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Raymond Abellio de la politique à la Gnose

Abellio: Tradition

terça-feira 5 de setembro de 2023, por Cardoso de Castro

      

Raymond Abellio   de la politique à la Gnose. Entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses. Paris: Pierre Belfond, 1987

      

Lorsque Husserl   parle de ce scepticisme qui a dissous « les anciens idéaux non clarifiés » — c’est en fait la réference explicite à la Tradition   — et d’une façon sous-jacente, la Tradition est présente. Qu’est-ce que c’est que ces idéaux ?Je vous dis tout de suite, n’ayant pas ici le temps de faire une démonstration très complète et qui me ramènerait au commencement, c’est-à-dire beaucoup trop loin, que j’admets d’une façon ici implicite, comme lui, les essences d’une Tradition primordiale — et vous trouverez ce thème sous-jacent dans tout mon exposé.

Il existe selon moi une Tradition primordiale, qui est celle d’un temps commun à toutes les religions, à toutes les philosophies, à tous les mythes, à tous les symboles — dont nous voyons aujourd’hui proliférer l’étude. Cette Tradition primordiale a été donnée d’un coup à l’humanité et d’une façon voilée. Il est évident, quand on consulte certains documents essentiels, pas tellement uniques, qu’ils comportent des symboles prêtant souvent à des difficultés d’interprétation et donnant, encore une fois, lieu à des dévergondages d’imagination. Mais il y a des idéogrammes, et j’attire votre attention sur le fait capital de l’existence   des idéogrammes qui eux ne sont pas susceptibles de variations structurelles. Avec eux, on ne peut pas changer de texte : l’idéogramme n’en a pas, il est tel qu’on vous le donne, vous le recevez tel qu’il est, et les siècles vous les transmettent sans variations possibles. Il y a par exemple le symbolisme de la croix   — la croix est un idéogramme extrêmement simple — et là, on est assujettis à un certain symbolisme [192] se prêtant à tous les développements et par conséquent à toutes les controverses. Et enfin il y a deux idéogrammes, fondamentaux dans la Tradition, et que nous allons retrouver dans la nouvelle gnose, dont ils constituent la pierre d’attouchement ; ils apporteront la preuve désoccultée que nous sommes dans la vérité. Ce sont l’Arbre des Séphiroth de la Kabbale   et les hexagrammes   du Yi-King   des anciens Chinois, document qui est peut-être le plus ancien de l’humanité (cinq   ou six mille ans d’âge, sinon davantage, on ne sait pas) : ce sont des documents millénaires. Or ce sont des images géom  étriques, avec des mots, bien sur, mais ce qui est essentiel c’est l’articulation géométrique, et là, quelles que soient les gloses, quelle que soit la gamme de commentaires qui se sont accumulés sur ces documents depuis le début de l’humanité, les documents sont restés ce qu’ils sont. Ce sont des traits sur du papier, et ces traits, on n’a pas pu les changer, c’est une image géométrique. Ça a été donc donné sur le coup, mais d’une façon voilée, dans la mesure où les hommes qui recevaient cette révélation ou cette instruction, car on n’en sait pas l’origine ; c’est peut-être une révélation, la grâce du saint esprit  , ou une instruction par des gens venus   d’ailleurs que les hindous appellent les grands « rishis » ; ce problème n’a pas d’intérêt, de toute façon il faut que ça vienne de quelque part — si c’est les grands « rishis » qui les ont apportés, des extraterrestres quelconques qui ont débarqué un jour, il y a sept ou huit mille ans, nous ont donné ça et sont repartis, en laissant des enfants qui ont épousé, dit la Bible  , « des filles des hommes » —, peu importe, il faudra bien qu’eux aussi l’aient reçue de quelque part, cette révélation, si vous voulez, d’une intelligence supérieure, d’une intelligence cosmique, d’une intelligence divine, ne jouons pas sur les mots : ce n’est pas un problème philosophique. Donc, disais-je, les hommes qui ont reçu cette révélation ne disposaient ni des éléments, ni des opérateurs ou des moyens intellectuels, ou conceptuels, susceptibles de mettre ces notions en phrases claires. Pourquoi ? Parce qu’à cette époque ancienne de l’humanité, où la conscience n’avait pas atteint les degrés de précision, de capacité d’analyse qu’elle a atteints aujourd’hui, les hommes vivaient en état de participation universelle du monde, participation dite mystique si vous voulez — ce mot de « participation » est un mot vraiment très éclairant — ils étaient en état, disaient les anciens hindous de clair audience : ils appelaient ça la « shruti   ». Autrement dit, [193] dans une sorte d’état de synesthésie — le monde leur parlait ou, plus exactement, ils sentaient le monde. Dans la Genèse de Moïse, lorsque Moïse reçoit la Loi au sommet du mont Sinaï (le peuple est assemblé en bas, et regarde la nuée ardente au sommet de la montagne), la Bible dit textuellement : « Le peuple voyait les sons du tonnerre et des trompettes ». « Voyait » — pas « entendait », « voyait ».

Ce qui prouve bien qu’il y avait une sorte de synesthésie, de fusion de tous les sens : l’ouïe, la vue, etc. Une sorte d’état d’indistinction, et vous retrouvez là d’ailleurs le symbolisme de la Genèse de Moïse, quand il est dit que, au sortir du Paradis, de cet état d’indistinction entre l’homme et le monde, « Adam   et Eve reçurent des enveloppes de peau ». Ça veut dire quoi ? Qu’on les a constitués comme individus séparés, en leur donnant un ego qu’ils n’avaient pas. Et toute l’évolution — plutôt, toute l’involution — de l’humanité, à cette période (que nous appellerons descendante simplement d’une façon symbolique) où l’homme a acquis une individualité, a consisté justement à lui faire avoir une raison raisonnante, une raison « séparée » — à le séparer du monde en lui donnant une intelligence analytique, qui permettait de faire des distinctions, des découpages. Le triomphe de cette raison séparée, c’est le début des temps modernes, c’est Descartes   — Galilée, Descartes ou Newton. Mais depuis que ce triomphe de la dualité entre l’homme et le monde, entre l’esprit et la mati  ère — et qui constitue le fond du cartésianisme —, depuis que cette séparation a triomphé, donnant les résultats que l’on sait (c’est-à-dire l’énorme triomphe des sciences modernes, et en même temps la crise actuelle — car au fond la crise est le corps, la conséquence immédiate du triomphe), nous savons qu’il faut sortir de cette raison séparée et aborder des périodes de réintégration.


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