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Expériences de l’extase
Ioan Couliano (EE:22-24) – Êxtase
Extase, ascension et récit visionnaire de l’Hellénisme ao Moyen Âge
sexta-feira 1º de setembro de 2023, por
Le verbe grec ex-istáno (existáo, exístemi), d’où le nom ek-stasis , indique d’abord l’action de déplacer, porter dehors, changer quelque chose ou un état de choses, ensuite celles de sortir, quitter, s’éloigner, abandonner (et aussi : laisser, céder, renoncer, éviter, etc.).
Historiens des religions et anthropologues ont remarqué depuis longtemps qu’il faudrait soigneusement éviter l’emploi du terme « extase », à cause de son imprécision. En effet, « extase » recouvre des sphères de signification assez distinctes : on donne le même nom à des expériences dissemblables comme celles des dionysiaques en Grèce ancienne, des chamans Tongous, des medicine-men australiens, des derviches tourneurs ou de sainte Thérèse d’Avila.
Selon certains auteurs qui l’utilisent comme l’équivalent de « transe », le mot « extase » désignerait des expériences et des techniques qui ont en commun un état de « dissociation mentale ». Pour d’autres, il s’applique à trois situations différentes : « celle de la possession, où le sujet est en proie à une ou plusieurs activités insolites ; celle de la transe hypnotique ou médiumnique, où le sujet est paisible, mais concrètement vivant ; et celle de la catalepsie, où le sujet est tellement privé de toutes ses facultés, jusqu’à l’arrêt de la respiration et du pouls, qu’il a l’apparence d’un mort, bien qu’après son retour à la vie il soit capable de raconter ses perceptions et connaissances acquises “ en esprit ” ».
Le verbe grec ex-istáno (existáo, exístemi), d’où le nom ek-stasis , indique d’abord l’action de déplacer, porter dehors, changer quelque chose ou un état de choses, ensuite celles de sortir, quitter, s’éloigner, abandonner (et aussi : laisser, céder, renoncer, éviter, etc.). L’élément sémasiologique commun à toute la famille lexicale est celui de séparation et, parfois, de dégénérescence. Le nom ek-stasis signifiera donc déplacement, changement, déviation, dégénérescence, aliénation, trouble, délire, stupeur, excitation provoquée par des boissons enivrantes.
Le champ sémantique assez large du mot se rapporte à l’idée de disjonction, avec l’implication psycho -sociologique de : « sortir des cadres qui réglementent, en des circonstances historiques données, les critères de la normalité ». En tout cas, il paraît que l’hypothèse d’E. Rohde, selon laquelle ekstasis aurait désigné, en Grèce ancienne, la séparation de l’âme du corps, n’a aucun fondement philologique : « le mot désigne des déviations mentales plus ou moins accentuées, mais n’apparaît jamais dans les contextes où l’on s’y attendrait, si Rohde avait raison ».
De toute façon, l’expérience de séparation de l’âme du corps est familière à la Grèce ancienne. Cela présuppose, vraisemblablement, une certaine conception, explicite ou implicite, de l’âme et de ses rapports avec le corps. Il y a eu des tentatives d’appliquer aux croyances grecques antérieures au Ve siècle av. J.-C. les catégories forgées par le Suédois E. Arbman et suivies par ses élèves A. Hultkranz et J. Paulson. Arbman distingue deux sortes d’âmes, l’âme corporelle, dont la fonction exclusive est de maintenir les fonctions vitales du vivant, et l’âme libre, qui peut abandonner le corps en état de catalepsie ou d’inconscience (transe). Les conceptions de l’école suédoise ont été critiquées par H. Fischer, qui préfère le terme de Traumego à l’âme libre d’Arbman. J. Bremmer a pourtant observé que le Traumego ne convient pas aux aires où le rêve joue un rôle secondaire dans la formation des conceptions de l’âme, comme la Grèce ancienne. C’est pourquoi il opte lui aussi, en dernière instance, pour les catégories d’Arbman, de Hultkranz et de Paulson.
Une autre question, débattue par les anthropologues qui ne dissocient pas « extase » de « possession », est : comment la possession est-elle théoriquement possible : par la « perte de l’âme » (soul-loss) et sa substitution par les esprits, ou bien sans perte de l’âme ? Autrement dit, toute possession présuppose-t-elle une « dépossession » préalable ou instantanée de soi-même ? C’est la théorie du Belge L. De Heusch, critiquée à juste titre par I. M. Lewis , qui observe que cette explication empirique n’est applicable qu’à un nombre restreint de cultures.
Nous avons rappelé ces discussions dans le seul but de préciser que nous allons maintenir une distance prudente par rapport à ce sujet, sans toutefois le négliger complètement. En Grèce ancienne, il n’y a pas une doctrine cohérente de l’ « âme libre » ou du « Traumego », mais il y a, en revanche, une très riche et très caractéristique phénoménologie de l’extase. Enfin, parmi les classes d’extatiques grecs, la seule qui nous intéressera dans cet ouvrage — celle en rapport avec le dieu Apollon de l’Hyperborée — jouit d’une position spéciale envers les structures générales de la possession (ch. I infra).
La tradition grecque de l’extatisme apollinien, qui présente maintes analogies avec le chamanisme de l’Asie centrale et septentrionale, met en jeu un type de personnage : le iatromanie, le medicine-man grec, capable de tous les exploits de ses confrères asiatiques, américains ou australiens. Parmi ces exploits, le voyage extatique n’est pas le moins important. Il en découle un type spécial de récit, qui transmet les visions et les connaissances acquises par le iatromante dans l’au-delà. Des traces de ces apocalypses sont présentes dans les fragments d’Empédocle , de Parménide , d’Aristéas, etc. C’est à partir de la même idéologie que Platon construit l’apocalypse d’Er dans le Xe livre de la République, où le personnage prestigieux du iatromante est remplacé par un extatique involontaire. Le iatromante classique ne disposait pas toujours de la faculté de contrôler ses extases ; mais, en général, cette catégorie de personnages était censée avoir une certaine maîtrise sur les événements. L’extatique accidentel de Platon représente une innovation à l’intérieur du même schéma.
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