut atteindre sera doublement agnostos : il échappera, certes, à toute perception sensible, puisqu’il est, par définition, immatériel; mais il échappera encore à toute saisie intellectuelle, puisqu’il dépasse tous les intelligibles limités et se confond, dans son essence, avec l’Infini. Un tel Principe indéfinissable sera donc innommable, ineffable. Pour l’approcher, une fois transcendé le matériel, il faudra nier de lui toute détermination intelligible: c’est la voie de négation (aphairesis  ). Il ne restera plus, à ce sommet, dans cette nuée lumineuse, que d’attendre le phénomène par lequel, sortant pour ainsi dire de lui-même et de l’ordre conceptuel qui est son domaine ordinaire, le noûs touchera, par un mystérieux contact, l’intime réalité de l’Être.

B. D’autres esprits sont plus affectés par les déficiences de l’ordre, c’est-à-dire par le désordre des choses d’ici-bas — désordres dans notre propre vie, souffrances physiques et morales de toutes sortes, qui nous rendent sensibles à toute misère, à toute laideur, à toute injustice dans le monde. Le sentiment d’une telle déficience conduit à chercher un Ordre vrai pour l’admirer et s’y plier, ou le Principe d’un Ordre pour s’unir à lui: par cette contemplation, ou par cette union, l’homme échappera au désordre dont il souffre dans son existence particulière.

Mais l’on peut distinguer ici deux attitudes contraires qu’on nommera, pour simplifier, l’attitude optimiste et l’attitude pessimiste.

I. Ou bien, tout en admettant du désordre dans le monde, on restreint ce désordre à la région sublunaire, c’est-à-dire aux choses terrestres proprement dites. Cette partie seule est mauvaise, mais le monde dans son entier n’est pas mauvais. La sagesse consiste, dès lors, à s’évader du désordre des choses terrestres par la contemplation de l’ordre immuable du ciel, et particulièrement de la beauté, de la régularité des mouvements planétaires. C’est la «mystique astrale» (Cumont  ). Cette contemplation elle-même peut revêtir deux nuances.

a) Tantôt on considérera les astres comme la réalité même et la forme la plus haute du divin; et, puisque les mouvements de ces astres commandent tous les changements sublunaires et en particulier tous les événements de la vie humaine, on tiendra ces déterminations pour une règle juste et bonne; par une sorte de sublimation, l’homme oublie ce qu’a de douloureux pour lui ce «lien des astres» en s’élevant à leur plan, en se résignant à leurs desseins; il néglige le désordre particulier qui l’affecte en contemplant l’ordre universel; et cette contemplation lui est d’autant plus facile qu’il se tourne, dans une adoration muette, vers la beauté des astres mêmes (qui sont des dieux) pour entrer en communion avec eux.

b) Tantôt, réfléchissant que les astres obéissent, eux aussi, à un même Logos   immanent au kosmos, on remontera par la pensée jusqu’à ce Suprême Ordonnateur, on conformera sa volonté à la sienne, assuré que tous les désordres apparents cachent un Ordre invisible, mais certain. Cette Raison universelle ne se peut sans doute appréhender directement par la perception sensible. Mais nous pouvons la connaître par la voie d’analogie. La vue du monde sert de degré pour atteindre à Celui qui a créé le monde et qui en maintient l’harmonie.

II. Ou bien l’on regarde le monde comme entièrement mauvais, ciel et terre, d’une part parce qu’il est matériel, d’autre part parce que l’ordre immuable des astres qui préside à tout ce monde matériel est, en ce qui concerne l’homme, un désordre puisqu’il nous fait souffrir, d’où l’on conclut de ce désordre particulier à un désordre universel. L’ordre, et le Principe de l’Ordre, sont donc à chercher hors du monde, dans une divinité qui soit supérieure à ce monde, non liée par l’Heimarmene   cosmique; le salut, la délivrance, sera de s’unir, par un moyen quelconque, à cette divinité.

De ce principe général dérivent un certain nombre de traits communs qui affectent également (a) la forme et (b) le contenu de ces «mystiques de salut».


Ver online : A.-J. Festugière